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Il essaya, naturellement, d’obtenir d’elle le nom du couvent où il croyait Elisabeth retirée, mais n’eut pas plus de succès qu’auprès de son père. Et pour cause ! La vieille demoiselle n’ignorait rien de la situation réelle de la jeune fille. Elle se contenta d’exhorter le jeune garçon à la patience.

— Il faut s’estimer heureux que la naissance annoncée n’ait été qu’une fausse alerte. Remercions Dieu et n’en demandons pas plus pour l’instant ! J’irai aux Treize Vents quand mes rhumatismes se calmeront un peu.

Remercier Dieu ? Arthur voulait bien mais, selon son éthique personnelle, le Très-Haut ne mériterait son action de grâces que lorsque Elisabeth serait rendue à l’affection des siens. Pour l’instant, Il la gardait pour lui et Arthur espérait bien qu’il n’essayerait pas de s’en faire une moniale de plus ! En attendant, l’adolescent rongeait son frein ; lequel s’amenuisait d’inquiétante façon. La rupture n’était pas loin. Quant à Guillaume, éprouvant beaucoup de mal à tenir en place, il fuyait sa maison autant que possible. Chaque matin, pris d’une hâte presque douloureuse, il galopait jusqu’à Varanville dans l’espoir d’y trouver Rose, et en revenait d’autant plus sombre qu’il était plus déçu. Il fit un saut à Cherbourg, un autre à Valognes, bien mélancolique à présent mais où rentraient peu à peu certains habitants d’autrefois emportés par l’émigration. Le reste de son temps, il le passait aux écuries, la compagnie de Daguet et de ses chevaux lui paraissant la seule vraiment souhaitable, vraiment apaisante. Il ne recherchait même pas ses fils, surtout Arthur dans le regard duquel il croyait lire une interrogation douloureuse chaque fois qu’il le croisait.

Vint un soir où le docteur Annebrun déclara qu’il était temps, selon lui, de laisser miss Tremayne revenir entièrement à la conscience. Elle allait visiblement mieux.

— Demain matin nous la laisserons se réveiller tout à fait. Je m’arrangerai pour être là. Ce sera, je pense, vers dix heures.

— Quand pourra-t-elle reprendre une vie normale ? demanda Guillaume.

— Ce sera l’affaire de quelques jours, si vous continuez à bien la nourrir. Il lui faudra aussi un peu d’exercice. Il est temps qu’elle se rappelle que le grand air est une excellente médecine.

Toute la famille considéra que c’était là une bonne nouvelle. Aussi, pendant le souper, Arthur en profita-t-il pour relancer son père :

— Ne pensez-vous pas qu’il serait temps de prévenir enfin Elisabeth ? Ce serait une telle joie si elle pouvait être de retour pour Noël ! Souvenez-vous, père, vous m’aviez dit que nous en reparlerions.

— Je sais que tu as une excellente mémoire, Arthur. Tu n’as certainement pas oublié non plus que je t’ai demandé de me laisser m’occuper de ta sœur.

Cette fois, ce fut au tour d’Adam d’entrer en lice.

— On dirait qu’il s’agit d’un secret d’État, fit-il avec un bon sourire qui corrigeait la raideur de sa remarque. Arthur a raison, père ! Noël est le moment rêvé pour une réconciliation et pour se retrouver tous en famille ! C’est notre fête préférée à tous et, sans Elisabeth…

Agacé – un peu à court d’arguments aussi –, Tremaine choisit la mauvaise humeur.

— C’est une conspiration à ce que l’on dirait ? Si vous voulez tout savoir, j’estime que c’est à votre sœur et à personne d’autre de choisir le moment où elle désire revenir ! Ne comptez pas sur moi pour aller me traîner à ses pieds !

— Il ne s’agit pas de ça ! s’écria Arthur. Ou alors, c’est que vous êtes toujours brouillés et qu’à votre retour de Paris vous ne nous avez pas dit la vérité !

