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— Mariée ! murmura-t-il avec une si poignante amertume que Victor éprouva un vague remords de lui avoir tout dit (mais le moyen de faire autrement ?). Elle a suivi cet homme venu on ne sait d’où et elle l’a épousé !

Pour un peu, il aurait dit un vagabond !

— Je sais, dit Guimard avec douceur, que vous avez été élevé en Angleterre, mais ce n’est pas une raison pour traiter avec tant de dédain le sang des rois de France. Le prince n’a pas épousé votre sœur sous un nom d’emprunt mais bien sous le sien. Devant Dieu, elle est duchesse de Normandie et pourrait devenir reine de France si le trône est reconquis… De là sans doute la messe quotidienne : c’est une tradition qu’elle se doit d’observer.

— Ne me dites pas que mon père et vous, gens sérieux, croyez cette fable ? Qu’il redevienne roi, ce voleur, et il se hâtera de faire casser un mariage devenu gênant ! Les papes ont de grandes indulgences pour les têtes couronnées !

— Pas toujours. Si vous connaissez l’histoire d’Angleterre, souvenez-vous d’Henri VIII. Il est allé jusqu’au schisme pour épouser la femme qu’il aimait.

— Après quoi, il s’est dépêché de la faire décapiter ! lança Arthur qui, en effet connaissait le sujet. Ce n’est pas le sort que j’ambitionne pour ma sœur. (Puis, se levant soudain :) Merci d’avoir bien voulu m’apprendre tout cela, baron. Permettez-moi de me retirer à présent !

— Puis-je demander ce que vous comptez faire ? fit Guimard qui n’aimait pas beaucoup la lueur combative apparue dans l’œil de son jeune compagnon. Le mieux serait, il me semble, de rentrer chez vous après une bonne nuit… et un bon souper que je serais heureux de vous offrir, ajouta-t-il avec un sourire engageant.

Sans allumer d’ailleurs le moindre reflet sur le visage d’Arthur.

— Je ne refuse ni l’un ni l’autre, répondit-il, mais, avant, je veux voir ma sœur, lui parler. Aussi vais-je traverser la rue et me rendre dans cette maison. Si cette dame Vaubadon est de Valognes, elle connaît mon nom. Je vous préviens tout de suite que rien ne me fera renoncer. La seule chose que je puisse promettre est de ne pas parler de vous.

— J’allais vous en prier, grimaça Guimard, mi-inquiet mi-amusé.

Cette visite impromptu pouvait peut-être, après tout, se révéler intéressante. Avant de laisser partir Arthur, cependant, il le retint encore un instant :

— Qu’espérez-vous obtenir d’elle ?

— Qu’elle revienne à la maison ! Elle attendra aussi bien son couronnement chez nous que chez une étrangère. Ce serait même à mon avis beaucoup plus convenable.

Guimard salua moralement. Ce gamin ne manquait ni de courage ni de décision. Il avait fort peu de chance de réussir, mais le policier ne se sentit pas le cœur de l’en informer.

Abrité derrière ses rideaux tirés, il le regarda traverser la rue, dédaigner la grande porte cochère et s’arrêter devant une autre, plus petite et plus basse, donnant directement accès à une aile de la maison. Il le vit lever le heurtoir de bronze et le laisser retomber. Au bout de quelques instants, une servante portant un chandelier s’encadra dans le chambranle. Le visiteur et elle échangèrent quelques mots, après quoi elle livra le passage avec un petit salut. La porte se referma.

Laissant son luminaire sur l’étroite console sur montée d’une glace qui décorait le vestibule, la soubrette – elle en avait la grâce et la tournure ! – pria Arthur d’attendre quelques instants et pénétra dans une pièce éclairée de l’intérieur. Un léger murmure se fit entendre puis la jeune fille revint.

— Veuillez me suivre ! dit-elle seulement.

