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— Rendez-vous ou je vous tue.
Fantômas, d’abord, recula lentement, un mauvais regard dans les yeux.
— Juve, Juve, murmura-t-il.
Le policier répéta :
— Haut les mains où je tire.
Fantômas, brusquement, éclata de rire.
— Allons donc, cria-t-il, vous ne pouvez pas tirer. Regardez votre arme.
Son exclamation était si naturelle que Juve, une seconde, baissait les yeux, considérait, en effet, son revolver.
Cette simple distraction suffit à Fantômas. Au moment même, il bondit vers la porte du cabinet, il l’ouvrit, il la ferma derrière lui, il se jeta dans le vestibule.
— Hardi ! criait Juve.
Les deux hommes secouèrent la porte du cabinet de travail, elle était fermée, mais c’était là un piètre obstacle. À coups d’épaules, à coups de pieds, les battants furent enfoncés.
— Il a pris par l’escalier, criait Fandor se précipitant.
— Nous le rattraperons ! hurla Juve, s’élançant derrière son ami.
Ils étaient à ce moment dans les vestibule de l’appartement. Or, ils le longeaient en courant à toute vitesse, brusquement, ils étaient précipités sur le sol, ils roulèrent l’un sur l’autre, immobilisés, ligotés à moitié, incapables de se relever.
Du plafond, un filet aux mailles fines et lesté par des contrepoids, venait de tomber sur eux, évidemment précipité par Fantômas.
Juve et Fandor, empêtrés dans ce piège d’un nouveau genre, devaient perdre de longues minutes avant de pouvoir reconquérir la liberté de leurs mouvements, comme un braconnier prend des oiseaux dans son filet de panneautage, Fantômas avait pris Juve et Fandor.
27 – SOUS LE DIVAN
Il faisait nuit et par les rues désertes qui avoisinent le boulevard Raspail, dans sa partie la plus éloignée du faubourg Saint-Germain, deux hommes avançaient à grands pas.
C’étaient Juve et Fandor. Les deux amis qui s’étaient retrouvés dans des circonstances véritablement extraordinaires, semblaient ne plus vouloir se quitter désormais et jouer partie liée, pour mieux se mettre à la poursuite de leur redoutable adversaire et de ses sinistres complices. Ils avançaient rapidement, sans mot dire, préoccupés l’un et l’autre.
— Où allons-nous Juve ?
— Rue Froidevaux, derrière le cimetière Montparnasse.
— C’est gai, murmura le journaliste, vous avez toujours des trouvailles dès que l’occasion se présente pour nous de passer ensemble une bonne soirée. Si j’avais été consulté sur notre itinéraire, je vous avoue que j’aurais choisi, de préférence, les boulevards et la place de l’Opéra.
— Vas-y, grommela Juve, fais de l’esprit, Fandor, c’est de ton âge. Seulement, je ne vois guère Fantômas donnant ouvertement ses rendez-vous dans un café des boulevards, comme ceux auxquels tu penses.
— Nous allons à un rendez-vous de Fantômas ?
— Non, du moins pas ce soir. Mais nous allons simplement étudier le terrain sur où aura lieu demain la bataille entre le misérable bandit et nous-mêmes, le terrain, sur lequel, j’espère bien, il viendra se faire prendre, ce qui nous permettra en même temps de tirer d’affaire et d’arracher des griffes de ce misérable la malheureuse famille Granjeard.
— C’est le troisième acte d’un vaudeville, tout le monde se retrouve.
— Dis plutôt qu’il s’agit peut-être de l’épilogue d’un drame à épisodes.
— Je vois ce que c’est, fit Fandor, il va encore y avoir de la casse. Juve, comment savez-vous que Fantômas a rendez-vous avec les Granjeard ?
— Écoute, Fantômas a eu l’audace de se présenter sous mon nom chez les Granjeard. Il doit rencontrer ceux-ci au restaurant de L’Épervier. La famille affolée de Saint-Denis, a promis d’apporter à Fantômas une somme assez coquette, il ne s’agit de pas moins d’un million. Avec ce qu’il a déjà touché, cela fera deux millions. Puisque tu désires le savoir, Fandor, nous allons nous occuper de les reprendre, ces millions et c’est pour cela que nous nous rendons de ce pas à L’Épervier, où nous allons étudier le terrain. Fantômas porte toujours sur lui, j’en ai acquis la preuve il y a quelques jours, les deux paquets de cinq cent mille francs qu’il a escroqués à la famille Granjeard. Ce sera de bonne prise pour nous. Et maintenant, plus un mot, nous sommes arrivés.
