— Je le tiens, songea Juve. Ils vont l’arrêter.
Hélas, au moment même, Fantômas obliquait, tournait à droite, lui aussi avait aperçu les gardiens de la paix et, pour les éviter il ne trouvait rien de mieux que de s’engouffrer dans l’escalier de la station du métro. Juve n’hésita pas. Coupant au plus court, lui aussi courut à la station. Sa manœuvre lui avait fait gagner quelque distance sur Fantômas. Juve était en haut de l’escalier, quand le bandit ouvrait les portes qui mènent au vestibule où se distribuent les billets.
— Je le tiens, se répéta Juve.
Et au risque d’une chute il dégringola l’escalier… Naturellement Fantômas ne s’attarda guère à demander un billet. Sans souci des protestations des gens qu’il bousculait, il fonça dans l’un des couloirs qui s’ouvraient devant lui.
Et, à ce moment précis, Juve poussa un cri de victoire.
— Pincé, pensa-t-il.
Fantômas, en effet, venait de commettre une faute. Au lieu de se diriger vers l’un des escaliers conduisant aux quais du Métropolitain, il avait pris le couloir auquel vient aboutir l’escalier roulant qui amène, à l’arrivée de chaque train les voyageurs descendus dans le souterrain, à la hauteur du vestibule de la station. Et Juve qui s’était aperçu de l’erreur de parcours de Fantômas, riait presque, en se disant :
— Il est impossible que Fantômas descende par cet escalier qui monte, il va se jeter par terre, l’escalier me le ramènera. Je le tiens.
Le policier, pourtant, poursuivait toujours le bandit. Fantômas parvenait, comme l’avait deviné Juve à la hauteur de l’escalier roulant. Mais, ce que n’avait pas deviné Juve, c’était, une fois de plus, l’extraordinaire audace de l’Insaisissable.
D’un coup de poing formidable, Fantômas assomma à moitié l’employé du métropolitain assis au sommet de l’escalier pour surveiller le signal d’alarme. Fantômas s’empara du haut tabouret sur lequel était juché le malheureux surveillant. Ce tabouret, il le jeta sur les marches et, en même temps, il s’accroupit dessus. Le tabouret n’appuyant que sur les arêtes des marches, par ses montants de bois, glissa vers le bas comme sur un véritable toboggan, à une allure vertigineuse.
Ainsi, au moment même où Juve tendait la main pour arrêter Fantômas, le bandit, au risque de se fendre le crâne, sur son chariot improvisé, dégringolait l’escalier roulant.
De stupeur, Juve perdit quelques secondes. Il retrouva vite son sang-froid, il bondit à son tour vers le poste de surveillance, il appuya sur le bouton d’alarme, l’escalier s’immobilisa, Juve s’y lança, le descendit comme un fou.
Qu’était devenu Fantômas ? Emporté par son élan, Juve allait pénétrer sur les quais, voir si le bandit n’y était pas bloqué, lorsqu’en croisant l’escalier ordinaire, remontant au jour, Juve aperçut l’Insaisissable, qui, pensant bien l’avoir dépisté et après n’avoir fait qu’apparaître sur les quais, se hâtait de remonter au grand jour.
— Misérable, gronda Juve.
En même temps, il se précipita dans l’escalier, derrière Fantômas. La poursuite recommençait. Mais la ruse dont le bandit avait usé, lui avait permis de gagner quelque distance sur son poursuivant. Juve arriva tout juste à la sortie du métropolitain pour apercevoir le monstre sauter dans un taxi-auto, bientôt parti à toute vitesse. Une autre voiture automobile maraudait à quelque distance. Juve s’y élança :
— Cent francs si vous rattrapez la voiture qui s’en va là-bas.
La promesse d’un pourboire aussi royal produisit naturellement son effet sur le wattman abasourdi. Sans se soucier des gestes des agents, des récriminations des passants, à une allure de vertige, il lança sa voiture. Après la poursuite à pied, la poursuite en auto commençait.
Hélas, les deux véhicules, celui de Juve et celui de Fantômas, appartenaient à la même compagnie, étaient du même type, aussi bien réglés l’un que l’autre, conduits aussi expertement. Les deux taxis, sans se distancer, sans se rattraper, pendant de longues minutes, se livrèrent à une course folle.
— Si seulement, se disait Juve, il a l’idée de passer par les quartiers déserts, je risque le tout pour le tout, je tire sur lui. Mais il ne l’aurait pas fait.
