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Juste avant d’arriver à la première porte, elle sentit la présence d’une personne qu’elle avait l’impression de connaître. Elle n’alerta pas le Neuf-pattes, mais le brancha aussitôt sans allumer la lumière. Son bracelet fit un bruit à peine perceptible et signala le changement d’air dans la pièce. Le Neufpattes alluma son petit œil rose. Rodis vit que la porte de sa chambre à coucher était fermée. Quelqu’un devait faire le guet, caché dans la première pièce, ce qui expliquait pourquoi la porte était fermée. Rodis l’ouvrit. Ses narines perçurent un parfum si faible que, si elle n’avait pas été sur ses gardes, elle ne l’aurait sans doute pas senti. Soudain, tout se brouilla dans sa tête. Une force obscure la vrilla intérieurement. Rodis fut saisie du désir sauvage de hurler, rire et de se rouler par terre. Par un puissant effort de volonté, Rodis résista au poison. Elle recula vers le SVP, prit un biofiltre qu’elle fixa sur le nez. Elle pouvait maintenant réfléchir. Encore un peu hébétée, elle chercha la préparation T-9/32, antidote universel contre toute excitation du thalamus. Même sans être médecin, Rodis diagnostiqua qu’on avait pulvérisé dans la chambre un produit qui annihilait la conscience et libérait les réflexes primitifs du groupe thalamique et du bulbe gris du cerveau. L’antidote fit son effet. Heureusement qu’elle avait prévu d’emporter ce genre de médicament au moment des préparatifs d’atterrissage !

Rodis retrouva sa clarté de pensée et de vue et ordonna au SVP d’éclairer la pièce. Elle tira brusquement la lourde portière dissimulant la niche de la fenêtre. Là, pelotonnée comme un chat, se cachait Er Vo-Bia. Un masque transparent muni d’un petit ballon à gaz fixé sous la mâchoire protégeait le visage de la belle qui bondit dès qu’elle vit Rodis. Ses yeux profondément enfoncés lancèrent à Faï Rodis un regard étonné, anxieux et interrogateur : « Pourquoi ne tombes-tu pas ? ». La maîtresse de Tchoïo Tchagass tenait dans une main un appareil complexe, utilisé sur Tormans pour les prises de vue.

Er Vo-Bia étendit sa main libre vers sa ceinture dans laquelle une arme était sans doute dissimulée.

— Arrêtez ! ordonna Rodis. Parlez, pourquoi avez-vous fait cela ?

Clouée sur place, la belle s’arrêta et tout son corps mince oscilla on aurait dit qu’elle voulait se métamorphoser en serpent, animal favori de la planète.

— Je voulais, dit-elle avec effroi et les dents serrées, mettre à nu ton véritable « moi », te le révéler. Et lorsque tu te serais roulée par terre, en proie à des désirs bestiaux, j’aurais pris un film de toi que j’aurais montré au souverain – Er Vo-Bia leva l’appareil. Il pense beaucoup trop à toi, il t’admire trop. S’il avait pu voir ça !

Faï Rodis regarda le beau visage déformé par la méchanceté. L’union d’une âme basse et d’un corps parfait avait de tout temps étonné les gens sensibles à la beauté et Rodis ne faisait pas exception.

Elle finit par dire :

— Siou-Té, chez nous, chaque acte indigne doit être contrebalancé. Ôtez votre masque !

Même le masque respiratoire ne put cacher la terreur animale de la femme. Elle dut céder à la volonté irrésistible de Rodis.

Une minute plus tard, Er Vo-Bia était étendue sur le sol, la tête renversée, les yeux fermés, les dents serrées. Elle ressentait ce qu’elle voulait que Rodis éprouvât.

— Iangar ! Iangar ! Je te veux ! Encore plus qu’avant ! Vite ! Iangar ! s’écria soudain Er Vo-Bia.

En réponse à son appel, la porte s’ouvrit et, sur le seuil, apparut le chef des « violets » en personne.

— Il était là à monter la garde ! devina prestement Rodis.

