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La montre placée au-dessus du réflecteur du stéréoécran était à l’heure de la ville principale de Tormans. Faï Rodis, qui s’était retirée quelques instants dans sa cabine, arriva environ un quart d’heure avant l’apparition de Zet Oug. Elle avait sûrement préparé à l’avance la robe qu’elle mettrait. Celle-ci aux couleurs favorites des Tormansiens – rouge mêlé d’orange doré – était faite d’un tissu vaporeux qui en fonçait les teintes.

Ce vêtement soulignait les contours familiers de Faï Rodis et les rendaient plus inflexibles et durs, presque menaçants, tandis que ses gestes harmonieux semblaient être les reflets du soleil rouge de Tormans. Ses cheveux noirs, soigneusement coiffés et bouclés, coupés encore plus court, découvraient entièrement son cou altier. Faï Rodis n’avait mis aucun ornement. Elle s’assit dans un fauteuil devant l’écran, sans échanger la moindre parole avec ses compagnons. L’habituel chant assourdi des appareils de PLE ne troubla pas le silence tendu du vaisseau.

Des coups retentissants, comme frappés sur un énorme bouclier métallique, annoncèrent le début de l’intervention de l’un des dirigeants de la planète. L’écran resta vide un moment, puis apparut un homme de petite taille, vêtu d’une cape rouge brodée de serpents dorés bizarrement enroulés. Sa peau semblait plus claire que celle de la plupart des habitants de Tormans. Une boursouflure malsaine atténuait les rides accusées de part et d’autre de sa grande bouche aux lèvres minces. Ses petits yeux intelligents brillaient avec assurance tout en restant inquiets, comme si le Tormansien avait peur de laisser passer quelque chose. Olla Dez poussa un soupir mécontent et déçu et loucha vers Faï Rodis. Celle-ci resta impassible, comme si les traits de cet homme n’étaient pas une surprise pour elle.

Zetrino Oumrog passa sa petite main sur son front haut et dégarni, sillonné de rides transversales.

— Peuple de Ian-Iah ! Le grand Tchoïo Tchagass m’a chargé de te prévenir d’un danger. Dans notre ciel est apparu un appareil étranger venu des ténèbres et du froid de l’univers. Le vaisseau est dirigé par des forces hostiles. L’état d’exception est décrété sur toute la planète en vue de repousser l’ennemi. Suivons l’exemple de nos ancêtres, dont la sagesse et le courage de la population ont permis, sous le règne de Ino Kaou, de chasser les étrangers indésirables au Siècle du Sage Refus. Vive Tchoïo Tchagass !

— Est-il possible que ce soit tout ? Le souverain a-t-il donné clairement son avis ? murmura Olla Dez derrière le pupitre.

Faï Rodis acquiesça de la tête et Olla tourna à fond le bouton bleu, donnant le maximum de puissance à l’appareil de TVP préparé à l’avance. L’image de Zet Oug trembla, se brisa en zig-zags bigarrés puis disparut. L’espace d’une seconde, Faï Rodis réussit à remarquer une expression de peur sur le visage du dirigeant. Elle se leva et se plaça au centre du point de mire. Elle fixa sans ciller le petit losange du rayon central et, en regardant de côté, put se voir sur les écrans, comme dans un miroir. Devant les Tormansiens stupéfaits, l’image tordue et brisée de Zet Oug fut remplacée par celle d’une belle femme souriante qui leur ressemblait étonnamment et qui avait une voix tendre et forte.

— Peuple et dirigeants de Ian-Iah ! Nous sommes venus de la Terre, planète qui a engendré et nourri vos ancêtres. Les circonstances vous ont éloigné dans les profondeurs de l’espace jusqu’alors inaccessibles pour nous et que nous avons pu vaincre maintenant. Nous sommes venus vers vous en tant que vos parents directs, afin d’unir nos efforts pour améliorer votre niveau de vie. Nous n’avons jamais été les ennemis de quiconque et nous sommes remplis de bons sentiments envers vous. Rien ne nous sépare, et une compréhension totale est possible. Nous demandons l’autorisation d’atterrir sur votre planète pour faire connaissance avec vous, vous parler de la vie sur la Terre et vous transmettre toutes nos connaissances. Notre équipage comprend en tout et pour tout treize personnes qui sont semblables à vous, à peine une poignée de gens par rapport au nombre d’habitants de Ian-Iah. Nous ne présentons aucun danger pour vous. Acceptez de nous recevoir sur votre planète. Nous avons appris votre langue, afin d’éviter des erreurs et des malentendus.

