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— Nous entendre sur quoi ? Leur vérité n’est pas la nôtre !

— Vraiment ? La vérité de la vie se trouve dans l’expérience millénaire du peuple. Mais les bouleversements rapides de la vie, dus au développement technique de la civilisation, ont compliqué la route menant à la vérité, la rendant instable, comme cela se produit avec des poids trop sensibles qui ne peuvent être équilibrés. Trouver une vérité commune à la majorité grâce aux sciences exactes, a échoué parce que les critères de sa détermination n’ont pas été établis. Ces critères ou mesures, sont apparus à certaines périodes du développement de la société, plus importants que la vérité elle-même. Chez nous, sur la Terre, il y a des millénaires que la Grèce ancienne, l’Inde, la Chine le savent…

Rodis réfléchit une seconde et poursuivit :

— Des accès de clairvoyance se sont rencontrés, il y a bien longtemps, dans les prophéties d’illuminés qui ont compris intuitivement la très grande importance de ces mesures. Dans l’Apocalypse, – ou « Révélation de Jean » – l’un des fondateurs de la religion chrétienne, on trouve ces mots : « J’ai regardé et j’ai vu un cheval noir et celui qui le montait tenait une balance à la main. Ce rêve d’une balance, d’une mesure permettant d’élaborer l’authentique vérité de l’humanité a été rendu possible, grâce à l’invention des machines à calculer électroniques. On a pu évaluer la peine et la joie nécessaires à une harmonie des sentiments et du devoir. Une grande organisation s’en occupe, chez nous, c’est l’Académie des Joies et des Peines. Chez vous, c’est avec vous que les « Cvil » devront établir la mesure et trouver la vérité, pour laquelle vous devrez lutter ensemble, sans craindre quoi que ce soit…

» La vérité est le vrai ; la peur engendre le mensonge. Mais n’insistez pas trop sur l’exactitude du vrai, souvenez-vous de sa subjectivité. L’homme veut toujours rendre la vérité objective, en faire la reine de toutes les formes, mais elle apparaît à chacun sous une enveloppe différente.

» L’acquisition de la vérité ne peut être exprimée par des formes abstraites. C’est avant tout un exploit réel à toutes les étapes de la vie. Le refus de la médisance, des relations avec ceux qui trahissent la vérité comble votre esprit de pensées bonnes et pures, et vous fait acquérir une invincibilité particulière dans la lutte contre le mal.

Ainsi, par une persuasion lente irréfutable et impartiale, Faï Rodis tressa des fils successifs entre les « Cvic » et les « Cvil ». Le reste fut accompli par des contacts personnels. La première rencontre d’égal à égal entre « Cvic » et « Cvil » eut lieu dans les souterrains du vieux Temple du Temps.

Tael fut frappé par la vivacité d’esprit, les facultés étonnantes d’étudier et la totale ouverture à tout ce qui était nouveau, que montrèrent ceux qu’ils s’étaient habitués à considérer comme la partie stupide et passive de l’humanité. Les « Cvic » assimilèrent les nouvelles idées plus vite même que les « Cvil » mieux entraînés mentalement, mais plus conservateurs.

— Pourquoi n’ont-ils pas essayé d’apprendre, pourquoi leur développement s’est-il arrêté depuis si longtemps ? demanda l’ingénieur à Rodis. En fait, ils ne sont pas du tout moins bien que nous !

— En disant « eux », « ils », vous commettez une très grosse erreur. Ce sont des gens exactement comme vous, ils ont été choisis par votre société et condamnés à vivre dans des conditions de lutte primitive pour la vie : une vie courte ne permet de développer que les sentiments les plus simples et les « Cvic » régressent continuellement sous le poids d’une vie non structurée. Il en a été de même dans les forêts primitives de nos tropiques où, des dizaines de milliers d’années auparavant, des peuplades se réfugièrent. Elles usèrent toutes leurs forces à une seule chose : survivre. De génération en génération, elles ont dégénéré, perdant leur énergie créatrice. Même les puissants éléphants des steppes, les énormes hippopotames des grands fleuves de la Terre se sont métamorphosés en espèces naines et chétives dans les forêts. Votre « forêt », c’est la vie courte, la perspective d’une mort rapprochée, l’étroitesse étouffante des villes surpeuplées, une mauvaise nourriture et un travail sans intérêt.

