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— Allez-y ! Vous avez le temps jusqu’à ce que nous arrivions.

Le jeune policier s’exécuta. Il raconta comment, arrivant chez Fouché pour lui faire son rapport touchant Tremaine, il avait reçu de celui-ci un accueil goguenard. On l’avait écouté avec un aimable sourire, puis l’ancien ministre avait soupiré : « J’avais bien raison de ne pas accorder confiance à ce Tremaine. Cependant, il a joué sa partie de façon tout à fait satisfaisante. Et comme il vient de vous mentir effrontément, nous n’avons plus de gants à prendre avec lui… ni avec sa fille. Alors, à présent, vous allez me le chercher afin que nous ayons ensemble une bonne conversation ! »

— Naturellement, je tombais des nues, soupira Clément, et j’ai demandé que l’on veuille bien éclairer ma lanterne. J’ai eu alors toute satisfaction. On m’a tout raconté en prenant cependant quelques précautions afin de ménager ma susceptibilité : le rôle que je venais de jouer ressemblait beaucoup à celui d’un imbécile, et je ne cachai pas ce que j’en pensais. On m’a même félicité en disant que je n’aurais pas si bien agi si le plan m’avait été révélé dans sa totalité, ajouta-t-il avec une amertume qui réussit à percer la couche de colère dont s’enveloppait Tremaine.

Il y avait, dans les derniers mots, un accent de sincérité qui forçait l’attention mais qui, alors, soulevait de nouvelles questions. Guillaume ralentit la course du cheval :

— Que vous soyez vexé, je peux le comprendre, mais cela n’explique pas pourquoi, au lieu de me conduire tout droit chez Fouché, vous avez voulu m’emmener à Versailles. Vous cherchez à me sauver, ou quoi ?

— C’est un peu ça. Si vous êtes emprisonné – et c’est ce qui va vous arriver si vous vous obstinez –, Mlle Tremaine n’aura plus la moindre chance de retrouver l’air libre.

— Et ça vous tourmente ? Vous, un policier ? lâcha Guillaume avec un dédain qui fit rougir le jeune homme.

— Oui, moi, un policier ! Je sers le Premier Consul de mon mieux ; je traque ses ennemis et les conspirateurs. Si j’avais pu mettre la main sur le prince, je l’aurais fait sans bouger un sourcil… mais cette toute jeune femme si fière… si belle ! Elle n’a commis aucun crime, que je sache ! Elle ne menace pas la vie du général Bonaparte.

— Vous l’avez vue ? demanda Guillaume qui commençait à comprendre.

— Oui. Fouché me l’a montrée, assise en face de Pasques dans la petite pièce voisine de son cabinet de travail dont il se sert quand il a quelqu’un à interroger. Elle ne m’a même pas regardé. Elle ne regardait personne, d’ailleurs. Je n’ai pas davantage entendu le son de sa voix : elle opposait aux questions un silence méprisant. En vérité… elle avait l’air d’une reine !

— On ne lui a pas fait de mal, j’espère ?

— Non. De ce côté, rien à craindre. Ce n’est pas le genre de la maison. Et puis, Fouché a besoin d’elle : il espère bien s’en servir pour piéger son gibier.

La voiture venait de tourner le coin du quai et de la rue de Bac. Cette fois, ce fut au tour du jeune homme de retenir les chevaux.

— Je vous en prie, n’y allez pas ! D’abord, Fouché a dû la transférer au Temple.

— Mais enfin, de quel droit ? Il n’est plus ministre. Ce n’est plus son affaire d’arrêter les gens.

— C’est toujours celle de Pasques. Lui n’a pas quitté la police officielle, ce qui ne l’empêche pas de travailler toujours avec son ancien patron. Il peut obtenir tous les ordres d’incarcération qu’il veut. Il en irait de même pour vous. À présent, si cela vous tente…

— Pas le moins du monde, mais alors que faisons-nous ?

Clément se laissa aller au fond de son siège, ferma les yeux en poussant un soupir de découragement.

