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— Pourquoi pauvre ! Si seulement je pouvais l’emmener avec moi, mais elle dit que c’est impossible !

— Elle a raison, c’est une petite jeune fille très sensée.

— Je comprends et j’accepte. Mais il y a une autre issue, diamétralement opposée…

— Vir ! s’écria Rodis. Il s’agit de Tormans, la planète des Tourments, dans un inferno profond !

Vir Norine se fâcha et, comme un véritable Tormansien, se mit à maudire l’inferno et Tormans et le destin de l’homme dans la langue de Ian-Iah, riche en malédictions.

Siou-Té sursauta, effrayée. Rodis la prit par la taille qu’elle avait fine – elle était nouée d’une ceinture verte – et la fit rasseoir.

— Ce n’est rien. Cela arrive lorsque les hommes sont vexés, parce qu’ils n’aiment pas prendre de décision.

— J’ai pris ma décision !

— Peut-être qu’à votre place, j’en aurais fait autant, Vir, approuva soudain Rodis – et elle continua dans la langue de la Terre. Vous allez périr, mais vous serez très utile et vous lui donnerez quelques mois, peut-être quelques années, de bonheur. Prenez soin de vous. Elle mourra dès que votre fin arrivera. Elle ne craint pas la mort. Le plus terrible pour elle est de se retrouver sans vous. Ce n’est que dans l’amour, que les femmes de Tormans peuvent manifester autant de courage et de fermeté, en même temps qu’elles sont parfaitement indifférentes à tout ce qui peut leur arriver. Qui a les calculs du chemin du retour ?

— Menta Kor. Nous les avons préparés avant d’atterrir à Tormans.

— Vous allez nous manquer, Vir !

— Et moi alors ? Mais j’espère vivre jusqu’à l’atterrissage du second ARD et voir, sinon vous, au moins des compatriotes.

— Partez, Vir ! Nous ne nous reverrons plus durant le temps qui reste. Peut-être, changerez-vous encore d’avis…

— Non ! dit-il si fermement que Siou-Té, sans comprendre un seul mot, sursauta. Son intuition divinatoire féminine lui avait fait deviner le sujet de la conversation entre les deux Terriens ; elle éclata en sanglots lorsque Rodis les quitta tous les deux, après un long baiser.

Tout de suite après l’entrevue avec Rodis, Vir Norine se rendit à l’Institut technico-physique qui était le plus important de la capitale. Presque tous les savants doués de la capitale en dépendaient. L’ingénieur Tael avertit Vir Norine qu’il pourrait bavarder plus librement dans cet « atelier » que dans les autres. L’ingénieur attendait beaucoup de l’entretien qui devait avoir lieu.

Les participants s’installèrent selon l’ordre rigoureux de la hiérarchie scientifique. Aux premiers rangs, près des dirigeants, prirent place les savants célèbres, distingués par le pouvoir. Beaucoup portaient sur la poitrine des emblèmes brillants spéciaux : un serpent doré entourant le globe mauve de la planète Ian-Iah. Derrière ces savants vénérables et émérites se prélassaient négligemment les représentants de la classe moyenne et, au fond de la salle, se pressèrent les jeunes. On n’en avait laissé entrer qu’un nombre limité.

Vir Norine avait suffisamment étudié le monde scientifique de Tormans pour savoir que la répartition des privilèges se faisait graduellement : on commençait par octroyer aux savants un appartement plus grand et une rémunération en argent, puis cela se terminait par l’attribution d’une nourriture particulièrement savoureuse et non frelatée, provenant des réserves mêmes des « porte-serpent ». Ce qui étonnait le plus Vir Norine dans cette société absurde, c’était comment de puissants experts de la planète pouvaient accepter de se vendre. En fait, pour tout ce qui sortait du cadre étroit de leur profession, ces citoyens pleins de talent n’avaient sûrement aucune influence.

D’ailleurs, plusieurs savants en étaient conscients. La plupart d’entre eux se conduisaient avec arrogance et provocation : c’est ainsi que se conduisent généralement ceux qui dissimulent un complexe d’infériorité.