Boulevard Montparnasse, boulevard Pasteur, boulevard Garibaldi, les deux véhicules continuaient leur match poursuite. Puis, brusquement par la rue Desaix, le taxi-auto de Fantômas obliquait sur la droite.
— Où va-t-il ?
En même temps, Juve se penchait vers son chauffeur :
— Coûte que coûte, il faut les rejoindre, hurlait-il, j’épingle mille francs sur les coussins de la voiture, c’est pour vous, c’est votre prime, si seulement vous m’amenez à la hauteur de la voiture que je poursuis.
Avenue de Suffren, la voiture de Fantômas redoubla de vitesse. Cette fois, on arrivait dans de grandes allées désertes où les chauffeurs pouvaient faire rendre le maximum à leur moteur. Mais les distances demeuraient égales, Fantômas ne gagnait ni ne perdait sur la voiture de Juve.
Et puis, brusquement, un événement que n’avait probablement prévu ni le bandit ni le policier, finissait par survenir. Au détour d’une rue, au moment où il pensait tourner pour rejoindre le quai d’Orsay, un peu en avant du pont d’Iéna, le taxi-auto de Fantômas heurtait la roue d’un tombereau qui ne s’était point rangé à temps. L’automobile s’émietta contre la lourde carcasse du pesant chariot.
Chauffeur et bandit roulèrent sur le sol, Fantômas se releva, s’enfuit. Déjà, Juve, au risque de se rompre le cou avait sauté de son propre taxi, courait sur les traces du monstre.
Fantômas, toutefois, avait toujours de l’avance sur Juve. La distance qui séparait les deux hommes, n’excédait certainement pas une cinquantaine de mètres, c’était suffisant cependant pour que Juve, qui venait de perdre son revolver en sautant de voiture, fût absolument impuissant face au bandit.
— Que diable va-t-il inventer encore ? se demandait le policier.
Juve avait raison de se méfier. Fantômas, en effet, venait de concevoir une ruse suprême : il traversa, courant de toutes ses forces, l’esplanade des Invalides, il atteignit, toujours courant, le pilier nord de la tour Eiffel. Un bond l’amena par-dessus la grille au pied de l’ascenseur.
Mais il était trop tard, Fantômas venait de déclencher le mécanisme. L’ascenseur, lentement, montait au long du pylône, emportant le bandit.
Mais si Fantômas avait eu idée de génie en pensant échapper à Juve en se perdant dans l’ombre des étages supérieurs de la tour Eiffel, il avait cependant négligé de compter avec l’incroyable ténacité du policier.
Au moment même où l’ascenseur partait, Juve, au risque de se tuer, saisit à bout de bras les poutres formant le plancher de cet ascenseur et là, suspendu dans le vide, invisible pour Fantômas, narguant le vertige, se cramponnant avec la seule crainte de ne pouvoir tenir jusqu’au bout, épuisé de fatigue, il se laissa enlever.
L’ascension du premier étage dura peut-être dix minutes. Juve, sans souci du vide immense, du vide attirant, qui déjà, se creusait sous ses pieds, entendit la porte de l’ascenseur s’ouvrir, se refermer. Fantômas venait de sortir.
Qu’allait faire le bandit ?
Au prix d’une acrobatie qui était un véritable défi à la mort proche, Juve venait d’atteindre la charpente métallique de la tour. Lui aussi quittait l’ascenseur. Il se hissa par-dessus le garde-fou, prit pied sur la plate-forme même du premier étage, assez à temps pour voir Fantômas s’engouffrer dans le nouvel ascenseur qui l’emportait vers le second étage.
— M’a-t-il vu ? se demanda Juve.
Comme un fou, le policier se précipita dans l’étroit escalier qui mène au second étage. Juve grimpait en désespéré. C’était quelque chose d’insensé que cette poursuite qu’il tentait. À peine de perdre irrémédiablement Fantômas, Juve, par l’escalier, devait aller aussi vite que l’ascenseur qui emportait le bandit dont le visage contracté s’apercevait collé aux vitres. Nul bruit d’ailleurs. Au fur et à mesure que Juve s’élevait dans la tour Eiffel, complètement déserte à cette heure, les clameurs de Paris s’effaçaient peu à peu, le vent se faisait plus âpre. Une impression de solitude pesait sur le prodigieux monument. Seul, le vent, gémissant sur les innombrables parois métalliques, troublait ce silence chargé.