— L’effet orange ? s’informa Sol Sen.
— Le climat, ici, est généralement doux et régulier. L’équateur de Tormans se trouve « à la verticale » par rapport à celui de la Terre, c’est-à-dire qu’il est perpendiculaire à la surface de l’orbite et que l’axe de révolution est confondu avec la ligne d’orbite…
— La pénurie d’eau peut réduire à néant ces avantages, dit Grif Rift prenant part à la conversation après avoir lu les courbes du sondage effectué à la surface. L’étendue des océans occupe cinquante cinq centièmes, mais la différence médiane des oscillations est de un à deux kilomètres selon la profondeur.
— Cela ne prouve pas en soi le manque d’humidité, dit Tor Lik ; il nous faut établir le bilan d’évaporation, de saturation des vapeurs d’eau, la répartition des courants du vent. Par un tel climat, il ne faut pas s’attendre à de grosses réserves de glace aux pôles, nous n’en verrons même pas. Il n’y a ni front polaire ni, d’ailleurs, déplacement important des masses d’air.
Ils continuèrent à travailler, jetant de temps en temps un coup d’œil sur la trappe de visibilité que Ghen Atal avait ouverte pour eux. Traversant les murs épais du vaisseau, la trappe, terminée par une large baie en yttrium transparent, permettait, grâce à un système de réflecteurs, d’examiner à l’œil nu la planète que l’on voyait se déplacer imperceptiblement au-dessous de l’astronef. « La Flamme sombre » accomplissait sa rotation à une altitude de 22 000 km et à peine plus lentement que la planète ; il était donc commode d’observer la surface de Tormans. Le tapis nuageux qui, au début, avait semblé aux Terriens étrangement dense abondait en larges éclaircies à l’équateur, éclaircies à travers lesquelles on apercevait des mers couleurs de plomb, des plaines brunes ressemblant à des steppes ou à des forêts, des crêtes jaunes et des massifs montagneux effondrés et peu élevés. Les observateurs s’habituèrent petit à petit à l’aspect de la planète, et la plupart des détails des photographies devinrent compréhensibles.
Tormans avait des dimensions pratiquement identiques à celles de la Terre et lui ressemblait en de nombreux traits d’ordre planétaire, mais elle s’en différenciait profondément par les détails de sa planétographie. Si les mers occupaient à l’équateur une place importante, les continents étaient rapprochés des pôles. Séparés par des détroits méridionaux, ou plus exactement par des mers, les continents formaient deux sortes de couronnes de quatre segments chacune, qui s’élargissaient vers l’équateur et se rétrécissaient vers les pôles, comme l’Amérique du Sud sur la Terre. Vue de loin et d’en haut, la surface de la planète donnait une impression de symétrie très différente de la Terre et des contours compliqués de ses mers et de ses terres. Entre les grands fleuves qui coulaient généralement du pôle à l’équateur et se jetaient dans l’océan équatorial ou dans son golfe, apparaissaient de larges étendues de terre non irriguée, vraisemblablement des déserts.
— Qu’en dit le planétologue ? Est-ce une planète sauvage ? demanda Sol Saïn en clignant des yeux comme à son habitude.
— Pas du tout ! répondit Tor Lik d’un air sérieux. Elle est plus ancienne que notre Terre, mais ses rotations sont plus rapides. C’est pourquoi l’ondulation polaire des continents a avancé plus vite et est allée plus loin que chez nous. La symétrie, ou plus exactement la ressemblance entre les deux hémisphères, est une coïncidence. Les fonds de Tormans sont, sans doute, plus calmes que ceux de la Terre : ni élévation, ni dépression aussi accentuées, peu ou pas de volcans en éruption, très faibles tremblements de terre. Tout cela est homogène, mais ce qui est le plus étonnant…
— C’est la concentration d’acide carbonique malgré une forte teneur en oxygène ? s’écria Grif Rift.