— Oui, dit Tael, en général, les « Cvic » ne sont que les maillons bon marché, intermédiaires, au milieu de machines coûteuses. Sans métier ni joie créatrice. La machine fait mieux et plus vite, et toi tu restes juste « sur la touche », comme dit Gzer Bou-Iam. « Vous mourrez malades et sages, mais nous, nous mourrons jeunes et ignorants, et qu’est-ce qui est mieux pour l’homme ? » telle est la question qui m’a été posée. J’ai essayé de leur expliquer que le mauvais travail de chacun d’entre nous, quel qu’il soit, atteint chacun de nos frères sans défense, chacun de nos parents et chacun de nos enfants, et ne touche pas les oppresseurs abhorrés qui savent se protéger. « Comment pouvez-vous agir ainsi » leur ai-je demandé et je crois qu’ils ont compris.

— Et pourtant – dit Rodis, « eux » aussi ont un avantage par rapport à « vous ». Regardez ces mines éclatantes : Ce sont celles du groupe de Gzer Bou-Iam ! Ils ont à peine le nécessaire et c’est pour cela qu’ils sont plus libres. Si vous aviez regardé Gzer Bou-Iam, lorsqu’il a vu Evisa Tanet par l’entremise du SVP ! Avec quelle naïveté enfantine et quelle joie lumineuse il l’a regardée ! « Je l’ai vue, j’ai vu mon rêve une fois encore et, maintenant, je peux mourir ! » s’est-il écrié. Voilà quel est votre grossier et obscur « Cvic » !

Le doux appel du SVP se fit entendre et Rodis répondit. Vir Norine apparut sur l’écran et dit :

— Je voudrais vous amener Siou-Té.

— C’est elle ?

— Oui. J’arriverai par le souterrain, par mesure de sécurité.

— Je vous attends.

À la vue de Faï Rodis, Siou-Té eut un bref et brusque soupir, comme un sanglot. Rodis lui tendit les deux mains, l’attira à elle et regarda le visage ouvert, levé sur elle.

— Vous êtes la souveraine des Terriens ?… Sotte que je suis, je n’aurais pas dû poser la question, dit Siou-Té, en tombant à genoux devant Rodis qui éclata de rire et releva prestement la jeune fille.

Les lèvres de Siou-Té se mirent soudain à trembler, de grosses larmes se mirent à couler le long de ses joues.

— Dites-lui… Il dit que ce n’est pas comme ça et je comprends pas. Mais pourquoi moi et un homme de la Terre, si vous êtes ainsi ? Par le Grand Serpent, mais je suis le petit oiseau jaune Sha-Hik par rapport aux femmes de la Terre !

— Je le lui dirai, répondit sérieusement Rodis.

Elle la fit asseoir et lui prit la main.

Elle se tut longtemps. Siou-Té respira bruyamment, tout excitée, et Rodis eut l’air de se reprendre.

— Vous êtes sensible et intelligente, Siou-Té, c’est pourquoi je ne vous cacherai rien. Vous avez de la chance, si on peut parler de chance ici, une chance sur un million. Ce n’est pas une déesse, mais un être d’une autre espèce : une fée. Ces petites incarnations du bien ont joui longtemps d’une sympathie particulière dans les contes de la Terre !

— Pourquoi particulière ? demanda doucement Siou-Té.

— Une déesse est la source héroïque, protectrice du héros, elle le conduit presque toujours à une mort glorieuse. La fée est l’héroïne de la vie ordinaire ; amie de l’homme, elle lui apporte la joie, la tendresse et la noblesse dans l’action. Les rêves de l’homme du passé se reflètent dans cette distinction. Et trouver ici, sur Tormans, une fée ? Qu’allez-vous faire, mon pauvre Norine ? demanda Rodis dans la langue de la Terre.