Fandor, machinalement, s’arrêta, écarquilla les yeux, regarda autour de lui. Le journaliste était avec le policier dans une rue assez large, mais complètement déserte et fort mal éclairée. Pas de boutiques.
Quelques jardins venaient en bordure du trottoir, derrière lequel s’élevait de petites masures, aux allures louches.
— C’est plein de gaieté, murmura Fandor qui, pour attendre une explication que Juve allait certainement lui fournir, s’était installé sur le brancard d’une balayeuse dételée, abandonnée au bord de la chaussée.
Juve désigna à son ami, visible plus loin, la masse sombre d’une petite maison séparée de la rue par une terrasse surmontée d’un balcon de pierre. Les fenêtres du premier étage de cet immeuble s’ouvraient sur la terrasse. Contrairement aux autres habitations de la rue, cette vieille baraque était tout illuminée à l’intérieur.
— Voilà, murmura Juve, le restaurant de L’Épervier.
— L’Épervier ? dit-il, j’ai entendu parler de cela autrefois. Qu’est-ce que c’est donc ?
— C’est un très ancien vide-bouteilles. Et c’est resté un mauvais lieu.
— Vous parlez comme un livre et comme un dictionnaire, Juve. Vous offrez quoi ? Champagne, « Drapeau américain » ou saladier de vin rouge ? Je vous avoue que si cela n’a pas d’inconvénient, je vote pour la première solution.
— Nous allons nous introduire dans cet immeuble sans frapper à la porte, et sans demander notre chemin.
— Entrer par la fenêtre, je vois ça.
— En effet.
Ce soir-là, il y avait assurément une société nombreuse qui festoyait au premier étage, car on entendait du dehors le cliquetis de la vaisselle et le tintement des fourchettes.
Au rez-de-chaussée, le grand salon était vide. Mais vraisemblablement, il attendait des hôtes. Car sur la grande table dressée au milieu et recouverte d’une nappe d’une blancheur impeccable, on avait disposé une multitude de verres et placé des assiettes de gâteaux.
Juve et Fandor s’étaient sans difficulté glissés sur la terrasse. Et, précautionneusement, ils s’avançaient vers le salon dont ils voulaient étudier les dispositions.
— C’est là, expliquait Juve, que Fantômas retrouvera demain soir les Granjeard. Et, c’est là, que nous nous arrangerons pour le pincer. Il faut étudier rapidement les entrées et les sorties de ce local, savoir s’il ne comporte pas de cachette spéciale, de trappes ou de portes dissimulées dans la cloison. Fantômas nous a mis à une rude école, et il est bien évident que s’il a eu l’audace de donner rendez-vous dans ce lieu, c’est qu’il se considère comme à peu près certain de pouvoir s’en échapper, même s’il est poursuivi, traqué, découvert.
Juve et Fandor s’introduisirent dans ce salon.
C’était une pièce assez vaste, rectangulaire. Rapidement, en frôlant les cloisons de leurs mains, en en palpant minutieusement les angles, ils se rendirent compte qu’elle était hermétiquement close et qu’elle ne comportait que deux ouvertures : la fenêtre donnant sur la terrasse par laquelle le policier et le journaliste s’étaient introduits, et la porte placée en face, s’ouvrant sur le couloir qui conduisait à l’escalier montant aux étages. Le mobilier était réduit à sa plus simple expression : une table, des chaises, puis, faisant le tour de deux côtés de la pièce, une sorte de canapé-divan très large et très confortable et disposé à la manière des divans circulaires comme on en trouve dans les salons ou les cabines de luxe des transatlantiques. Ce divan était en cuir, et si un intervalle assez vaste était ménagé entre les coussins et le plancher, il apparaissait aisément que quelqu’un pouvait se cacher et se dissimuler derrière les volants du meuble, qui descendaient jusqu’au niveau du sol.