— Les Tormansiens ont brûlé beaucoup trop de combustible naturel. Il nous sera difficile de respirer et il nous faudra éviter les gouffres profonds du relief. Par contre, la mer saturée d’acide carbonique est transparente comme aux époques les plus anciennes de la Terre… avec, sans doute, une masse sédimentaire calcaire au fond. Tout cela n’influe pas sur le chiffre de la population indiqué par les Céphéens il y a deux cent cinquante ans…
— C’est vrai que les contradictions entre la planétographie et la démographie sont nombreuses, concéda Grif, mais il ne faut peut-être pas essayer de les résoudre avant de descendre à une orbite plus basse. Puisqu’ils n’ont pas de satellite artificiel, rien, sinon le risque d’être découverts, ne nous empêche de survoler la planète à l’altitude que nous voulons.
— D’autant plus que nous avons déjà pris tout ce qu’il nous fallait depuis la première orbite, reprit avec force Tor Lik.
— Tchedi et Faï sont encore occupées. Nos linguistes ont réussi à se procurer des textes suffisamment longs pour élucider la structure de la langue d’après la méthode de Kam Amat. Faï Rodis veut que, lorsque nous approcherons de la planète, nous suivions les émissions de télévision, afin de comprendre la langue de Tormans.
— Naturellement ! Il faut éviter les fausses associations qui créent des clichés tenaces empêchant la compréhension.
— Vous, les planétologues, on ne vous a pas si mal préparés ! Même au point de vue psychologique !
— On a depuis longtemps remarqué que les physiciens-cosmologues auraient une formation imparfaite, s’ils se cantonnaient uniquement dans leur sphère. Des erreurs dangereuses ont été commises, parce que l’homme n’était pas considéré en tant que facteur de l’échelle planétaire. Maintenant, on y fait attention, dit Tor Lik en se levant et en arrêtant la marche paresseuse du ruban jaune.
— Et vous avez, de plus, parfaitement réussi dans votre spécialité. À peine aviez-vous fini les Exploits d’Hercule que vous avez inventé le bolomètre à gypse et, qu’avec l’aide d’un satellite, vous avez découvert cette gigantesque zone de métaux cuivreux à propos de laquelle les géologues discutent encore aujourd’hui comme d’une exception rarissime.
Le jeune planétologue rougit de plaisir et ajouta pour cacher son trouble :
— Et cette exception gît à une profondeur de deux cents kilomètres, presque sous le Bouclier de Sinius !…
Le planétologue n’eut pas longtemps à attendre. Quelques jours plus tard (les nuits étaient beaucoup plus courtes à cette altitude), « La Flamme sombre » glissa insensiblement sur une orbite, dont l’altitude était de moitié inférieure au diamètre de Tormans et augmenta sa vitesse relative, afin de ne pas dépenser trop d’énergie.
Tchedi et Faï Rodis avaient garni la salle ronde d’hypno-tableaux de la langue de Tormans. Chaque membre de l’équipage, une fois son travail normal terminé, entrait là et s’absorbait dans la contemplation des schémas. En même temps qu’il écoutait le son des mots, il en enregistrait inconsciemment le sens. Ce n’était pas une langue si étrangère que cela, car la sémantique et son aldéologie ressemblaient beaucoup aux langues anciennes de la Terre avec un mélange étonnant de mots d’Asie orientale et d’anglais – langue largement répandue à la fin de l’EMD. Comme celle de la Terre, la langue de Tormans était planétaire, mais certains dialectes subsistaient dans les différents hémisphères de la planète et il fallut donc imaginer des noms conventionnels analogues aux noms de la Terre. On donna le nom d’Hémisphère Nord à l’hémisphère tourné en avant selon la rotation de Tormans ; celui tourné dans l’autre sens, vers l’arrière, fut appelé Hémisphère Sud. Comme on l’apprit plus tard, les astronomes de Tormans leur avaient donné les noms d’Hémisphère de Tête et d’Hémisphère de Queue : Hémisphère de Vie et Hémisphère de Mort.