Le petit salon aux lambris gris trianon relevés de minces filets d’or parut à Arthur illuminé par la jeune femme qui s’y trouvait assise sur une chauffeuse près de la cheminée, un livre au bout des doigts. Ses abondants cheveux roux flambaient littéralement autour d’un visage d’une blancheur éclatante que faisaient vivre de magnifiques yeux noirs ; le tout rachetant avec générosité le manque de régularité des traits. Cette femme n’était pas jolie, mais elle possédait beaucoup de charme, ainsi que put s’en convaincre le jeune garçon lorsqu’elle lui sourit.

— On me dit que vous êtes le fils de M. Guillaume Tremaine ?

— En effet, madame, et je vous demande pardon d’oser me présenter chez vous sans vous en avoir demandé permission, mais il s’agit d’une nouvelle extrêmement importante que je dois annoncer à ma sœur Elisabeth. J’ai parcouru pour cela une longue route…

Les beaux yeux noirs se plissèrent jusqu’à ne plus laisser voir qu’une ligne scintillante :

— Qu’est-ce qui peut vous faire croire que votre sœur est chez moi ? demanda Mme de Vaubadon.

— Rien, madame. Je le sais, c’est tout, fit Guillaume avec simplicité.

— Et savez-vous encore d’autres choses ?

— Oui, madame… mais je vous demande, de grâce, de ne pas me prendre pour un étourdi ou un curieux. Il s’est passé chez nous, aux Treize Vents, un événement d’une grande importance pour notre famille. Ma sœur serait sûrement fâchée de n’en être pas prévenue.

— Vraiment ? Quel âge avez-vous ?

— Mon âge ne fait rien à la chose, madame. Je m’appelle Arthur, et je suis l’un des fils de Guillaume Tremaine.

— C’est l’évidence même ! Vous lui ressemblez d’étrange façon… jusque dans vos manières. D’où vient qu’il ne se soit pas dérangé lui-même ?

— Il ne le pouvait pas. On ne fait pas toujours ce que l’on veut. En outre, je crois qu’il a confiance en moi.

Il n’eut pas à en dire davantage : une porte prise dans la boiserie venait de s’ouvrir. Elisabeth s’élança dans le salon, suivie d’une dame d’un certain âge dont l’allure évoquait un peu une duègne espagnole.

— Arthur ! s’écria-t-elle avec une joie qui fit vibrer sa voix. C’est bien toi ? Je t’ai aperçu par la fenêtre. Je n’étais pas certaine de te reconnaître mais quand Aurélie m’a dit ton nom… Quel bonheur, mon Dieu !

Elle se jeta dans ses bras avec l’impétuosité d’autrefois, et le cœur d’Arthur se réchauffa. C’était si bon de l’embrasser, de respirer de nouveau le frais et familier parfum de ses cheveux et de sa figure en fleur ! Cependant, il l’écarta de lui avec douceur pour la regarder, s’étonnant de la trouver si semblable à son souvenir et si différente ! Cela tenait moins à la sévère robe de soie noire à peine relevée d’une guimpe et de manchettes de mousseline blanche qu’à une certaine façon d’être, de redresser sa tête fière couronnée d’or rouge, à un certain maintien… Elle aussi le regardait mais, soudain, elle se mit à rire :

— Comme tu as grandi en quelques mois ! Tu me dépasses nettement à présent. Est-ce qu’Adam a fait de même ?

— Non. J’ai l’air d’être son aîné. À tous les points de vue, je pense.

— En effet ! Tu as une voix affreuse ! La mue sans doute ?

Elle l’entraînait vers un petit canapé couvert de tapisserie à fleurs. En même temps, son regard passait sur Mme de Vaudabon et l’autre femme.

— Nous vous laissons, madame ! dit la première. Je suppose que vous avez à parler.

Elisabeth acquiesça d’un sourire. Alors il se passa quelque chose qui frappa vivement l’adolescent : avant de franchir la porte, les deux dames plongèrent dans une rapide révérence. Mais Elisabeth ne lui accorda pas le temps de s’étonner.

— Dis-moi comment tu es venu.