— Oh, oh ! dit quelqu’un, avec un soupir plein de brûlante désillusion dès que la machine s’arrêta de parler une seconde.
« Avertissement à toute vie aérobie. N’atterrissez pas. La planète est peuplée d’une civilisation humanoïde de forte densité, d’IAT (Indice d’Altitude Technique) d’environ 36 et n’appartenant pas au GA[13]. Un refus catégorique a été opposé à la demande que nous avons faite dans leur langue d’accueillir un astronef. Ils ne veulent pas de visiteurs. N’atterrissez pas sur la planète ».
La machine fit une seconde pause. Des signes et des lettres superflus, car les coordonnées des Terriens étaient connues d’avance défilèrent sur la lucarne. Les gens restèrent silencieux jusqu’à ce que les notes et les chiffres des indicatifs galactiques se répètent à nouveau.
— Tout est clair ! Olla Dez éteignit l’appareil.
— Oui ! dit l’astronavigateur tristement. Le satellite est équipé de bombes. Le 3e siècle a bien fait son travail. Braves Céphéens !
— D’ailleurs s’ils n’avaient pas été là… commença Olla Dez.
— Nous ne serions pas ici, dit sèchement Sol Saïn et il se mit à rire sous l’effet de la tension endurée.
Chacun commença à s’agiter et à parler pour s’efforcer de dissimuler aux autres sa propre désillusion.
— Je réclame votre attention, dit Grif Rift, en interrompant les conversations. Il se tourna vers Faï Rodis. « Quel est votre plan ? »
— Le même qu’auparavant, pas de changement, répondit-elle, redevenue la Rodis d’avant, tranquille et ferme.
— Faut-il d’abord s’approcher du satellite, interrogea Grif Rift, maintenant que la communication des Céphéens confirme qu’il est inhabité ?
— Oui, il le faut. Grâce à notre expérience, nous pourrons voir ce que les Céphéens ont pu ne pas comprendre et, par conséquent, ne pas remarquer. Peut-être est-il resté sur le satellite des armes de l’ancienne civilisation de Tormans qui l’ont entraînée dans sa chute. Il a pu exister sur la planète une civilisation bien plus ancienne qui a été ruinée ou a été détruite par les habitants actuels de Tormans, si ce sont des nouveaux venus…
Grif Rift opina de la tête en silence.
« La Flamme sombre » s’approcha lentement du satellite et, réglant sa vitesse orbitale sur la sienne, commença le survol du globe inanimé de 600 km environ de diamètre, comme Mimas de Saturne. Les stéréotélescopes puissants fouillèrent la surface grise, sillonnée par endroits de fissures rectilignes indiquant des crevasses et des montagnes peu élevées. Les appareils prirent directement des films avec un grossissement suffisant pour discerner chaque pierre. Un survol croisé ne put apporter la moindre petite preuve que le satellite était peuplé d’êtres vivants ; on découvrit même la station-missile des Céphéens, douillettement installée dans un demi-cirque enfoncé dans un ravin abrupt de lave claire et bouillonnante. C’est dans ce lieu commode, protégé des météorites que fut lancée, lors du second survol, la station-missile de « La Flamme sombre » annonçant dans la langue de l’Anneau qu’un ARD de la Terre était arrivé là avec une mission particulière et qu’il atterrirait sur la planète. Les travaux de la station devaient se poursuivre pendant plus de cinq ans à dater du lancement, ce qui signifierait la perte de l’astronef, ce dont la planète ST3388+04JF (la Terre) devrait informer l’Anneau à la première occasion.
— Il ne faudra pas oublier de débrancher au moment du retour, dit Div Simbel soucieux, ce genre de blague s’est déjà produit alors qu’il fallait fuir des planètes dangereuses.
— Nous avons un dispositif de sécurité doté d’un circuit complémentaire, affirma Sol Saïn. Si nous nous éloignons de Tormans et de son satellite, la station lancera un signal sonore jusqu’à ce que ce soit débranché.
