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Grif Rift, chassant la pensée obsédante de Rodis, réfléchit à la liste des objets entassés dans le disconef, s’efforçant de ne rien oublier d’important, comme si Vir Norine allait rester sur une planète inhabitée. L’absence de liaison finit par inquiéter le commandant. L’idée qu’il put y avoir d’autres victimes parmi les Terriens ou leurs amis Tormansiens était insupportable. La capitale garda un silence têtu et l’ignorance de ce qui se passait fit paraître le temps long, même pour les Terriens d’un naturel patient.

Rift se demandait s’il n’allait pas répondre à Tchoïo Tchagass et l’interroger avec précaution sur Tael, lorsque se fit entendre un appel. Vir Norine apparut sur l’écran… Les limiers des « violets » avaient découvert le souterrain du Temple du Temps, mais l’avaient trouvé vide et traité par une composition détruisant les odeurs. Les architectes découvrirent un vaste abri à la lisière de la capitale, non loin d’un lac asséché. C’est là, sur un ancien champ de bataille que devrait atterrir le discoïde sans pilote.

Vir Norine donna les coordonnées et s’écarta. L’ingénieur salua ses amis terriens et présenta deux stéréofilms sur l’écran du SVP. Sans les explications de Vir Norine, les astronavigants, n’auraient pas reconnu les dignitaires assis, morts, dans leurs fauteuils noirs luxueux, leurs visage décomposés par la peur. Les terribles couteaux de Ian-Iah n’avaient pas été retirés et sortaient de leurs corps tordus. Ghen Shi et Ka Louf avaient reçu un châtiment mérité, sans attendre le jugement et l’enquête de Tchoïo Tchagass qu’ils voulaient renverser. Des centaines de gens servilement dociles avaient embrouillé le souverain par une accumulation de mensonges. Mais d’autres juges étaient intervenus, « Les Anges Gris », reprenant leur activité avec une puissance inouïe.

— On a encore condamné à mort vingt personnes coupables de l’attentat, les informa l’ingénieur avec un triomphe coléreux.

— À quoi cela vous a-t-il servi ? demanda Grif Rift.

— C’était indispensable. Il faut être systématiquement et absolument impitoyable pour se protéger de l’arbitraire, du mensonge et du déshonneur. Vous-mêmes, sur la Terre, vous observez scrupuleusement dans vos rapports sociaux la troisième loi de Newton : action égale réaction. Il faut opposer une réaction rapide sans attendre, comme autrefois, l’intervention d’un dieu, du destin, du souverain… Les gens ont attendu longtemps le châtiment des tortionnaires, mais les siècles ont passé, accumulant le mal et renforçant la puissance des méchants. Alors, votre société a repris à son compte le châtiment divin de Némésis : « À moi, la vengeance ! à moi de la donner ! », ce qui a éradiqué rapidement la bassesse et les tourments. Vous n’imaginez pas combien de vilenie humaine nous avons accumulé pendant les nombreux siècles où les gens les meilleurs ont été exterminés, alors que survivaient essentiellement les conformistes minables, les délateurs, les tortionnaires, les oppresseurs ! Nous devons prendre exemple sur vous, mais ne pas vous imiter aveuglément. Lorsqu’on commence à tuer, secrètement et honteusement, des milliers de « porte-serpent » et leurs acolytes – les tortionnaires « violets » –, alors, une position élevée au gouvernement cesse d’attirer les vauriens. Rodis et vous tous, nous avez beaucoup appris, mais nous devons organiser les moyens de lutte par nous-mêmes. Les belles images de la Terre et l’esprit puissant de Vir Norine nous soutiendront dans notre longue route. Il n’y a pas de mots pour exprimer notre reconnaissance, frères ! Ce monument restera à jamais avec nous : Tael montra une vue de « La Flamme sombre » prise au télé-objectif d’une altitude proche de l’astronef.

Olla Dez la rephotographia lentement. Siou-Té entra dans le champ de vision et dit quelque chose à Vir Norine.

— Le discoïde est tombé à cent mètres de nous ! s’écria Vir Norine, et il ajouta d’une voix à peine audible : « Maintenant, c’est tout ».

