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— J’ai ordre d’arrêter toute la bande, conclut Pasques, et Victor sentit le cœur lui manquer.

— Qu’est-ce que Fouché entend par toute la bande ? articula-t-il péniblement.

— Le curé, la Vaubadon, la « duchesse » avec son enfant, Bruslart bien entendu si je peux mettre la main dessus, et quelques comparses dont l’honorable scripteur de la lettre donne les noms.

— Y a-t-il dedans la famille de Mme Elisabeth ?

— Non. Fouché n’est pas fou. Il sait que ce Tremaine a su séduire l’Empereur, qu’il possède des navires dont la conduite est sans défaut. L’opération doit être menée discrètement et les prisonniers mis au secret. Tremaine sera prié de ne pas venir japper à la porte de Sa Majesté s’il ne veut pas que tout ce monde disparaisse, sans espoir de retrouvailles. Je vais donc partir pour la Normandie, mais seulement demain soir. Cela vous laisse le temps de la mettre à l’abri… un abri lointain, hors de France, parce que je fouillerai partout. Vous avez compris ?

— Non, dit Guimard. Pourquoi faites-vous ça ?

— Je pourrais répondre que ça me regarde. Disons que cette petite m’a plu quand je lui ai mis la main dessus : si jeune, si vaillante aussi ! Alors, qu’elle soit emmurée vivante avec son gamin au fond d’une forteresse quelconque, je ne supporte pas cette idée-là ! Et puis… (Il resta songeur quelques instants et finalement lâcha :) J’avais une fille qui aurait son âge, je l’ai perdue et j’en ai trop souffert ! Cela dit, hâtez-vous ! Lorsque je partirai, j’accomplirai ma mission sans plus connaître personne. Ça veut dire que je vous tuerai sans hésiter si vous essayez de vous y opposer… Vu ?

Dans l’heure suivante, Victor quittait Paris, décidé à sauver le plus de monde possible. À Bayeux, il se contenta de déposer un mot d’avertissement à la belle Charlotte alors absente puis, sans s’attarder, fonça sur Vierville. Il aimait bien l’abbé Nicolas qu’il voulait convaincre de prendre sa barque pour gagner le large. Ce qu’il trouva dans le petit presbytère au bord de la mer le révulsa : un cadavre sanglant, encore chaud ! Le malheureux prêtre avait été étranglé et poignardé : auprès de lui, son registre paroissial traînait à terre, montrant bien qu’une page avait été déchirée.

— C’est son vieux sacristain qui venait de le découvrir, dit Guimard. En arrivant il avait pu voir les meurtriers sauter sur des chevaux et s’enfuir au galop, mais la description qu’il m’en fit, car il avait encore de bons yeux, fut lumineuse pour moi : on n’oublie pas M. de Sainte-Aline et le dragon qui lui sert de valet. Alors, persuadé qu’ils se rendaient ici, je me suis lancé sur leurs traces, talonné par le besoin d’arriver avant eux, mais quelques précautions que j’aie pu prendre, ils m’ont éventé, tendu un piège… et bien failli me tuer. Sans ce jeune homme qui m’a recueilli, j’étais perdu.

— Et nous avec ! conclut Guillaume. Merci, mon ami, merci de ce que vous avez fait ! Je vous dois la vie de ma fille et de mon petit-fils.

Le blessé qui, fatigué par l’effort fourni, venait de se laisser aller sur ses oreillers, se redressa encore, l’angoisse au fond des yeux.

— Souvenez-vous qu’elle n’est pas hors de danger pour autant ! Pasques est parti. Il va venir et s’il la trouve…

— Je n’ai pas oublié, fit Tremaine tristement. Je n’ai en effet guère de temps pour me réjouir. Quand sera-t-il ici, selon vous ?

— J’avais plus de vingt-quatre heures d’avance sur lui mais j’en ai perdu plusieurs avec cette blessure. D’autre part, s’il a suivi le même parcours que moi – ce qui est certain ! –, il a dû s’arrêter plus ou moins longtemps à Bayeux, à Vierville. Disons demain soir… plutôt après-demain sans doute ! Qu’allez-vous faire ?

