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— Au fait, murmurait le bandit, vous pourriez croire que cette cigarette est empoisonnée, mais je vais vous rassurer.

Et, sans attendre les protestations de Fandor, qui finissait par trouver très amusant de faire ainsi des grâces et des politesses au Maître de l’Épouvante, Fantômas ouvrait un tiroir de son bureau, y prenait une boîte de cigarettes non encore entamée :

— Je les ai achetées hier soir, au bureau de tabac de la Civette, expliquait Fantômas, vous pouvez être assuré, la bande étant intacte que je ne les ai point truquées.

Jérôme Fandor éclatait de rire :

— Décidément, faisait-il, s’asseyant sur un fauteuil voisin, décidément, Fantômas, vous recevez d’une façon exquise. Tout de même, pour la troisième fois, je suis obligé de vous demander ce que vous me voulez ?

Fantômas, en face du jeune homme, venait lui aussi, de se choisir un fauteuil. Il frotta une allumette, la tendit à Fandor, la rejeta négligemment dans une coupe de cristal, puis, d’une voix changée, d’une voix qui, soudain, devenait âpre et impérieuse, il répondait :

— Ce que je veux de vous Fandor ? Un renseignement. Où est Hélène ?

De surprise, d’émotion, le journaliste s’était relevé.

— Vous voulez savoir où est votre fille ? Je ne puis vous le dire, Fantômas. D’abord, si je le savais, je vous le cacherais et ensuite, je ne le sais pas.

— Vous mentez, Fandor, vous savez où est Hélène.

Haussant les épaules, dédaigneux, Jérôme Fandor répliqua :

— Fantômas, si vous étiez un homme ordinaire, quelconque, je répondrais à vos paroles par une paire de gifles qui serait peut-être la première chose que vous n’auriez point volée. Mais trêve de plaisanteries, vous êtes un assassin, et je suis un honnête homme. Vous pensez faire bon marché de mon existence ? et je prétends quelque jour, le plus vite possible, vous remettre aux mains de Deibler. La situation est nette. Vous croyez que je sais où est Hélène ? Je ne le sais pas. Je l’ai vue récemment. Nous devions nous retrouver en un endroit convenu. Ce matin, j’ai reçu un télégramme m’apprenant qu’elle partait en voyage, ne me disant pas où elle se rendait. Voici tous les renseignements que je puis vous donner.

Déjà, Fantômas semblait changer d’attitude.

— Vous mentez, répéta-t-il. Cela va vous coûter cher, Fandor. Je vous donne cinq minutes pour réfléchir.

— C’est beaucoup trop, fit Fandor.

— Cinq minutes pour comprendre que votre situation ne vous permet pas de vous refuser à me renseigner, continua Fantômas. Je vous donne ma parole que, de deux choses l’une : ou vous allez me dire où est Hélène et vous sortirez d’ici sans qu’aucun malheur ne vous soit arrivé, ou vous vous obstinerez à garder le silence, et je vous tuerai impitoyablement.

Jérôme Fandor, qui était debout, se rasseyait en entendant ces mots. Il tira sa montre avec un flegme imperturbable, et déclara :

— Il est exactement 11 heures 5, Fantômas, à 11 h. 10, vous me tuerez.

Tel était le calme de Fandor, telle était la tranquillité avec laquelle il parlait, que Fantômas se méprenait à sa pensée :

— Jérôme Fandor, hurla presque le bandit, incapable de maîtriser plus longtemps sa colère, vous vous imaginez sans doute que je plaisante ? Vous croyez que je n’oserais point vous tuer ? Vous assassiner comme vous dites ? Ici, dans cette maison ? Vous comptez sur le secours de ma domestique, des voisins ? Ah çà, oubliez-vous donc que je suis de ceux qui ne laissent rien au hasard ? Allons, rendez-vous compte vous-même. Heurtez ces murs, vous verrez qu’ils sont matelassés, heurtez le plancher, vous verrez que je l’ai fait matelasser encore, et le plafond aussi est matelassé ; cette pièce où je vous ai attiré est silencieuse comme un sépulcre. Ma domestique est sortie, les voisins n’entendront point vos cris.

— Où diable avez-vous vu que j’aie jamais crié ? interrompait Fandor. Fantômas, vous perdez le sens. Vous jouez les croquemitaines devant moi, c’est idiot. D’ailleurs, nous perdons du temps, il est maintenant 11 h. 7, et dans trois minutes, vous allez me tuer. Préparez-vous, vous serez en retard.

