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Encouragé par le sourire de Ghen Shi, Nar Iang croisa frileusement ses doigts sur ses jambes.

— L’information est si importante que je ne la donnerai qu’au Grand lui-même, dit-il lentement.

— Le Grand est occupé et a ordonné de ne pas être dérangé pendant deux jours. Parle, et plus vite que ça !

— J’aurais voulu voir le Souverain. Il va se fâcher, si je le dis à n’importe qui, dit le savant en baissant les yeux.

— Je ne suis pas n’importe qui pour toi, dit Ghen Shi d’un ton morne, et je ne te conseille pas de t’entêter.

Nar Iang se tut, s’efforçant de surmonter sa peur. Ils n’oseraient rien lui faire, tant qu’il gardait le secret, car celui-ci disparaîtrait avec lui.

L’astrophysicien secoua la tête en silence, craignant de trahir sa peur en parlant. Silencieux lui aussi, Ghen Shi se mit à fumer une longue pipe. Du bout de celle-ci, il indiqua un coin de la pièce.

Les « violets » se précipitèrent sur Nar Iang à la vitesse de l’éclair et lui arrachèrent son pantalon ; les autres gardes ôtèrent la housse d’un objet se trouvant dans le coin de la pièce. Ghen Shi se leva nonchalamment et s’approcha de la sculpture en bois grossier d’un oumaag. Aujourd’hui pratiquement disparus, les oumaags étaient autrefois élevés sur la planète Ian-Iah et servaient de monture et d’attelage. La gueule de l’animal était déformée dans un rictus bestial ; son dos était taillé en forme de pointe.

Le « violet » demanda :

— On le met juste sur le siège, seigneur, ou bien…

— Ou bien ! répondit Ghen Shi. Il est têtu et le siège demande du temps. Je suis pressé.

Le « violet » fit un signe de tête, leva une poignée sur le front de la bête en bois et commença à tourner. Le dos en forme de pointe se mit lentement à s’ouvrir comme une gueule.

— Allez, mettez-lui les courroies ! dit tranquillement Ghen Shi, en faisant des ronds de fumée.

Avant que les gardes ne se soient emparés de lui, Nar Iang comprit l’étendue de son malheur. Dans le peuple couraient depuis longtemps de terribles rumeurs à propos de l’invention de Guir Bao – prédécesseur de Ghen Shi – permettant d’obtenir n’importe quel aveu. On installait la personne à califourchon sur l’oumaag et les mâchoires en bois sur le dos de la statue commençaient lentement à se mouvoir. Une terreur sauvage brisa l’entêtement et la dignité humaine de l’astrophysicien. Hurlant « je dirai tout », il rampa aux pieds de Ghen Shi, se retint au sol et demanda grâce.

— Enlevez les courroies ! commanda le souverain. Relevez-le, installez-le, non, pas sur l’oumaag, dans un fauteuil !

Et Nar Iang, maudissant sa bassesse, tremblant et sanglotant, raconta comment, le matin même, l’invité de la Terre avait parlé à l’assistance de l’institut technico-physique, sans deviner les conclusions auxquelles les savants de Ian-Iah étaient parvenus, d’après les tableaux de l’Univers.

— Et tu penses être le seul ?

— Je ne sais pas… l’astrophysicien hésita.

— Tu peux m’appeler Grand – dit Ghen Shi avec condescendance.

— Je ne sais pas, Grand. Je suis allé aussitôt dessiner et calculer.

— Et alors ?

— L’astronef est venu d’une distance infiniment éloignée du cosmos. Il faut au moins mille ans pour qu’une information, partie d’ici, atteigne la Terre, deux mille ans pour un échange de signaux.

— Cela signifie ? s’écria Ghen Shi, d’un air semi-interrogateur.

— Cela signifie qu’il ne peut y avoir de second astronef… J’ai assisté en tant que conseiller aux entretiens avec les Terriens… Et, autre chose, se hâta de dire Nar Iang. On nous a montré une séance du Conseil de la Terre où il a été décidé de détruire Ian-Iah : c’est un mensonge, un bluff, une mystification, une tentative d’intimidation. Ils n’effaceront personne de la surface de la planète ! Ils n’ont pas mandat pour le faire !

— Mais on peut mener ce genre d’action sans mandat, surtout si on est loin de ses souverains – Ghen Shi pensait à haute voix.

