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ÉPILOGUE

La « stellette » de la machine à mémoire avait depuis longtemps fini de montrer les films sur l’expédition de Tormans, mais les élèves avaient été si impressionnés qu’ils restèrent assis, pétrifiés. Le maître, sans inquiétude pour le psychisme solide des jeunes gens de l’Ère des Mains qui se Touchent, les laissa s’imprégner de ce qu’ils venaient de voir. Toujours les plus rapides, Kimi et Pouna furent les premiers à se reprendre.

— J’ai vieilli de mille ans ! s’écria Pouna. Quel monde terrible ! Et dire que nos gens de la Terre ont vécu là-bas ! Je me sens empoisonnée et pour longtemps. Peut-être n’aurais-je pas dû regarder l’inferno ?

— Vous n’avez pas vieilli, mais mûri, dit le maître en lui souriant. Mûrir est toujours difficile. Et vous deviendrez tout à fait adulte, si vous comprenez que les connaissances que vous apporte l’école et les expériences auxquelles elle vous soumet, ont un but autre que celui de vous remplir la tête d’une quantité de lois et de faits. Elle est le couloir obligatoire, par lequel chacun doit passer pour redresser ses instincts, avoir le sens de la conscience collective et surtout, de la prudence dans les actes et de la finesse dans les relations avec autrui. Ce couloir est très étroit et d’accès difficile.

— Maintenant, je comprends tout, approuva Pouna, et même les systèmes de protection qui semblent superflus. Ils sont absolument indispensables ! Plus une société a une structure complexe, plus il lui sera facile de tomber dans l’inferno. Et ceci encore, s’empressa d’ajouter la jeune fille, par nos pensées, nos actes et nos rêves, nous devons diminuer les souffrances et accroître la liberté de tous les autres peuples.

— Oh oui, tu as raison ! dit Kimi, ému. Je ressens une autre impression, très bizarre. La Terre est devenue mille fois plus douce et plus belle. J’ai maintenant compris combien notre demeure est confortable dans le monde infini, et combien il en a coûté pour la rendre ainsi. Mais, tout ceci est comme un fin rideau qui cache l’abîme des ténèbres, du passé de l’humanité et du destin de la planète. Je vais devenir historien comme Elle et je travaillerai à l’Académie des Joies et des Peines.

— « Elle », c’est bien sûr Faï Rodis, demanda le maître.

— Oui ! affirma fièrement Kimi. Et vous verrez que je ne me suis pas trompé dans mon choix.

— La petite-fille de Faï Rodis étudie à l’école du Troisième Cycle, près de Durban dans l’hémisphère Sud, dit malicieusement le maître.

— Quoi ? s’enflamma Kimi.

— Faï Rodis avait laissé une fille sur la Terre. Celle-ci a épousé le fils de Grif Rift et ils ont eu un fils et une fille, expliqua le maître. Les autres astronavigants aussi ont eu des descendants. Je connais les fils de Tchedi et les filles d’Evisa, qui sont nés après leur retour de Tormans, ajouta-t-il.

— Pourtant l’une d’elle est revenue blessée physiquement, et les deux ont dû être blessées moralement, remarqua Dalve. On ne peut traverser l’inferno comme elles l’ont fait, sans que cela laisse des traces. J’ai eu peur pour la première fois en comprenant l’extrême fragilité de la culture humaine. Les Tormansiens ont atteint le cosmos, ont vaincu l’espace de façon inimaginable, le destin leur a accordé une belle planète…

— Oui ! Et après l’avoir pillée, ils ont roulé dans le sombre abîme, dans l’inferno, ils ont tué et sont devenus mauvais, ajouta Yvette d’une voix étranglée par l’émotion.

— Chez eux, tout est inversé par rapport à notre monde, comme Tamas : un vif individualisme, de grandes aptitudes qui, au lieu de servir la société rendent l’homme égoïste et renfermé, uniquement préoccupé de lui-même, dit la rêveuse Kounti.