Les moqueries de Fandor n’avaient qu’un effet : elles amenèrent Fantômas à maîtriser sa colère. C’était d’un ton posé qu’il insista :

— Jérôme Fandor, réfléchissez bien. Ne vous trompez pas au sens de mes paroles. Je n’ai jamais renoncé à l’un de mes projets. Dites-moi où est Hélène, ou préparez-vous à mourir. Rien ne peut vous sauver. Nous sommes seuls. Je suis seul avec vous et par conséquent…

Fandor éclata de rire.

— Fantômas, dit-il, vous vous trompez, nous ne sommes pas seuls.

Du doigt, le journaliste désigna la glace de la cheminée qui faisait face à Fantômas. Son mouvement était si naturel, que le bandit leva la tête et Fantômas, alors, se prit à blêmir. Dans la glace, il aperçut l’image d’un homme, d’un homme qui était Juve, le policier Juve, qui, ramassé sur lui-même, prêt à s’élancer en avant, le menaçait d’un revolver braqué. Pour Fantômas, cette vision de Juve était une surprise si soudaine, si stupéfiante, qu’un instant, il demeura interdit. Voyait-il réellement ce qu’il pensait voir ? ou était-il victime d’une hallucination ? Instinctivement, Fantômas, ayant la glace en face de lui et y voyant Juve, se retournait brusquement, supposant que le policier se trouvait derrière lui. Derrière lui, il n’y avait que le mur, Juve n’était pas là. Alors, une angoisse suprême se peignit sur la face de l’insaisissable :

— Mon Dieu, murmurait-il d’une voix sifflante, mais je deviens fou.

Un fracas lui répondait. D’un coup de pied, Juve brisait la glace, la glace sans tain, la glace qui n’était qu’une vitre, derrière laquelle il épiait le bandit. Et Juve hurlait :

— Rendez-vous, Fantômas, rendez-vous ou vous êtes mort.

***

Comment Juve était-il parvenu dans le cabinet de Fantômas ? Comment se faisait-il qu’il surgissait si opportunément à l’instant où Fandor était en si grand danger ? Juve, depuis de longs jours épiait en réalité le formidable bandit. Il avait découvert sa retraite, 3 ter, rue Tardieu, la veille même. Immédiatement, Juve avait profité de cette découverte pour préparer une attaque qui, dans son esprit, devait être décisive. Juve, la veille, avait loué l’appartement contigu à celui qu’occupait Fantômas et avec une habileté merveilleuse, une audace extrême, il avait alors démoli le mur se trouvant derrière la glace de la cheminée du cabinet de Fantômas.

Parvenu en véritable perceur de murailles à la glace même, Juve n’avait pas eu grand-peine à gratter l’étamage de cette glace. Dès lors, et sans que cela se vît dans le cabinet de Fantômas, car, Juve, dans la pièce où il se trouvait lui-même, maintenait une rigoureuse obscurité, il pouvait à travers la vitre surveiller les agissements de l’Insaisissable. La nuit étant complète derrière cette glace truquée, la vitre, par un phénomène physique très simple, gardait ses qualités de miroir et Fantômas, ayant la lumière du jour ou la lumière électrique dans son cabinet, distinguait fort bien son image dans cette vitre. Il aurait suffi, il est vrai, d’un simple hasard pour que, se rapprochant tout contre cette glace truquée, le Roi du Crime découvrît la supercherie. Juve avait risqué sa chance. Logiquement, Fantômas n’avait aucune raison plausible pour coller son visage à la vitre placée sur la cheminée. Le policier avait été secondé merveilleusement par le hasard et son truc avait pleinement réussi. Juve avait donc vu Fandor pénétrer chez Fantômas et s’il n’avait point entendu les paroles échangées en revanche, à la mimique du journaliste, à la colère du bandit, il avait parfaitement deviné qu’il était urgent d’intervenir. À ce moment, Juve pressa sur un bouton électrique, rétablissait la lumière, dans la pièce où il se trouvait. Dès lors, la vitre à laquelle il s’appuyait, devenait transparente, on le voyait du cabinet de Fantômas, Fandor l’apercevait, Fantômas le considérait avec des yeux hagards et ne se doutant pas que la glace avait été truquée, le cherchait derrière lui.

Juve n’avait plus, d’un coup de pied, qu’à briser la vitre, qu’à s’élancer face au bandit, revolver au poing.