L’écran se couvrit d’une ride grise et resta vide et lisse. Du fond de l’appareil éclata un hurlement à travers lequel parvint la voix maintenant connue du speaker de la ville du Centre de la Sagesse, saccadée et hystérique : « … l’émission… coupez l’émission. »

Faï Rodis échangea un regard avec Grif Rift, recula et reprit sa place. Olla Dez tendit la main vers l’interrupteur, mais Rodis l’arrêta du geste. Penchée vers l’appareil, elle se mit à parler d’une voix forte et sonore sans prêter attention au bruit et au sifflement des parasites.

« L’astronef “La Flamme sombre” appelle le Conseil des Quatre ! Appel au Conseil des Quatre. Nous répétons notre demande d’autorisation d’atterrir. Nous demandons une entrevue à Tchoïo Tchagass, président du Conseil des Quatre. Nous attendrons sa réponse sur la fréquence indirecte de vos émissions de navigation. Nous attendons la réponse ! »

Olla Dez éteignit le TVP. La lueur bleue de l’antenne ellipsoïdale brûlait. Après les cris et les hurlements, un silence de mort régna dans la salle circulaire. Ce fut Rodis elle-même qui le rompit.

— Je ne peux considérer ce début comme un succès, dit-elle soucieuse.

— Je dirai même que la tentative de faire connaissance avec Tormans s’est évanouie, dit Grif Rift avec un maigre sourire.

— En voilà de beaux dirigeants ! s’écria Tchedi révoltée, ils ont peur !

— Comme tous ceux qui ont été nourris de capitalisme et qui sont pénétrés d’une jalousie due à une inégalité forcée ils ont peur de la concurrence ! répondit Faï Rodis tristement.

— C’est-à-dire, interrogea Tchedi, qu’ils ont peur qu’on prenne le pouvoir à leur place ?

— Bien sûr !

— Mais, voyons, c’est cruel et absurde. Que ferions-nous du pouvoir dans un monde étranger ?

— C’est clair pour nous, pour toute la Terre, pour le Grand Anneau, mais il est douteux que beaucoup de Tormansiens le comprennent.

— Alors, pourquoi avons-nous demandé l’autorisation d’atterrir ? Il est évident que nous ne nous comprendrons pas, dit Tchedi en haussant les épaules.

— C’est pour ceux qui pourront comprendre. Et puis, c’est à nous de les comprendre, eux et leurs étranges dirigeants, dit Rodis avec fermeté.

— Et vous arriverez à vos fins ?

— J’essaierai.

Le petit œil bleu brûla des heures durant, mais la planète demeura silencieuse. L’astronef entrait dans la partie nocturne, lorsque Faï Rodis se leva et invita ses compagnons qui n’étaient pas de quart, à aller manger.

Pleins d’énergie, ils entamèrent des plaquettes d’un brun sombre, mélange d’une nourriture assez savoureuse pour contenir l’appétit et assez élastique pour faire travailler les dents robustes et les mâchoires, héritées d’ancêtres se nourrissant de toutes sortes de mets solides et indigestes. Faï Rodis se contenta d’une coupe de KMT épais, boisson vert olive. Grif Rift prit juste quelques gorgées d’eau pure.

Tchedi Daan, restée de quart à l’écoute des émissions télévisées, surveillait la reprise des informations sur toute la planète. Les télécaméras montrèrent les rues et les places de différentes villes de Tormans, des salles de réunion et des auditoriums d’écoles. Partout, des Tormansiens excités gesticulaient, criaient de loin ou se répandaient en flots de paroles, lorsqu’ils étaient tout près des micros. À la question qui leur fut posée « Que doit-on faire de l’astronef ? », ils répétèrent le plus souvent « Nous ne le laisserons pas atterrir, nous le détruirons !… » Un jeune homme vêtu de bleu apparut sur la vaste terrasse d’un édifice qui ressemblait à un observatoire d’astronomie. Le speaker déclara que l’un des Gardiens du Ciel – organisation chargée de veiller à l’inviolabilité de la planète Ian-Iah – allait prendre la parole. Le jeune homme vêtu de bleu hurla :