Tael, Siou-Té et Vir Norine se tinrent près du Neufpattes. Les huit Terriens formèrent le rang d’adieu. Tchedi, ne supportant pas le silence, s’écria :

— Nous reviendrons ! Nous reviendrons sûrement !

— Lorsque l’Heure du Taureau aura pris fin ! Et nous ferons en sorte que cela se produise au plus vite, répondit Vir Norine. Mais si les démons de la nuit empêchent l’aube d’arriver et que la Terre ne reçoit pas de mes nouvelles, il faudra qu’un autre astronef vienne dans cent années terrestres.

Vir Norine tendit sa main droite vers le bracelet. L’écran de TVP du vaisseau devint noir et muet. Simultanément, sur le tableau, la lumière verte de l’astronavigateur s’éteignit. Une seule lumière – non pas celle de l’homme de la Terre, mais celle du Tormansien Tael – continua de briller, symbole de la fraternité restaurée des deux planètes.

Le voyage de retour de « La Flamme sombre » s’avéra encore plus difficile que celui de l’aller et prouva une fois de plus l’imperfection dangereuse de l’ARD. Pour une raison imprécise, l’astronef dévia de la trajectoire prévue : au lieu de tomber – comme un vautour sur sa proie – des hauteurs de la galaxie directement dans la huitième révolution de sa spirale, il transperça trois bras en spirale et sortit à la limite extérieure de notre île de Shakti dans la ceinture des étoiles « roentgen » ou à neutrons, d’une densité si inhabituelle qu’un centimètre cubique de leur substance aurait pesé cent millions de tonnes sur Terre. Des tourbillons épars de la matière de Shakti brûlèrent au milieu de ces colonnes de soutien de substance massive, aux lieux de contact avec les parcelles les plus compactes de Tamas. Là comme dans des cratères sans fond, tourna, en une sorte de fuite apparente, un rayonnement absorbé par Tamas. Ces tourbillons se répandirent à la périphérie de la galaxie, comme la matière inversée de notre univers. Il s’écoula un assez long laps de temps avant que le phénomène ne fut découvert. À l’époque où l’on commença à connaître la zone limite du monde de Shakti, ces cratères furent appelés quasars. La structure complexe des régions extérieures de la Galaxie et l’Intergalaxie n’avait pas été établie dans la « stellette » décrivant le retour de « La Flamme sombre ». Les élèves comprirent seulement qu’un danger menaçait une fois encore le vaisseau.

Ils virent au TVP de brefs enregistrements du voyage, mis dans la machine à mémoire de l’astronef : Menta Kor, amaigrie, pâlie par le travail constant, le commandant Grif Rift qui n’avait pas dormi pendant des semaines, les ingénieurs-pilotes et les ingénieurs calculateurs Div Simbel et Sol Saïn éreintés. Chacun eut son « garde du corps ». Sol Saïn fut prise en charge par Evisa, Simbel par Tchedi, Rift par Olla Dez, tandis que Neïa Holly s’occupa à la fois de bio-protection et de surveiller Menta Kor, de la faire boire et manger, de la masser et de la faire dormir pendant les pauses.

« La Flamme sombre » s’arracha à la zone externe de force sans dommage, mais avec une déperdition d’énergie. La seconde évolution, à la limite de l’abîme, fut plus réussie, et l’astronef entra dans la 26e région de la 8e révolution. Il ne restait plus ensuite que trois mois de route avant d’atteindre la Terre. L’astronef se posa sur le plateau du Revat, à l’endroit même d’où il était parti onze mois plus tôt.

— Vous savez tous – et depuis longtemps – ce qui s’est passé sur Terre après l’arrivée du vaisseau, dit le maître en éteignant le TVP. Il s’arrêta, comme s’il attendait quelque chose.

— Le délai donné par Tael a pris fin ! comprit soudain Kimi et les autres approuvèrent. Il est temps d’envoyer un ARD, là-bas, sur Tormans !

— Est-ce que vraiment rien n’a été fait ? s’écria Aïode. Et personne ne s’est adressé au Conseil d’Astronomie ?