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Dans les émissions de télévision et les informations à la radio, on attachait une très grande importance à un petit groupe de personnes, à leurs faits et gestes, à leurs délibérations et à leurs décisions. Le nom de Tchoïo Tchagass était le plus souvent mentionné. Ses opinions sur différents sujets de la vie publique et, avant tout, sur l’économie, suscitaient un enthousiasme démesuré, et il était reconnu comme la plus haute sagesse de l’état. Était-il possible que les dires de Tchoïo Tchagass, bien qu’éloignés de la clairvoyance véritable du génie capable de saisir un problème dans sa profondeur et son étendue, soient quand même très importants pour les habitants de Tormans ? Comment les voyageurs pouvaient-ils en juger à une altitude de six cent mille kilomètres ?

Faï Rodis et Grif Rift le rappelèrent à leurs jeunes et bouillants camarades aux jugements tranchants.

Curieusement, malgré les informations constantes sur les interventions et les déplacements de Tchoïo Tchagass et des trois autres personnes, ses conseillers les plus proches qui formaient avec lui le Conseil des Quatre, – organe suprême de la planète Ian-Iah – aucun des astronavigants n’avait encore réussi à les voir. Cités plus souvent que les autres, ces personnages semblaient être présents partout et nulle part.

Une seule fois au cours d’une émission sur la ville du Centre de la Sagesse, la foule qui avait envahi les rues et les places, accueillit avec un hurlement d’enthousiasme cinq voitures – aussi lourdes que les blindés d’autrefois – qui se frayaient un passage dans la cohue. Les vitres sombres ne laissèrent rien voir, mais les Tormansiens, saisis d’une psychose collective, se mirent à crier et à gesticuler comme lors des compétitions sportives.

Les Terriens comprirent que ces quatre personnes – Tchoïo Tchagass en tête – étaient les souverains véritables de tout et de tous. Comme c’était courant chez les peuples anciens, les habitants de Tormans avaient des noms identiques et devaient, par conséquent, porter jusqu’à trois noms chacun. On rencontrait parfois des gens ayant deux noms : ils constituaient, apparemment, les classes supérieures de la société. Les noms tormansiens avaient une sonorité qui ressemblait en partie aux noms de la Terre, mais la dissonance des syllabes était difficile à prononcer pour les Terriens. Tchoïo Tchagass, Ghentlo Shi, Kando Lelouf et Zetrino Oumrog, tels étaient les noms des quatre dirigeants suprêmes. Leurs noms, à l’exception de celui de Tchoïo Tchagass, avaient été simplifiés. Les noms de Ghen Shi, Ka Louf, Zet Oug étaient répétés, avec une obsédante monotonie et dans un ordre inchangé, après celui de Tchoïo Tchagass qui sonnait comme l’incantation magique des ancêtres sauvages.

Olla Dez déclara en plaisantant que tous les Terriens avec leurs systèmes de deux noms à l’infinie variété devaient appartenir à la classe supérieure de Tormans.

— Et tu le souhaiterais, tu n’en aurais pas honte ? interrogea Tchedi Daan.

— Je pourrais voir les véritables maîtres, ceux qui ont droit de vie et de mort sur tout homme. Déjà, à l’école du second cycle, j’étais attirée par les romans historiques. Ce qui me plaisait le plus étaient les livres sur les rois tout-puissants, les conquérants, les pirates et les tyrans. Tous les contes de la Terre en sont remplis, quel que soit le pays auquel ils appartiennent.

— Ce n’est pas sérieux, Olla, dit Tchedi. Les plus grandes souffrances de l’humanité ont été causées par ces hommes presque toujours ignorants et cruels. Les deux sont étroitement liés. Dans une société mal structurée, l’homme, ou bien doit développer en lui une mentalité solide et courageuse lui servant d’autodéfense, ou bien, et c’est le cas le plus fréquent, ne peut espérer qu’en une aide extérieure, en Dieu. S’il n’y a pas de Dieu, il croit alors en des surhommes, avec le même besoin d’admirer des guides semblables à des soleils, des dirigeants tout-puissants. Ceux qui ont joué ce rôle sont généralement d’obscurs politiciens qui ont donné à l’humanité le fascisme et rien de plus.

