— La nature dans laquelle nous vivons et à laquelle nous appartenons s’est formée pendant des centaines de millions d’années suivant un changement historique dans les systèmes d’équilibre. Cette complexité est sous sa forme véritable si grande et si profonde, que nous ne pouvons jouer avec la nature en utilisant toutes les données scientifiques limitées. Il y a très longtemps, sur la Terre, les gens cédant au désir de prendre sans effort et sans peine, pour rien, ont créé les jeux de hasard. Le jeu le plus répandu était la roulette : on fait tourner doucement une roue divisée en cases numérotées et entourée d’un limbe immobile ; on lance une boule sur la roue et lorsque la boule s’arrête – ou la roue, les témoignages manquent de précision – sur l’un des chiffres inscrits sur le limbe, elle indique le gagnant. S’il n’y en a pas, le propriétaire de l’appareil garde l’argent. À cette époque, les gens ignoraient complètement les lois de cet appareil et, bien que soupçonnant la part de hasard, ils continuèrent à jouer et perdaient tout ce qu’ils possédaient, s’ils ne quittaient la maison de jeux à temps.
» Nous ne devons pas non plus jouer avec la nature qui utilise elle-même depuis des milliards d’années le jeu du hasard, – méthode qui a été remarquée, il y a déjà 7 000 ans dans l’Inde ancienne, et qui s’appelle Rasha-Lila ou « jeu divin ». Notre problème est de trouver comment quitter la maison de jeux de la nature. Ce n’est qu’en rassemblant les différents aspects de la connaissance humaine que nous avons pu nous élever au-dessus de ce jeu, c’est-à-dire au-dessus des dieux de l’Inde. Nous pouvions échouer, car dans l’inferno concentré de notre planète, La Flèche d’Ahriman pouvait causer des dommages irréparables. J’ai utilisé des termes qui ne sont peut-être pas clairs pour vous : la concentration de l’inferno. Pour ne pas entrer dans des explications, définissons-la ainsi : c’est lorsque l’homme essaye maladroitement et de façon illusoire de dominer la nature. Il détruit alors l’harmonie intérieure obtenue et entraîne des trillions de victimes sacrifiées sur l’autel de la vie. Un savant a dit : « quand nous comprendrons que le myosotis et le blé forment un tout, nous pourrons prendre l’héritage de la nature entre nos mains bonnes et tolérantes ». Telle est, en termes très généraux, l’attitude qui est adoptée sur la Terre envers la science.
» Que puis-je vous dire sur votre science ? Il y a 3 000 ans, le sage Erf Rom a écrit que la science du futur ne doit pas devenir le credo de la société, mais sa morale, sinon elle ne remplacera pas totalement la religion et restera insuffisante. La soif de connaître doit remplacer la soif d’adorer. Il me semble que, chez vous, ces rapports sont plutôt inversés et que, même la question primordiale de l’éternelle jeunesse a été résolue chez vous par la mort précoce. Comment je vois votre science après la visite de vos instituts et la discussion d’aujourd’hui ? À mon avis, son défaut essentiel est qu’elle ne se soucie pas de l’homme, ce qui est absolument intolérable chez nous. Humanisme et inhumanité se côtoient dans la science. Une mince frontière les sépare et il faut être très pur et très honnête pour ne pas la franchir. Ce n’est pas tout. Au fur et à mesure de son développement, l’humanisme se transforme en inhumanité et vice-versa, comme tout processus dialectique. Le salut de la vie par n’importe quelle mesure se transforme en moquerie cruelle et DNS devient alors un bienfait, or, d’un autre côté, qui ne contestera l’inhumanité du DNS ? Vous faites des expériences sur des animaux et sur des prisonniers, mais pourquoi ne vous préoccupez-vous pas du psychisme qui est infiniment plus riche et plus vaste que n’importe quel moyen chimique ? Pourquoi ne protégez-vous pas l’atmosphère psychique contre le mal, le mensonge quel que soit le plaisir que vous avez à émettre des pensées confuses ou à prononcer des mots vides ? Même les théories scientifiques les plus importantes du point de vue moral rejoignent les pensées de l’âge de pierre, si elles n’amènent pas à la sagesse consciente de la morale humaine. C’est ainsi que de nombreuses découvertes ont été prévues de manière prophétique par les philosophes de l’Inde et de la Chine anciennes.
