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— Ils ne pourront vraiment pas vous renseigner. Ils sont maintenant occupés à étudier les propriétés des courants d’entrée et de sortie. Cela aurait pu sembler simple, mais on n’a pas encore réussi à saisir les corrélations quantitatives.

— Savez-vous à quoi sert cet appareil ?

— Bien sûr. Je ne possède pas vos compétences, mais je peux essayer de vous donner des précisions, fit remarquer le directeur adjoint d’un air important. La structure en réseau ou en réticule de l’encéphale transmet à la conscience des associations constantes.

— Excusez-moi, mais nous connaissons tout cela sur la Terre depuis longtemps. La seule chose qui m’intéresse est la fonction de cet appareil. Nous en avons un de ce genre qui sert à choisir la combinaison la plus efficace des individus dans des groupes de travail hautement spécialisés.

— C’est beaucoup trop complexe ! Il nous faut un appareil pour reconnaître et améliorer les associations récurrentes qui se répètent inévitablement chez tous sans exception. Certaines personnes sont si fortes, qu’elles secrètent une grande résistance à notre sagesse ainsi qu’à l’amour qu’on veut leur inculquer envers le Grand. Le directeur adjoint se courba automatiquement en un salut respectueux.

— J’ai tout compris, dit Vir Norine d’un ton glacial. Je vous remercie. Je n’ai plus besoin d’aller dans le laboratoire.

— Nos savants veulent vous rencontrer, se hâta de dire l’adjoint du directeur, mais pour le moment, ils travaillent dans différents endroits. Il faudra attendre qu’ils soient tous ensemble. Peut-être viendrez-vous nous voir à « l’atelier » ? C’est ainsi que l’on appelle nos réunions du soir, où nous nous distrayons, nous discutons ou donnons des spectacles.

L’astronavigateur sourit.

— C’est ça, je serai à la fois la distraction, la discussion et le spectacle.

— Qu’allez-vous chercher ! se troubla le directeur adjoint. Nos gens veulent bavarder avec un collègue de la Terre, vous poser des questions et répondre aux vôtres.

— D’accord, dit Vir Norine et il ne retint pas davantage l’administrateur, comprenant que celui-ci devait obligatoirement faire les préparatifs nécessaires, je viendrai ce soir.

Il se dirigea vers le bureau de poste principal. Là, comme le lui avaient raconté avec fierté les habitants de la capitale, étaient utilisées les toutes dernières machines. Elles triaient les lettres selon six codes, mettant de côté instantanément la correspondance destinée à ceux qui refusaient le réseau vidéo, car ils craignaient la divulgation de leurs secrets intimes. Les gens ignoraient qu’au moindre soupçon, les lettres étaient jetées dans la machine voisine qui les radiographiait et en imprimait le contenu sur film. Sur appel codé, le destinataire était automatiquement photographié sur le même film…

D’autres machines donnaient tous les renseignements possibles, y compris les conseils permettant de choisir un travail dans la capitale ou la détermination de ses aptitudes.

Le vieil immeuble des postes, solide, se composait d’une immense salle remplie de machines automatiques. Sur ces machines, des hiéroglyphes au-dessus de chaque pupitre faiblement éclairé, expliquaient en détail les manipulations à accomplir pour obtenir la correspondance, le conseil ou le renseignement. Il était évident que dans les écoles de Tormans, on n’apprenait pas à utiliser ces machines d’intérêt public. Des instructeurs se promenaient dans la salle, vêtus d’uniformes marron, prêts à aider les clients du bureau de poste. Ils déambulaient, l’air arrogant et inaccessible, imitant deux « violets » installés à deux extrémités de la salle. Vir Norine remarqua que les clients ne s’adressaient pas à ces conseillers peu aimables et vaniteux. Tchedi avait raison de dire qu’ils provoquaient chez elle un effet de répulsion, ils respiraient la méchanceté et le vide spirituel.

Ces « non-êtres » des vieux contes russes, avaient une apparence humaine, mais leur âme était totalement détruite par leur entraînement spécial. Ils faisaient tout ce qu’on leur ordonnait, sans penser à quoi que ce soit et étaient absolument dénués de sentiment.