Sans se troubler, Olla Dez dit :

— Il y eut aussi des hommes valeureux et des héros parmi eux. J’aurais aimé rencontrer de tels hommes. Elle croisa les mains derrière la tête et appuya son dos contre le montant du divan en fermant rêveusement les yeux.

Faï Rodis regarda attentivement l’ingénieur des Communications et dit :

— Tchedi a raison sur un seul point. Tous ces souverains agirent sans se soucier des conséquences tragiques de leurs actes. Et je comprends Olla Dez…

— Comment ? s’écrièrent ensemble Tchedi, Vir et Tivissa.

— L’homme de la Terre est si circonspect dans ses actes, qu’au regard des souverains de notre antiquité, il est perdant il n’a pas de signe extérieur de puissance et il est comme un éléphant géant se déplaçant avec prudence devant un cerf effrayé qui fonce tout droit.

— Un souverain… effrayé ? dit Olla en riant. L’un contredit l’autre.

— Et, par conséquent, forme une unité dialectique, conclut Rodis.

Les discussions dans le genre de celle-ci se répétèrent souvent, mais l’étude tranquille de la planète prit fin brusquement.

Une nuit, la personne de faction aux émissions radio – Ghen Atal en l’occurence – donna l’alerte et réveilla Rodis, Grif et Tchedi. Ils se réunirent tous les quatre devant l’écran sombre parcouru seulement par la ligne brillante de l’indicateur et par les sauts de ses oscillations. La machine à traduire était débranchée, puisque les astronavigants comprenaient maintenant les mots qui résonnaient dans la fosse harmonique.

« Communiqué de l’observatoire principal du pôle de Queue, transmis par les stations de contrôle. Autour de notre planète, tourne un corps céleste inconnu – vraisemblablement un vaisseau cosmique. Orbite circulaire, angle de surface équatoriale, 45°, altitude 200, vitesse… »

— Ils savent même calculer l’orbite, marmonna Grif Rift.

« Les dimensions du corps cosmique d’après les premières indications sont nettement inférieures à celles de l’astronef qui nous a rendu visite au Siècle du Sage Refus. Second rapport des stations de contrôle à huit heures du matin. »

— Eh bien, nous voilà fixés, dit Grif Rift, avec une pointe de tristesse, en se tournant vers Faï Rodis. Qu’allons-nous faire ?

Rodis n’eut pas le temps de répondre. Le grand écran s’alluma et le même speaker apparut.

« Communiqué urgent ! Attention ! Ici, la ville du Centre de la Sagesse ! » Le Tormansien parlait d’un ton haché et brusque il semblait aboyer au milieu de la phrase. Il transmit les informations concernant l’astronef et termina : « À dix heures du matin, l’ami du Grand Tchoïo Tchagass, Zet Oug en personne prendra la parole. Écoutez tous la ville du Centre de la Sagesse. »

— Qu’allons-nous faire ? répéta Grif Rift, baissant le son au second passage du communiqué.

— Parler avec Tormans ! Après l’apparition de Zet Oug, nous interromprons l’émission et j’apparaîtrai sur tous les écrans pour demander l’autorisation d’atterrir. Olla Dez s’est préparée à une telle éventualité. Les joues de Faï Rodis s’empourprèrent sous l’effet d’un léger trouble.

Au moment annoncé, tout l’équipage de l’astronef se réunit devant les écrans. Le moment le plus important était arrivé, celui pour lequel ils avaient été envoyés par la Terre, et avaient effectué ce voyage incroyable. Tout dépendait des relations qui allaient s’établir entre les invités, malheureusement indésirables, et les Tormansiens ou, plus exactement leurs dirigeants. Car de la décision de ce petit groupe de gens et, sans doute de Tchoïo Tchagass seulement, dépendaient le « bon vouloir » de Tormans et le succès de l’expédition des Terriens.