— Nous sommes au courant de votre intervention à l’Institut médico-biologique, dit le président de l’Assemblée, un homme bourru et fielleux, mais vous vous êtes abstenu de porter un jugement sur la science de Tormans. Nous comprenons la délicatesse des gens de la Terre, mais ici, vous pouvez parler plus librement et apprécier notre science comme elle le mérite vraiment.

— Je répéterai que j’en connais trop peu pour embrasser toute la somme de connaissances et établir une comparaison. C’est pourquoi ce que je dis doit être considéré uniquement comme une impression générale et superficielle. Notre opinion à nous qui venons de la Terre est-elle juste ? Plus d’une fois, j’ai entendu dire ici qu’une science précise permettrait de résoudre tous les problèmes de l’humanité de Ian-Iah.

— N’est-ce pas la même chose chez vous, les vainqueurs du Cosmos ? demanda le président.

— Vir Norine secoua la tête.

— Même si elle n’exige pas le vrai basé sur des faits contradictoires, la science, même au cours de son propre développement, est partiale, inconstante et insuffisamment précise pour se charger de modeler harmonieusement la société. L’un des savants les plus connus de la Terre, Lord Raleigh a trouvé, il y a déjà très longtemps, la formule exacte : « À mon avis, un savant n’a pas plus le droit de se considérer comme un prophète que n’importe quelle autre personne cultivée. Au fond de lui-même, il sait que derrière les théories qu’il construit, se cachent des contradictions qu’il n’est pas en mesure de résoudre. Si les grandes énigmes de l’existence sont généralement accessibles à l’intelligence humaine, elles exigent d’autres instruments que le calcul et l’expérimentation… »

— Quelle faiblesse honteuse ! Il ne reste plus qu’à faire appel à l’aide divine, dit une voix perçante.

Vir Norine se tourna vers le sceptique invisible.

— La règle fondamentale de notre psychologie nous prescrit de rechercher en nous ce que l’on suppose chez les autres. Dieux, surhommes, super-savants, vous conservez toujours l’idée, difficile à extirper, d’êtres supérieurs…

» Le physicien de la Terre que je viens de citer, pensait aux extraordinaires forces intérieures du psychisme humain, à sa capacité innée de corriger la distorsion du monde, qui se produit lorsque le manque de connaissances entraîne une déformation des lois. Il pensait à la nécessité de compléter la méthode de recherche expérimentale qui caractérisait autrefois la science occidentale de notre planète la Terre par la méthode d’introspection orientale uniquement basée sur les forces intrinsèques de l’esprit humain.

— Ce seraient des années de réflexion sans résultat, fit-on remarquer à Vir Norine du fond de l’auditorium, nous n’en avons ni le temps ni les moyens. Le gouvernement ne nous donne pas beaucoup d’argent et vous regardez notre pauvreté du haut de la richesse de votre planète.

— Richesse et pauvreté sont relatives en matière de connaissances, répondit l’astronavigateur, chez nous sur la Terre, tout commence par la question : en quoi les conséquences les plus lointaines et une dépense extrêmement réduite des formes matérielles et spirituelles profiteront à l’homme ? Vous parlez de l’absence de moyens ? Alors, pourquoi vous efforcez-vous de maîtriser les forces fondamentales du cosmos en ignorant les choses indispensables à l’homme ? Ne sentez-vous pas clairement que chaque pas sur cette voie est plus difficile que le précédent, puisque les bases élémentaires de l’Univers sont solidement enchaînées aux formes de la matière qui vous sont accessibles ? Même l’étendue spatio-temporelle tend irrésistiblement à adopter la structure fermée de l’existence. Vous ramez à contre-courant, alors que la force de ce courant augmente. Le coût monstrueux, la complexité et le besoin en énergie de vos appareils ont depuis longtemps dépassé les forces productives exsangues de la planète et la volonté de vivre de votre peuple ! Prenez un autre chemin, le chemin de la création d’une société puissante, sans classe, composée de gens intelligents, sains et forts. Voilà ce à quoi il faut absolument consacrer vos forces. Jadis, un autre savant de la Terre, le mathématicien Poincaré, a dit que le nombre d’explications possibles de chaque phénomène physique était illimité. Alors, choisissez uniquement ce qui vous permettra d’avancer immédiatement d’un pas, même s’il est petit, sur la voie du bonheur et de la santé de votre peuple. Uniquement cela et rien d’autre !