Comprenant que leur projet avait échoué et que leur secret était dévoilé, Iangar s’empara d’une arme. Mais il avait beau être un fin tireur, il n’était pas de taille à lutter de vitesse avec Faï Rodis. Elle brancha le champ de protection. Les deux balles tirées sur elle – au ventre et à la tête – revinrent et frappèrent Iangar à la racine du nez et entre les clavicules. Le regard de Iangar fixé sur Rodis s’éteignit lentement, son visage se couvrit de sang ; il tomba à la renverse, glissa le long du mur et roula sur le côté à deux mètres de sa maîtresse.

Les coups s’étaient sûrement répercutés dans tout le temple. Il fallait agir sans perdre de temps. Rodis traîna Er Vo-Bia dans la chambre à coucher, ferma la porte et ouvrit les deux fenêtres. Puis, elle desserra les lèvres d’Er Vo-Bia et y fit couler un remède. Les mouvements convulsifs d’Er Vo-Bia s’arrêtèrent.

Un moment plus tard, la femme ouvrit les yeux et se redressa en chancelant.

— Il me semble que… prononça-t-elle d’une voix rauque.

— Oui. Vous avez fait tout ce que vous escomptiez que moi je fasse.

Soudain, la méchanceté qui se lisait sur le visage de Er Vo-Bia s’effaça qui fut remplacée par la peur, une peur profonde, totale et pitoyable.

— Où est la caméra ? Où est Iangar ?

— Ici.

Rodis montra la porte de la chambre voisine.

— Iangar est mort.

— Qui l’a tué ? Vous ?

Rodis secoua la tête en signe de dénégation.

— Non, il s’est tué avec ses propres balles.

— Et vous saviez tout ?

— Si vous voulez parler de vos relations avec lui, oui.

Er Vo-Bia tomba aux genoux de Rodis.

— Faites-moi grâce ! Le souverain ne pardonnera pas, il ne supportera pas d’être humilié.

— Je comprends ça. Des gens comme lui ne peuvent tolérer de rivaux.

— Sa vengeance sera terrible, ses bourreaux sont experts en tortures atroces.

— Comme votre Iangar ?

La belle Tormansienne baissa la tête, implorant le pardon.

Rodis alla dans la pièce voisine et revint au bout d’un instant avec la caméra.

— Rendez-moi le reste du poison, dit-elle en tendant la main. Er Vo-Bia tressaillit et s’empressa de lui donner un minuscule pulvérisateur.

— Maintenant, sortez par la première fenêtre de la galerie. Sautez de la balustrade, prenez l’escalier latéral et descendez dans le jardin. J’espère que vous avez la petite carte du souverain.

Tout étonnée, Er Vo-Bia regarda Rodis.

— Et ne craignez rien. Personne ne connaîtra votre secret. La Tormansienne ne bougea pas ; elle voulut dire quelque chose, mais ne le put. Rodis l’effleura doucement de ses doigts.

— Fuyez, ne restez pas là ! Moi aussi, je dois partir.

Rodis se retourna, entendit derrière elle les sanglots bizarres d’Er Vo-Bia et sortit. Les gardes ainsi que leur officier s’étaient rassemblés dans la première pièce, face au mur de protection des SVP. Dans un coin, était étendu le corps de Iangar.

Après sa conversation à l’hôpital avec Rodis, le souverain de la planète avait dû donner des ordres pour une liaison immédiate, car il apparut sur l’écran improvisé du SVP. Les gardes s’enfuirent à la vitesse de l’éclair.

Rodis dit que Iangar lui avait tiré dessus. Tchoïo Tchagass connaissait suffisamment l’action du champ de protection pour comprendre ce qui s’était passé. D’ailleurs, le souverain n’était pas du tout affligé par la perte du chef de sa garde personnelle, premier adjoint de Ghen Shi attaché à la sécurité de l’État. Il semblait même plutôt content.

Rodis n’avait pas le temps de réfléchir à ces rapports si complexes, elle craignait qu’on ne l’éloignât du temple après la mort de Iangar. Le souverain lui proposa, par mesure de sécurité, de regagner le palais, mais elle refusa poliment. Elle allégua qu’elle n’avait pas encore examiné des soi-disant documents qui s’entassaient dans trois pièces aménagées par Tael.