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Trois jours et trois nuits durant, Neïa Holly, Evisa Tanet et Tivissa Henako restèrent éveillées. Accompagnées par le chant mélancolique de l’ultracentrifugeuse, elles ne quittèrent pas les microscopes protoniques et les thermostats et étudièrent les séries innombrables de cultures bactériologiques et virales. Des comparateurs analytiques comparèrent les toxines des microbes nocifs de la Terre à celles de Tormans et tracèrent de longues formules de réactions immunologiques, afin de neutraliser les principes pathogènes jusqu’alors inconnus. Ceux qui avaient été désignés pour l’atterrissage comme ceux qui restaient sur le vaisseau reçurent une immunisation progressive. Les membres de l’équipage eurent la respiration difficile, le visage cramoisi et les yeux brillants de fièvre. Tor Lik et Menta Kor durent même subir un sommeil hypnotique, car la réaction vigoureuse de leur organisme exigea la suppression de toute activité.

Cela n’empêcha pas Evisa Tanet de déclarer au bout de quelques jours, que les résultats n’étaient pas satisfaisants et qu’elle ne pouvait garantir une protection pleinement efficace.

— Quel délai faut-il pour parvenir à une efficacité totale ?

Un peu gênée, Evisa réfléchit…

— On a découvert deux virus pathogènes inhabituels que seuls peuvent contracter des gens vivant dans des conditions d’entassement excessif, ce qui n’est pas le cas actuellement sur Tormans, d’après ce que nous avons pu observer.

— C’est une confirmation indirecte de l’ancienne surpopulation de la planète, dit Faï Rodis. En attendant, nous devons atterrir le plus tôt possible sur Tormans.

— La réorganisation indispensable de nos réactions défensives n’aura lieu que dans deux mois, déclara Evisa Tanet, sur un ton tel, qu’on aurait dit que l’impossibilité d’une immunisation plus rapide lui était imputable.

Faï Rodis lui sourit.

— Que faire ! On aurait aimé être des hôtes à part entière de la nouvelle Terre, mais cela ne réussit pratiquement jamais. Il y a toujours des circonstances urgentes qui ne permettent pas d’attendre. On a beaucoup parlé du sentiment inoubliable qui naît lors de la rencontre avec une planète nouvelle totalement inoffensive. On sort du vaisseau dans un air très pur, sous un soleil neuf et on court, comme un enfant, sur un sol vierge et tendre. On éprouve le désir violent de rejeter ses vêtements et de s’enfoncer de tout son être dans la fraîcheur d’un monde à la pureté de cristal, de fouler de ses pieds l’herbe tendre, de sentir sa peau nue effleurée par le vent et le soleil qui lui transmettent toutes les nuances de la respiration changeante de la nature. Parmi les centaines de milliers de voyageurs qui sont allés dans des autres mondes, seul un petit nombre d’entre eux a eu la chance d’éprouver cette sensation.

— Est-ce à dire qu’il faut des scaphandres ? demanda Neïa Holly.

— Oui ! C’est très ennuyeux, mais nous les enlèverons plus tard, lorsque nous serons immunisés. Nous ne porterons pas de casque, mais uniquement des biofiltres. Ce n’est déjà pas mal. Ainsi, nous serons prêts dans trois ou quatre jours.

— Peut-être, est-ce mieux, dit Neïa Holly. L’analyse de l’eau de Tormans montre quelques différences de structures par rapport à celle de la Terre. Les premiers temps, tout le monde sera plus faible jusqu’à l’accoutumance à la nouvelle eau.

— L’eau est-elle si importante ? demanda Faï Rodis. Excusez-moi, mais j’en sais si peu. Si l’eau est pure et sans produits nuisibles ?

Evisa sourit :

— Pardonnons à une historienne une erreur très ancienne. Nos ancêtres ont longtemps considéré l’eau comme tout simplement de l’eau, c’est-à-dire comme une combinaison d’hydrogène et d’oxygène, qu’ils ne savaient absolument pas analyser. Il semble que l’eau ait une structure physico-chimique complexe et soit composée de plusieurs éléments. Des milliers d’espèces d’eau – bienfaisante, nuisible, neutre, même si une simple analyse montre une eau unique et parfaitement pure – se rencontrent dans les sources, les ruisseaux et les lacs de la Terre. Tormans est une autre planète et le cycle général de son eau, de l’érosion et de la saturation minérale, a un caractère différent. Nous avons découvert que cette eau peut, généralement, avoir pour conséquence un certain affaiblissement de notre système nerveux. Les comprimés IGN 102 remédieront à cela. Seulement, n’oubliez pas d’en mettre dans tous les liquides destinés à la nourriture ou à la boisson.

Grif Rift qui était resté silencieux jusqu’alors intervint.

— Donc, les scaphandres n’auront pour nous qu’un seul avantage…

— En cas de danger ?

Evisa inclina la tête, rencontrant le regard oblique de Tchedi Daan.

— Supposition exacte. Le scaphandre est à l’épreuve du couteau, des balles et du rayon de pyrite, confirma Rift.

— Mais sans casque, la tête – partie la plus précieuse du corps – n’est pas à l’abri, remarqua Faï Rodis gaiement.

Tchedi Daan, étonnée par le ton enjoué de Faï Rodis, la regarda fixement. En effet, jusque-là réservée et même sévère, le chef de l’expédition semblait, à la veille de l’expérience, tout à fait différente.

— Mais, que fait-on du plan de Tchedi ? interrogea Ghen Atal.

— On le réalisera plus tard, après la période d’acclimatation, répondit Faï Rodis.

Tchedi se contenta de serrer plus étroitement les lèvres et se tourna vers la grande carte de Tormans étalée au-dessus de l’entrée, dans la salle circulaire.

— Tchedi, s’écria Evisa Tanet, je viens juste de penser à votre réaction lors de la comédie jouée par Faï Rodis et Olla Dez. Ne croyez-vous pas que votre décision de vous mêler au peuple de Ian-Iah, en vous faisant passer pour une jeune fille de Tormans, contient elle aussi un élément de tromperie ? Jeter un regard étranger sur ce qui vous est présenté à vous, considérée comme une véritable tormansienne ? N’est-ce pas de l’espionnage ?

— Euh… oui… non, je m’étais représentée cela sous un autre aspect. Être simplement plus près des gens, en vivant la même vie, en endurant les mêmes joies et peines, les mêmes malheurs et les mêmes dangers qu’eux !

— Mais, en pouvant, à n’importe quel moment, retourner chez les vôtres ? En jouissant de la puissance de l’homme de l’EMT ? Et du bonheur de retourner dans le monde merveilleux de la Terre ? attaqua Evisa.

Selon sa vieille habitude, Tchedi regarda Faï Rodis afin d’apprécier la réaction de son idéal, mais les yeux verts de Rodis la fixaient imperturbables et graves.

— Il y a ambiguïté, commença Tchedi, mais je pensais à quelque chose de plus important.

— Pour qui ?

Comme toute scientifique, Evisa était sans indulgence.

— Pour nous. Cela ne leur causera aucun tort, dit Tchedi en montrant la carte de Tormans. Car nous faisons cela pour ne pas commettre d’erreur, pour savoir comment et en quoi les aider.

— Il faut d’abord savoir s’ils le veulent ! dit Grif Rift. Ils peuvent refuser…

Une flamme rouge aveuglante jaillit dans la lucarne de surveillance directe. L’astronef fut secoué. En une seconde, Ghen Atal s’était précipité dans l’ascenseur, tandis que Grif Rift et Div Simbel s’élançaient vers les commandes mises sur pilotage automatique.