— Pour mes enfants je ne sais pas encore mais, dans l’immédiat, rendre et sans plus tarder la justice qui s’impose ! Avec un bandit comme ce Sainte-Aline, les grands principes frisent le ridicule.

Deux torches éclairaient la « pucherie » quand Guillaume s’y rendit accompagné de ses fils, de Potentin, de François Niel, de Pierre Annebrun et d’Alexandre de Varanville. Bien qu’il fît déjà nuit, celui-ci s’était refusé à quitter les Treize Vents avant le dernier acte du drame qui s’y jouait ce soir-là.

— Ma mère ne s’inquiétera pas de mon retard, dit-il seulement. Elle pensera que la diligence n’était pas à l’heure, ce qui n’est pas rare, et que la voiture m’attend… et à moins que vous n’en ayez pas fini cette nuit ?

— Ce ne sera pas long, fit Guillaume. Tout doit être prêt…

En effet, un chariot à foin attendait près de la petite bâtisse à la porte de laquelle veillaient deux palefreniers. Le corps de l’exécuteur des basses œuvres de Sainte-Aline y reposait sous une bâche. Daguet et Nicolas étaient à l’intérieur, surveillant le prisonnier étroitement ligoté et couché sur le sol de terre battue.

À l’entrée des sept hommes, Sainte-Aline souleva la tête et ricana :

— Voilà bien du monde ! dit-il. Même réduit à l’impuissance, on dirait que je vous fais encore peur ?

— Je ne suis pas l’un de vos pareils qui assassinent un voyageur au coin d’un bois ou un prêtre sans défense dans une maison déserte, dit Guillaume avec un dédaigneux haussement d’épaules. Ceux-ci sont vos juges et moi je suis votre accusateur, parce que je tiens à ce qu’ils sachent quel misérable ils ont devant eux.

— Des juges ? Alors que vous me laissez entendre que je suis condamné d’avance ?

— Des témoins si vous préférez car, en effet, je ne vous laisserai pas plus de chance que vous n’en avez laissé à vos victimes. Redressez-le, vous autres ! ajouta Guillaume s’adressant à ses gens. Je veux qu’il écoute debout ce que j’ai à dire.

Fermement maintenu par Daguet et Nicolas, Saint-Aline fut adossé au grand chaudron que l’on accrochait au-dessus du foyer de pierres plates les jours de lessive. En dépit du rougeoiement des torches, on put voir qu’il blêmissait et que la sueur coulait sur sa figure. Avec une joie féroce, Tremaine lut la peur dans ses yeux.

— Rien que pour vos crimes des deux derniers jours, vous méritez dix fois la mort ! Vous avez assassiné le curé de Vierville, l’abbé Nicolas, dans son presbytère.

— Je ne l’ai même pas touché !

— Non, c’est votre valet, mais l’ordre est venu de vous. Lui n’était qu’un bourreau. Ce matin vous avez tiré comme un lapin, sur la route de Valognes, le baron de Clacy qui serait mort sans l’aide qu’il a reçue de M. de Varanville.

— Un argousin, un bas policier ! Est-ce que ça compte ?

— Pour les gens normaux, oui, mais vous avez fait mieux encore en voulant faire assassiner ma fille, mon petit-fils, sans compter ceux qui ont tenté de les défendre. Ajouterai-je qu’auparavant vous les aviez dénoncés au ministre de la Police au moyen d’une lettre anonyme ?

— Ah ? Vous savez cela ? Bigre, on est bien renseigné dans ce pays perdu !

— Et vous ne niez même pas ? cracha Guillaume écœuré. Et vous vous prétendez gentilhomme ? Mais ce n’est pas tout, hélas : voici quelques mois, sur le sol anglais, vous avez donné toute votre mesure en trahissant et en tentant de faire abattre le prince qui croyait en vous, qui s’était confié à vous et que le seul excès de ses malheurs et de ses souffrances aurait dû vous rendre sacré si vous ne respectiez pas en lui le sang royal.