Soudain, il montra le savant du doigt :

— Personne n’est au courant ? Tu n’as parlé à personne ?

— Non, non, je le jure sur le Serpent, je le jure sur les Étoiles Blanches !

— Et c’est tout ce que tu peux m’apprendre ?

— C’est tout.

L’oreille avertie de Ghen Shi perçut une hésitation dans la réponse. Il fit jouer ses sourcils, qu’il avait discontinus comme la plupart des habitants de Ian-Iah, et transperça sa victime d’un regard impitoyable.

— Je regrette, mais il te faudra encore passer sur l’Oumaag. Eh, attrapez-le !

— Non, non, hurla Nar Iang, désespéré. J’ai dit tout ce que j’avais deviné. Seulement… Allez-vous me gracier et me laisser partir, Grand ?

— Alors ? hurla Ghen Shi, détruisant les dernières velléités du savant.

— J’ai entendu une conversation entre deux de nos physiciens, tout à fait par hasard, je le jure sur le Serpent ! Ils semblaient avoir résolu l’énigme du champ de protection des Terriens. Il ne faut pas essayer de le traverser au moyen d’attaques ponctuelles, en usant de balles ou d’explosions. Plus le coup est fort, plus le choc en retour est grand. Mais si on le coupe par une lente pression d’un rayon polarisé en cascade, le champ devient alors vulnérable. L’un des deux physiciens a dit qu’il aurait voulu essayer le générateur quantique qu’il vient de mettre au point.

— Leurs noms ?

— Dou Ban-La et Niou-Ke.

— C’est tout maintenant ?

— C’est vraiment tout, Grand. Je n’en sais pas plus. Je le jure…

— Tu peux partir. Donnez-lui une aiguille et son manteau et emmenez-le où vous savez.

Les « violets » s’approchèrent de Nar Iang qui remit son pantalon.

— Qu’il y en ait deux qui s’occupent de ces physiciens ! Non, prenez seulement Dou Ban-La. Les femmes font trop de boucan et elles sont plus obstinées. De tout façon, il y a une selle spéciale pour elles !

Le « violet » le plus âgé, s’inclina bien bas et sortit. On conduisit le savant vers la sortie. À peine eût-il franchi le seuil, que l’officier en noir, qui s’était tenu silencieux dans un coin, lui envoya dans la nuque une longue aiguille, au moyen d’un pistolet à air. L’aiguille pénétra sans bruit entre la base du crâne et la première vertèbre, stoppant net la vie de Nar Iang, en sorte qu’il n’eût pas le temps d’apprendre cette vérité toute simple : aucune circonstance, prière ou pacte, n’est possible avec un bandit. Les vestiges de l’ancienne croyance dans la parole donnée, l’honneur ou la pitié avaient causé la perte de nombreux Tormansiens, qui avaient tenté de faire carrière dans l’oligarchie et qui avaient cru aux « lois » et au « droit » de la clique de tueurs, quels qu’ils soient, essentiellement du Conseil des Quatre et de son entourage proche.

D’un geste, Ghen Shi écarta l’officier noir et entra dans le local voisin contenant les tableaux et écrans des appareils d’enregistrement. Tournant une vis bleue, il appela Kando Lelouf, ou Ka Louf, troisième membre du Conseil des Quatre, chargé de l’économie de la planète. Cet homme petit et rond portait une tenue de parade somptueuse qui le faisait ressembler à Zet Oug, mais il avait une mâchoire puissante, une petite bouche féminine et une voix de fausset.

— Kando, tu dois annuler tes rendez-vous, déclara Ghen Shi sans préambule. Viens tout de suite chez moi, d’où nous pourrons diriger une opération particulière. Nous avons une occasion rare d’accomplir ce que nous avions envisagé…

Moins d’une demi-heure plus tard, les deux membres du Conseil des Quatre avaient décidé, tout en fumant leurs pipes, d’un plan perfide.

Tchoïo Tchagass s’isolait de temps en temps dans un appartement secret de son palais (même Ghen Shi ignorait que cet appartement se trouvait dans les souterrains de la tour). Cette fois-là, le souverain s’absentait pour quarante-huit heures seulement, et cela signifiait que, pendant vingt-quatre heures au moins, ils avaient les pleins pouvoirs. On pouvait faire tant de choses en vingt-quatre heures !