Mais Mirane, plus morose que jamais, ajouta :

— J’ai perçu toute la profondeur de la chute des Tormansiens, à travers leur relation avec l’art. Ils n’ont pas compris que les artistes arrachaient grains par grains à la mort dans le temps et à la dispersion dans l’espace, la beauté, le rêve, l’idéal non réalisé mais possible, loin des sentiments décadents et du bonheur éphémère de la nature. Ils ont ainsi préparé l’échelle qui permettrait de sortir de l’inferno.

— Très bien dit, Mirane, le félicita le maître. Le rôle de l’artiste consiste justement à aider à s’élever hors de l’inferno, faute de quoi, il ne s’agit que d’un talent aveugle, si grand soit-il. Le spectre du charme de la nature : force bestiale du corps, sentiment d’une liberté incontrôlée, vertige d’un nomadisme éternel, de la chasse, de la lutte, « mauvais » sortilèges de la passion obscure, tout cela compose l’essence animale des fils et des filles sauvages de la Terre. À toute cette magie puissante et ancienne, opposez la lumière et l’univers illimité de la noosphère qui surplombe les sombres profondeurs de la victoire du « moi » sur lui-même.

— Et qu’est-il ensuite arrivé à l’équipage de la « Flamme sombre », une fois sur Terre ? demanda Pouna.

— Vous le lirez dans plusieurs romans, vous le verrez dans quelques films consacrés au destin ultérieur de ceux qui sont revenus, répondit le maître.

— Nous parlons de ceux qui sont revenus, dit Kimi. Mais que s’est-il passé sur Tormans ? Connaît-on les destins de Vir Norine et de Tael ? L’astronef a-t-il vraiment décollé aussitôt après la mort de Rodis, abandonnant la planète à son destin ? Les nôtres n’ont pu faire ça !

— Ils ne l’ont pas fait ! dit le maître. Et j’attendais cette question. Voilà la « stellette » complémentaire enregistrée sur la « Flamme sombre ». Elle est courte. Je vous conseille de la regarder sans tarder, tant que votre mémoire conserve le souvenir vivace des souffrances endurées…

Une minute avant la catastrophe, Vir Norine s’était branché sur l’astronef. Il vit tout par l’alignement latéral de son écran. Il en fut de même pour Tael, grâce au Neufpattes d’Evisa qu’il avait pris dans le sanctuaire.

Tael s’écroula sur le sol empierré de l’édifice où il attendait Rodis. Le bruit du SVP le fit se lever. Vir Norine demandait qu’on lui fournisse d’urgence une houppelande noire à capuchon, comme celle des tueurs.

— Qu’allez-vous faire, Vir ? Rodis, l’unique Rodis, n’est plus !

— Mais l’appareil qui l’a tué est encore là. Je suis sûr qu’il n’y en a qu’un. Sinon, ils nous auraient tué les deux en même temps. Tael, vous allez devenir un Terrien ! Faites vite ! Je vous rejoins.

Siou-Té, en pleurs, éprouvée mais non abattue, resta à attendre Vir Norine, près des murs écroulés d’une cabane de jardinier, sous la protection du Neufpattes.

Lorsque Vir Norine arriva au laboratoire Zet Oug, Tael s’était déjà procuré le costume d’un tueur de la nuit. Vir Norine descendit dans le souterrain. Évitant la galerie menant au cinquième temple, il se dirigea avec assurance vers la place du monument du Temps Tout-Puissant. Près du portail principal du temple, des « violets » dans leur uniforme habituel, chassaient la foule des habitants réveillés par l’explosion. À la vue de Vir Norine, les gens s’écartèrent effrayés. Il se contraignit à ne pas regarder les deux bourreaux, de faction devant le portail. Des silhouettes, à peine visibles, couraient dans le jardin à la recherche de quelqu’un. Vir Norine pensa à la finesse et à la rapidité de pensée de Faï Rodis qui avait sauvé d’un grand danger les forces naissantes de l’opposition tormansienne.

Les allées et venues des tueurs noirs simplifièrent le problème. Sans se faire remarquer, Vir atteignit le cinquième temple, qu’il connaissait bien, et emprunta l’escalier menant au corridor supérieur, où une cinquantaine d’hommes noirs étaient réunis. Avançant lentement le long du mur, comme sans y prendre garde, l’astronavigateur entendit des bribes de phrases, qui s’assemblèrent en un tableau clair :