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Était-il possible que les films sur le passé de la planète calment la nostalgie naturelle des Tormansiens envers leur nature autrefois variée ? La majorité écrasante de la population vivait dans de grandes villes où, sans nul doute, les courses hardies et les tirs dans les vastes steppes, les parties de chasse dans les forêts épaisses sous les étoiles claires et scintillantes, appartenaient à un passé à jamais révolu.

On avait plus de mal à expliquer un tout autre genre de spectacle : de jolies femmes ôtaient une partie de leurs vêtements avec des gestes érotiques et se pâmaient dans les bras des hommes, dans des positions dont la franchise donnait la nausée. Pourtant, pas une seule fois, les Terriens ne virent de totale nudité ou d’érotisme pur, comme c’était si fréquent sur leur planète natale. Ici, on devait obligatoirement cacher une partie du corps, la dissimuler en insistant sur les qualités interdites ou secrètes, dans le but évident d’éveiller une imagination faible ou de donner un goût particulier à des relations sexuelles devenues ennuyeuses et dépourvues d’intérêt.

Cet érotisme spécifique se combinait avec l’obligation – inconnue sur la Terre – de porter des vêtements. Personne n’osait apparaître dans un lieu public ou rester chez soi avec d’autres personnes, autrement que complètement vêtu.

Les femmes portaient le plus souvent d’amples chemises courtes, aux revers étroits, aux manches longues et larges, resserrées d’une souple ceinture généralement noire, des pantalons larges aussi et parfois des jupes longues jusqu’à la cheville. Les costumes des hommes étaient à peu près analogues, mais les chemises avaient des pans plus courts. Seuls les jeunes gens portaient des shorts au-dessus du genou comme ceux des Terriens. Dans les réunions publiques ou dans les fêtes, les vêtements étaient en tissu brillant et façonné, sur lesquels on jetait des manteaux courts ou des capes merveilleusement brodées.

Les habits semblaient confortables et faciles à confectionner. Ils correspondaient au climat de la planète et aux conditions de travail très variées. Le mariage heureux de rouge et de jaune plaisait visiblement à la plupart des femmes et convenait parfaitement au teint hâlé de leurs peaux et à leurs cheveux noirs. Les hommes préféraient le violet foncé et le pourpre et faisaient contraster les couleurs des parements aux manches et aux revers. Une partie des Tormansiens portait sur le côté gauche de la poitrine, au-dessus du cœur, des galons ayant la forme d’un long losange horizontal garni de signes. Comme le fit remarquer Tchedi, un respect particulier entourait ceux qui avaient un losange orné d’une sorte d’œil brillant. Mais, en général, le respect envers autrui semblait absent. Au grand étonnement des astronavigants, on se bousculait sans cérémonie dans la rue, on refusait de laisser passer les gens, on ne venait pas en aide au passant qui trébuchait. Mieux encore, les menus incidents comme les chutes dans la rue provoquaient le rire des témoins occasionnels. Si quelqu’un cassait un objet fragile ou renversait un fardeau, alors, les gens souriaient, comme s’ils étaient contents de ce petit malheur.

Dès qu’un accident avait lieu – les émissions de télévision montraient parfois des accidents de voitures et d’appareils volants – la foule se rassemblait aussitôt.

Les gens entouraient les victimes et restaient là en silence à observer avec une curiosité avide les hommes vêtus de jaune – de toute évidence, médecins et sauveteurs – qui portaient secours aux blessés. La foule augmentait, de tous côtés arrivaient en courant de nouveaux spectateurs et leurs visages exprimaient une curiosité bestiale et avide. Ce qui étonna le plus les Terriens fut qu’ils n’accouraient pas pour porter secours, mais seulement pour regarder. Lorsqu’il s’agissait de retransmissions en direct du stade, de l’usine, des stations d’information, des rues de la ville ou des habitations elles-mêmes, la musique ou la voix du speaker était immanquablement accompagnée d’un hurlement sourd monotone, que les astronavigants prirent d’abord pour une mauvaise retransmission. De toute évidence, on ne se souciait pas de supprimer le bruit sur Tormans. Les moteurs des voitures hurlaient et crépitaient, les appareils volants faisaient trembler le ciel. Les Tormansiens parlaient, sifflaient et criaient fort, absolument sans se gêner. Des milliers de petits postes de radio déversaient dans un hurlement général un mélange discordant de musique, de chant ou simplement de paroles à la modulation retentissante et désagréable. Que les habitants de la planète puissent supporter ce bruit ininterrompu, qui ne s’atténuait qu’en pleine nuit resta une énigme pour le médecin et la biologiste de « La Flamme sombre ».

Se familiarisant peu à peu avec la vie étrangère, les Terriens s’aperçurent d’une bizarre particularité dans la diffusion des informations de la planète. Leur programme était tellement différent du contenu des programmes généraux des émissions de la Terre qu’il nécessita une étude particulière.

On accordait un minimum d’attention aux progrès de la science, à l’art, aux découvertes historiques, choses qui occupaient une place essentielle dans les émissions de la Terre, sans parler de l’absence complète sur Tormans de nouvelles en provenance du Grand Anneau. Aucune information planétaire sur quelque changement que ce fut dans les structures générales, les perfectionnements ou les projets de grandes constructions, l’organisation de recherches importantes. Personne ne soulevait de questions, ni ne les exposait, comme sur la Terre, devant les Conseils, personne ne s’adressait personnellement aux esprits les plus élevés de l’humanité.

Une toute petite place était consacrée à l’examen et à l’étude des nouveaux problèmes de mise en scène théâtrale, suscités par les tournants et les changements de la conscience collective et des mérites personnels. Mais la plus grande partie des émissions était consacrée à des films sur le passé sanglant, la conquête (ou plus exactement la destruction) de la nature, les sports de masse. Il sembla incroyable aux gens de la Terre, que des compétitions sportives rassemblent une telle quantité de spectateurs qui ne participaient même pas aux épreuves, mais que la rivalité entre sportifs excitait de façon incroyable. Ce ne fut que plus tard que les Terriens comprirent le pourquoi de la chose. Aux épreuves sportives participaient des gens soigneusement sélectionnés, qui avaient consacré tout leur temps à l’entraînement opiniâtre et stupide de leur spécialité. Personne d’autre ne pouvait participer à ces compétitions. Les Tormansiens, physiquement et psychiquement faibles comme des petits enfants, étaient en adoration devant leurs sportifs vénérés. Cela semblait drôle et même répugnant. Les artistes occupaient une position analogue. Ils étaient choisis parmi les millions de gens. Les meilleures conditions, le droit de participer aux mises en scène, aux films, aux concerts leurs étaient octroyés. Leurs noms servaient à appâter les nombreux spectateurs qui se battaient pour les places de théâtre, tandis que les artistes eux-mêmes qu’on appelait des « stars » étaient soumis à la même idolâtrie naïve que ces sportifs. La position atteinte par la « star » le – ou la – dispensait de toute autre activité. Aucune autre personne, ayant atteint elle-même un niveau artistique certain, ne pouvait se produire en qualité d’artiste, comme cela se faisait sur la Terre. La marque du professionnalisme étroit s’étendait, en règle générale, sur toute la vie de Tormans, appauvrissant les sentiments des gens en rétrécissant leur horizon. Mais peut-être ces impressions étaient-elles dues au choix des événements et des matériaux d’information. Les astronavigants ne pourraient répondre à cette question que lors du contact direct avec le peuple de la planète.