— En voilà assez !

Guillaume se leva brusquement de table, jeta sa serviette et se dirigea vers la porte à grandes enjambées furieuses, laissant Mr. Brent et ses élèves attaquer sans lui leur dessert. Le précepteur jugea qu’il se devait de réprimander les deux garçons.

— Il est très choquant de vous entendre employer un ton aussi peu respectueux pour vous adresser à votre père. Vous surtout, Arthur ! Vous devriez comprendre qu’il était maladroit de l’attaquer justement ce soir où nous nous réjouissons tous du retour à la santé de Miss Lorna ! Comme nous, il en éprouve sans doute une grande joie… Pourquoi lui rappeler les mauvais souvenirs ?

Il n’avait pas fini de parler qu’Arthur était debout, pâle jusqu’aux lèvres et les yeux pleins d’éclairs :

— C’est Elisabeth que vous traitez de mauvais souvenir ? Je savais déjà que Lorna a fait de vous son dévotieux courtisan, mais je ne supposais pas qu’elle vous avait rendu stupide ! Si vous l’aimez à ce point, vous n’aurez qu’à rentrer en Angleterre avec elle ! Ce n’est pas moi qui vous en empêcherai. Mais avant Noël, s’il vous plaît ! L’arrivée de ma chère sœur nous a gâché le dernier et moi je veux passer celui qui vient avec Elisabeth !

À son tour, il quitta la salle, sous l’œil consterné de Jeremiah Brent et celui plutôt amusé d’Adam qui conclut en demandant au jeune homme de lui passer l’assiette de son frère.

— Si Arthur ne veut pas de son dessert, ça le regarde, mais moi je considérerais comme un crime de laisser perdre une si belle pomme meringuée.

Et il entreprit de déguster la part d’Arthur aussi paisiblement que si la tempête ne venait pas de s’abattre sur les Treize Vents.

Comme si le Ciel entendait encourager Lorna pour son retour à la vie, un joli vent d’est l’avait nettoyé et le soleil brillait lorsque Kitty ouvrit les rideaux de la chambre où le médecin venait de pénétrer, tandis que Béline, qui gardait le malade depuis une heure du matin, descendait à la cuisine pour y prendre son petit déjeuner.

La lumière éveilla la jeune femme qui bâilla à plusieurs reprises en s’étirant longuement. N’ayant pas encore aperçu Annebrun, elle sourit à Kitty.

— J’ai faim ! déclara-t-elle. Je voudrais beaucoup de thé, des toasts, de la confiture, du jambon.

— Eh bien ! fit le docteur, je constate que l’appétit revient ! C’est un très bon signe.

Aussitôt, le visage aimable de miss Tremayne s’assombrit.

— Que faites-vous ici ? Je ne vous ai pas appelé, que je sache ?

— Vous en auriez été bien incapable, l’autre soir. Il vous fallait un médecin d’urgence, mais si vous vous sentez bien, c’est que je ne vous ai pas si mal soignée !

— L’autre soir ? Quand était-ce ?

— Il y a eu huit jours mardi et nous sommes jeudi.

Il lui prit le poignet avec autorité, chercha le pouls, mais elle lui arracha sa main pour palper son ventre… et, soudain, poussa un cri de joie !

— Mon enfant ! Il est né ! Vite ! que l’on aille me le chercher ! J’espère que c’est un garçon ?

Le médecin échangea avec Kitty un coup d’œil inquiet. Ni l’un ni l’autre ne prévoyaient une réaction semblable. Avec beaucoup de douceur, il demanda :

— Vous ne gardez aucun souvenir de ce qui s’est passé ?

— Je sais que j’ai eu très peur… et que j’ai souffert, beaucoup souffert, mais c’est normal quand on accouche. Répondez-moi donc, au lieu de faire des questions stupides : c’est une fille ou un garçon ?