— Je n’en sais rien du tout ! Si seulement vous m’aviez fait confiance ce matin, vous auriez pu réclamer hautement votre fille, puisque vous auriez rempli votre contrat, mais à présent…

— Vous êtes certain qu’on me l’aurait rendue ? Vous venez de dire que Fouché compte sur elle pour appâter son… compagnon.

Il avait failli dire : son époux, mais se retint à temps. Si ce garçon, visiblement victime d’un violent coup de foudre, savait Elisabeth mariée, il serait peut-être moins tenté de jouer les paladins.

— D’autre part, ajouta-t-il, elle me haïrait à jamais, si elle pouvait me croire à l’origine de la catastrophe de cette nuit.

— Êtes-vous certain qu’elle ne le croira pas ? L’intervention de Pasques a suivi votre visite de si près…

— J’avais donné ma parole. Cela doit lui suffire. Maintenant, dites-moi plutôt comment faire pour la tirer de prison.

— Aucune idée ! Il y faudrait une intervention venue de très haut et je vous rappelle que, dans l’état actuel des choses, vous ne savez même pas où vous allez coucher ce soir. Il faudra tout de même qu’avant la nuit j’aille dire à mon patron que vous avez disparu. De cet instant, on vous cherchera.

Guillaume écarta d’un geste une circonstance, déplaisante sans doute, mais dont il ne se souciait guère. Une idée lui venait tandis que le cabriolet remontait lentement la rue du Bac. Une idée que concrétisa soudain l’apparition d’un portail connu : celui du ministère des Relations extérieures. Les portes en étaient larges ouvertes, laissant entrer ou sortir des voitures d’apparence diverse.

— Il y a peut-être là une solution, marmotta-t-il, et, sans plus hésiter, il se dirigea vers la grande cour.

— Que faites-vous donc ? s’écria Guimard, effrayé.

— Vous le voyez : je vais voir M. de Talleyrand. Il est l’ennemi de votre Fouché, n’est-ce pas ?

— Oui, mais est-ce bien prudent ?

— Dès l’instant où ma fille est en danger, j’irais voir le diable en personne. Attendez-moi ici !

Rangeant le modeste cabriolet auprès d’une luxueuse calèche, il sauta à terre et grimpa quatre à quatre les marches en haut desquelles veillaient deux portiers galonnés.

Il lui fallut parlementer un moment pour obtenir d’être conduit à un huissier qui tenait ses assises au bas du grand escalier. À cette heure, le ministre était à table. En outre, il y avait déjà plusieurs visiteurs annoncés pour le début de l’après-midi, expliqua cet imposant fonctionnaire. Il serait plus sage de revenir le lendemain.

— Demain, expliqua Tremaine avec impatience, je dois souper avec M. de Talleyrand qui m’a invité, et si je veux le voir maintenant c’est parce qu’une raison grave ne me permettra pas d’être présent.

— Vous êtes un visiteur privé, alors ? En ce cas, montez l’escalier et demandez à parler à M. d’Hauterive. Il saura ce qu’il doit faire.

Le ton indiquait clairement que l’on ne voyait pas pourquoi il faudrait déranger l’un des grands du régime pour un quelconque M. Tremaine. Le secrétaire du ministre devrait faire l’affaire. Décidé à faire preuve de la plus grande patience pour parvenir à ses fins, Guillaume demanda le personnage en question, mais refusa de prendre place sur la banquette de palier qu’on lui indiquait. Son costume de voyage soulignait d’ailleurs le fait qu’il n’avait pas de temps à perdre. Il eut même une exclamation de mauvaise humeur en constatant que le valet revenait seul, mais il s’agissait seulement de le guider à travers deux salons qu’il connaissait déjà jusqu’à la double porte d’une bibliothèque que l’on ouvrit en l’annonçant. À sa surprise, il se trouva en face de Talleyrand lui-même :

— Entrez, monsieur Tremaine ! fit la voix profonde et nonchalante. Je suis heureux de vous voir.

— Monsieur le ministre, je vous offre mes excuses d’oser ainsi me présenter chez vous et vous déranger à une heure aussi peu protocolaire. Croyez…