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— Alors, apprenez-moi où, quand, comment ?

Guillaume se contenait avec peine, mais le jeune homme sourit et le charme de ce sourire crucifia le père. Comment une enfant de seize ans aurait-elle pu lui résister ? Louis-Charles prit la main de sa compagne sur laquelle il posa un baiser plein de tendresse.

— À l’exception de votre consentement, ce qui pour un roi ne présente pas un empêchement majeur, notre mariage a eu lieu dans toutes les formes requises. Nous avons été unis le 8 juillet dernier, jour de la Sainte Elisabeth, par monsieur l’abbé Nicolas, curé de Vierville et en son église. Quatre témoins dont je tairai les noms par prudence peuvent attester que moi, Louis-Charles de France, duc de Normandie, dauphin de Viennois, roi de France et de Navarre par tradition monarchique, j’ai épousé Elisabeth-Mathilde Tremaine devant Dieu et devant les hommes afin que nous soyons liés jusqu’à ce que la mort nous sépare.

La voix paisible qui prononçait, comme toutes naturelles, des paroles empreintes d’une telle grandeur, assomma Guillaume. Cependant, il était de ceux qui réagissent vite.

— Je ne doute pas de votre parole, soupira-t-il. Ce dont je doute – et très fortement ! –, c’est qu’au cas où vous parveniez à vos fins vous ayez l’audace de faire de ma fille une reine de France.

— Et pourquoi pas ? Nous vivons un temps où un petit officier d’artillerie corse songe sérieusement à devenir empereur. Elisabeth est ma femme, monsieur Tremaine, et je l’aime profondément. Jamais je ne renoncerai à elle… même s’il vous paraît difficile de voir en moi un fils, ajouta-t-il en teintant cette fois d’ironie son sourire.

— Et moi, appuya la jeune femme, je ne renoncerai jamais à mon époux. Père, il faut comprendre et admettre.

— Quoi ? Que je doive désormais m’incliner devant toi en t’appelant Votre Altesse ? lança Guillaume avec rage. N’y compte pas ! Tout cela me fait l’effet d’un affreux cauchemar…

— Ne dites pas de sottises, Père ! fit tendrement Elisabeth en venant à lui. Je ne serai jamais pour vous que votre fille, une fille qui vous aime… Oh ! papa, ajouta-t-elle en se haussant un peu pour l’embrasser, vous savez bien que dans notre famille, on n’est pas vraiment faits pour une destinée paisible et sans relief. Vous avez vécu tant d’aventures, tant de drames…

— Excellente raison pour t’éviter d’en connaître de semblables !

Incapable de résister plus longtemps, il avait pris sa fille dans ses bras pour poser ses lèvres sur ses cheveux comme il aimait tant à le faire avant leur séparation. La douceur retrouvée fit fondre sa colère et ce fut avec une certaine amabilité qu’il s’adressa au jeune homme :

— Si vous l’aimez tant, pourquoi vouloir à tout prix l’entraîner dans votre quête ? Vous êtes environné de dangers : tenez-vous vraiment à les lui faire courir à elle aussi ? Songez qu’elle pourrait y laisser la vie !

— Soyez certain que j’y pense. Nous sommes une poignée d’hommes résolus, et elle une fragile jeune femme. J’aimerais pouvoir vous la confier.

— Mais moi je ne le veux pas ! trancha Elisabeth. On nous a mariés pour le meilleur et pour le pire. Pour l’instant, c’est peut-être le meilleur mais, croyez-moi, père, il vaut la peine que l’on risque le pire. Je ne veux pas être séparée de mon époux. Je le suivrai jusqu’au bout.

— En prison, vous pourriez être séparés pendant des années.

— Espérons que cela ne nous arrivera pas ! Et puis, ajouta-t-elle en offrant à son jeune mari un rayonnant sourire, au cas où les choses tourneraient mal, nous aurons toujours la ressource de repartir vers le pays d’où Louis est venu. Il a là-bas une maison, des amis, presque une famille et il paraît que Smyrne est un endroit plein de beauté.

À nouveau, Guillaume se sentit envahi par la douleur et l’amertume.

— Si loin ? Tu pourrais aller vivre si loin de nous, de ta maison, de tes frères ?