— Alors, tout est prêt ! Il est temps d’aller sur Tormans, dit l’ingénieur pilote en baillant.
— Essayons de nous reposer. Faï Rodis nous a averti d’approcher le plus lentement possible de la planète par son côté diurne, sans utiliser ni radar ni signaux.
— Cachons-nous comme les chasseurs de bêtes sauvages d’autrefois, ricana mécontent Sol Saïn.
— Cela ne vous plaît pas ? s’étonna Div Simbel.
— C’est mal de se cacher, d’approcher en catimini !
— Faï Rodis a dit qu’il était indispensable de ne pas troubler les habitants de Tormans. S’ils ont des sentiments hostiles envers les invités du Cosmos, alors, la venue de « La Flamme sombre » entraînera des troubles et il nous faudra tourner en orbite autour de la planète pendant un mois ou deux, le temps d’apprendre leur langue et de nous familiariser avec leurs mœurs. S’ils apprennent qu’un astronef survole leur planète, nous ne pourrons même pas expliquer pourquoi nous sommes là.
— Les Céphéens l’ont expliqué, eux !
— Ils n’avaient dû apprendre qu’une ou deux phrases. Et ils ont essuyé un refus. Il ne doit pas en être de même pour nous, le voyage a été trop long. Tormans est notre but et non une planète rencontrée sur notre route, dit Div Simbel.
— Mais est-ce que cela ne ressemble pas à de l’espionnage indélicat, dit Sol Saïn refusant de se rendre. Méthodes valables pour les gens du passé, mais non pour une société de forme supérieure… Mais voici notre sociologue. Qu’en pensez-vous Tchedi ? L’ingénieur en cybernétique répéta la conversation.
La sociologue réfléchit un instant, puis déclara d’un ton résolu :
— Il serait indigne des gens de la Terre et de notre ère d’apparaître, d’observer et de repartir en douce. Nous ne ferions rien de mal, mais cela serait… comme de regarder dans la chambre de quelqu’un à son insu… Nous donnerons des explications une fois que nous aurons atterri et ils comprendront.
— Et s’ils ne comprennent pas et ne nous reçoivent pas, s’entêta Sol Saïn avec un clin d’œil malicieux.
— Je ne sais que décider. Je suis d’accord avec Rodis.
— Moi aussi, dit l’ingénieur pilote. D’autant plus que vous perdez de vue tous les deux un détail essentiel. Nous accomplirons notre vol orbital à une altitude si élevée que nous ne verrons que les détails les plus généraux de la vie de la planète. Nous ne pourrons capter que les émissions destinées à toute la planète. Autrement dit, nous ne verrons et n’entendrons que la vie ordinaire et officielle. Il ne nous en faut pas plus pour comprendre leur langue et leurs règles de conduite.
— Très juste, Div. Je n’avais pas pensé immédiatement à cette chose si simple. Qu’en dites-vous, Sol ?
L’ingénieur en cybernétique leva les mains en signe d’accord.
— Une chose encore, ajouta Div Simbel. Ils n’ont pas de satellite artificiel à haute altitude, aussi ne détruirons-nous rien de leur système de liaison.
— Ils n’ont peut-être pas de satellite du tout, ni à haute ni à basse altitude ? demanda Sol Saïn.
— Nous le verrons bientôt, dit Div Simbel.
Chapitre III
AU-DESSUS DE TORMANS
« Vitesse équatoriale de la planète, gamma 1, 1/16, période de révolution, 22 heures terrestres… » annonça le Totalisateur articulant distinctivement les mots, comme le font les robots. Le récepteur du journal de bord dévidait l’énorme ruban des enregistrements. Les automates de « La Flamme sombre » observaient minutieusement Tormans, ne laissant échapper aucun détail.
— La quantité d’acide carbonique dans les couches inférieures de l’atmosphère est étonnante, dit Tor Lik. Et combien y en a-t-il encore en dissolution dans les océans ! Cela ressemble à l’ère géologique paléozoïque[14] de la Terre, lorsque l’acide carbonique n’était pas encore partiellement lié aux processus de formation du carbone.