» L’existence de l’atmosphère psychique était déjà connue à l’EMD, lorsque l’un des plus grands savants de la Terre, Vernadski, lui a donné le nom de noosphère. Il faut se soucier davantage de la noosphère que de l’atmosphère, mais vous négligez l’une et l’autre. Vous créez des hôpitaux en ignorant l’importance de l’influence du milieu et je m’étonne qu’il puisse y avoir des guérisons.
— Bien sûr qu’il y en a ! affirma le directeur adjoint.
— Soit. Les habitants de Ian-Iah ne sont pas adaptés à une structure très tendue, comme nous autres Terriens et ils supportent plus facilement les conditions d’infernalité. Ils ne peuvent faire autrement. Nous aurions un prix plus fort à payer, car nos réactions sont extrêmement rapides, nos sentiments plus forts et notre mémoire plus chargée.
» Les bienfaits dont il a été question ici sont, à mon avis, meurtriers et ne sont justifiés par aucune nécessité étatique. Les tranquillisants qui réconcilient les gens avec la médiocrité de la vie sont comme la faux qui coupe tout ce qu’il y a au-dessus de la racine : les fleurs et la mauvaise herbe, le bon grain et l’ivraie. Votre science biologique cherche visiblement à étouffer la liberté intérieure et à créer des individus standardisés, c’est-à-dire à former un esprit de masse. Toutes les recherches que vous avez énumérées sont orientées précisément dans ce sens. Comment pouvez-vous sélectionner ce qui est beau et tresser avec la beauté des guirlandes de destinées humaines, aider les gens à trouver et à apprécier tout ce qu’il y a de clair dans la vie, si vous étouffez les émotions et si vous détruisez les âmes ?
» Après les terribles secousses et la déshumanisation de l’EMD, nous avons commencé à comprendre qu’il est possible de détruire réellement l’âme, c’est-à-dire le « moi » psychique de l’homme par une ratiocination inutile et l’autosatisfaction. Il est possible de priver l’homme d’émotions normales, d’amour, d’éducation psychique et d’en faire une machine pensante conditionnée. Beaucoup de « non-humains » de ce genre sont apparus et on leur a confié le soin d’effectuer des recherches scientifiques et de surveiller des humains réels, ce qui n’alla pas sans danger. Après avoir réfléchi à l’image mythique du prince du mal – Satan – l’homme devint comme lui, surtout vis-à-vis des animaux. Imaginez un moment des centaines de millions de chasseurs tuant des animaux uniquement pour le plaisir, des abattoirs gigantesques, des vivariums expérimentaux dans les instituts. L’étape suivante concerne l’homme lui-même : hécatombes dans les camps de concentration, gens écorchés vifs, cordes et tapis faits avec les tresses de cheveux de femmes. Cela a existé, l’humanité de la Terre ne chercha pas à le cacher et se souviendra toujours de l’époque où le mal a été légitimé par les savants. Car plus la connaissance est profonde, plus le tort causé peut être grand ! On a alors imaginé de créer des monstres biologiques : par exemple, cerveaux séparés du corps vivant dans une solution, alliage de certaines parties de l’homme avec des machines. C’est, en gros, la même chose qui a été faite avec la création de « non-humains » qui n’ont conservé qu’un seul sentiment, l’aspiration à un pouvoir sadique illimité sur l’homme réel, aspiration provoquée immanquablement par un complexe d’infériorité extrême. Par bonheur, nous avons arrêté à temps les intentions insensées de ces nouveaux satans.
— Il y a là une contradiction, envoyé de la Terre ! dit quelqu’un en allongeant un cou maigre sur lequel reposait une grosse tête au visage aplati et aux yeux méchants étroitement fendus. Tantôt la nature est trop impitoyable, lorsqu’elle joue avec vous le jeu cruel de l’évolution, tantôt l’homme commet une faute irréparable en s’éloignant de la nature. Où est la vérité ? Où est le chemin satanique ?