— Vous savez ce que je pense de la maison, père. Il faut laisser le temps au temps. Oh ! mon ami ! ajouta-t-elle vivement en rejoignant Louis-Charles, je vois M. de Sainte-Aline qui descend les marches. Il faut que vous sachiez tout : quand je suis arrivée, il méditait d’abattre mon père et de l’enterrer dans ce jardin…

— Soyez sûre qu’il n’en fera rien. L’ordre que je vais donner ne saurait être transgressé. Quant à vous, monsieur Tremaine, je n’oublie pas ce que je vous dois et je vous supplie de chasser vos craintes. Elisabeth a trop d’imagination et, avant de faire voile vers la Méditerranée orientale, il nous reste bien heureusement d’autres moyens. À commencer par ma Normandie, où nous avons des amis et pourrions nous retrancher. Soyez en paix, je vous en supplie ! C’est peut-être moi qui ramènerai Elisabeth aux Treize Vents… En attendant, vous aurez de nos nouvelles. Embrassez votre fille et donnez-moi la main !

Comme dans un rêve, Guillaume serra la main offerte. Il se sentait presque subjugué par l’étrange autorité émanant de ce garçon de dix-huit ans. Il se savait battu et, cependant, n’en éprouvait pas autant de tristesse qu’il l’aurait imaginé. Peut-être parce qu’il comprenait l’amour qu’Elisabeth lui portait. Un amour dont elle pouvait être fière : le roi errant était digne d’elle. Il n’en fut pas plus heureux pour autant.

Mais il en eut une autre preuve lorsque Sainte-Aline les rejoignit. D’un ton où perçait la hauteur de sa mère, Louis-Charles fit entendre sans ambages qu’il ne tolérerait pas la moindre atteinte à l’intégrité physique de celui qui se retrouvait son beau-père. M. Tremaine devait être ramené à sa voiture avec toute la déférence due à un homme de son courage et de sa qualité. Néanmoins, têtu comme un Breton, le petit baron essaya encore de discuter :

— Je n’en ai jamais douté. C’est pourquoi je lui avais demandé sa parole…

Ce fut Guillaume qui lui répondit :

— Je vous la donne ! Personne ne saura jamais ce que j’ai vu dans cette maison ni qui j’ai rencontré. Souvenez-vous seulement que je vous confie Elisabeth, Monseigneur, et qu’il pourrait m’arriver de vous en demander compte.

Cela dit, il s’inclina, tourna les talons et remonta vers la maison où s’allumaient les lumières, emportant avec lui la double image de ces deux êtres jeunes et beaux, identiquement vêtus de noir comme s’ils portaient déjà le deuil d’espoirs insensés.

— De toute façon, lui confia Sainte-Aline en le remettant aux soins de l’habituel valet de pied, nous ne resterons plus longtemps ici. L’endroit commence à être un peu trop fréquenté. (Puis, comme il allait descendre vers sa voiture, il le retint :) Veuillez attendre un instant ! Vous oubliez les objets que vous aviez apportés. Vous n’avez pas, j’imagine, l’intention d’en faire cadeau à Mr Crawfurd ?

— Sûrement pas ! Bien qu’il en ait grande envie, mais je me sens peu enclin à lui être agréable. Dites-lui de les offrir à leur légitime propriétaire. Moi, je n’en ai plus besoin. Encore un conseil cependant : partez d’ici le plus vite que vous pourrez ! J’ai tout lieu de croire que l’on s’intéresse à la maison de Mr Crawfurd…

— Merci, mais soyez tranquille ! Nous avons d’autres refuges.

La portière claqua tandis que la porte cochère s’ouvrait sans un grincement. La nuit était tombée mais la pluie revenait, fine, drue, glissant sur le vernis de la voiture qui, le cintre de pierre franchi, s’enfonça dans l’humide obscurité où s’affairait de son mieux un allumeur de réverbère attardé. Le résultat obtenu par deux lanternes jaunes ne changea d’ailleurs pas grand-chose à l’atmosphère lugubre. Des ténèbres encore plus froides, encore plus épaisses, régnaient dans l’âme de Guillaume. Une grande lassitude aussi, et il ne se retourna pas une seule fois pour regarder l’endroit où il venait d’abandonner un morceau de son cœur. Mais que faire d’autre ? Comment lutter contre ce double amour, cette double volonté, puisque ces deux enfants avaient mis Dieu de leur côté ? Pas grand-chose, sinon essayer, tout au moins, de les protéger de son mieux.