Vir Norine s’approcha de la machine à déterminer les aptitudes, s’efforçant de se mettre dans la peau d’un Tormansien venu de loin (plus on était loin du Centre, plus l’instruction et le niveau de vie étaient mauvais) pour trouver ici, dans la capitale, une vie nouvelle. Il accomplit une série de manipulations. En haut de l’écran brilla une lumière orange et une voix impassible hurla dans toute la salle : « faibles capacités intellectuelles, développement mental inférieur à la normale, borné et sot, mais réactions musculaires excellentes. Le conseil est de s’orienter vers le métier de chauffeur ».

Interloqué, Vir Norine regarda l’automate : les indications du tableau et la lumière s’éteignirent. On se mit à rire derrière lui. L’astronavigateur se retourna. Des hommes s’approchèrent de l’automate. Voyant l’embarras de Vir Norine, ils le prirent pour un des leurs.

— Qu’y a-t-il, tu es perdu ? Le métier de chauffeur n’est pas assez bien pour toi, en voilà une belle tête de pioche ! Allez, on ne te retient pas ! » s’écrièrent-ils en poussant légèrement l’astronavigateur. Vir Norine aurait voulu leur dire que de telles caractéristiques ne correspondaient pas à l’image qu’il avait de lui-même, mais il comprit qu’il était inutile de se lancer dans des explications et il se dirigea vers la partie presque vide de la salle, là où l’on vendait des livres et des journaux.

Il comprit d’ailleurs très vite l’absurdité apparente du choix de l’automate. La machine avait été programmée conformément aux normes de Tormans, elle n’était pas en position de comprendre les coefficients qui dépassaient le niveau supérieur et les considérait inévitablement comme appartenant au niveau inférieur. La même chose se serait produite avec un Tormansien particulièrement doué. Conformisme de la société capitaliste conduisant à la Flèche d’Ahriman. Dans la littérature d’ici, on écrivait plus sur le mal que sur le bien. Le vocabulaire concernant les ténèbres, le mal, était plus développé que celui concernant la clarté et le bien, parce que l’expérience quotidienne accumulait quantitativement plus de mal. Pour la même raison, les gens croyaient plus facilement au mal : il était plus convaincant, plus visible, agissait davantage sur l’imagination. Les films, les livres, les poèmes de Tormans traitaient infiniment plus de cruauté, de meurtres, de violence que de bien et de beauté, mots encore plus difficile à décrire à cause de la pauvreté du vocabulaire exprimant l’amour et la beauté.

Les conflits et la violence formaient la base, le contenu de toute œuvre d’art, faute de quoi les habitants de Tormans ne manifestaient aucun intérêt pour un livre, un film ou un tableau. L’horreur, le sang et la souffrance, devaient ou se rapporter au passé ou entrer en conflit avec des ennemis venus du cosmos. Le présent était consacré à représenter le royaume calme et incroyablement heureux sous la sage autorité du souverain. Uniquement cela et rien d’autre ! Pour un Tormansien, l’art ayant trait au présent n’offrait aucun intérêt. « Toute la planète considère que cette forme d’art respire l’ennui » avait dit Tchedi avec raison.

Tous ces phénomènes avaient une cause unique : le mal l’emportait sur le bien. Une coupe transversale du niveau moyen des exigences spirituelles montrait que – selon les calculs approximatifs faits sur la Terre par l’Académie des Joies et des Peines à l’EMD – la somme des difficultés, du malheur, de l’ennui et du chagrin dépassait de 15 à 18 fois la somme de bonheur, d’amour et de joie. Il en était sans doute de même sur Tormans. L’expérience des générations accumulée dans le subconscient devenait plutôt négative. En cela résidait la force du mal, la puissance de Satan comme disaient autrefois les gens religieux. Plus le peuple était ancien, plus cette expérience négative – comme l’entropie – s’amassait fortement en lui. Les Tormansiens – descendants et frères des Terriens – avaient vécu deux mille ans de trop désorganisés et exposés à la Flèche d’Ahriman. Leur mépris du bien datait de plus longtemps…