Une seconde explosion, une seconde secousse légère de « La Flamme sombre ». Les réacteurs acoustiques branchés firent entendre un bruit effroyable qui couvrit le hurlement monocorde de la traversée de l’atmosphère.
Les autres coururent au tableau d’avarie et s’arrêtèrent devant les appareils, sans bien se rendre compte de ce qui se passait. L’astronef continua sa course à travers les ténèbres de la partie nocturne de la planète. Il ne restait pas plus d’une demi-heure avant la phase ultime. Les clochettes argentées du signal « pas de danger » se firent entendre. Rift et Simbel sortirent de la cabine de pilotage, et Ghen Atal du poste de protection blindée.
— Que s’est-il passé ? Une attaque ? demanda Faï Rodis en allant à leur rencontre.
— Sûrement, grommela Grif Rift. On a sans doute lancé des fusées. Prévoyant cette éventualité, Ghen Atal et moi avions branché le champ réflecteur extérieur, malgré le bruit effroyable qu’il fait dans l’atmosphère. L’astronef n’a pas subi la moindre avarie. Quelle va être notre riposte ?
— Il n’y en aura pas ! répondit Faï Rodis avec fermeté. Agissons comme si nous n’avions rien remarqué. Ils savent d’après les explosions qu’ils ont atteint leur cible deux fois, aussi seront-ils convaincus de l’invulnérabilité de notre vaisseau. Je suis persuadée qu’il n’y aura pas d’autre tentative.
— Je le crois aussi, acquiesça Grif Rift, mais nous allons laisser le champ branché ; mieux vaut qu’il fasse du bruit plutôt que de tout risquer en cas d’attaque déloyale.
— Je suis tout à fait pour le scaphandre maintenant, dit Evisa.
— Et pour les casques NP, rappela Rift.
— Les casques sont inutiles, remarqua Faï Rodis, car à ce moment-là, nous n’aurons plus aucun contact avec les habitants de la planète et notre mission sera sans grand intérêt. Il nous faut prendre ce risque.
— Je doute que les casques soient une protection sûre, dit Evisa en haussant ses épaules qu’elle avait magnifiques.
Les attaques contre l’astronef ne se répétèrent pas. « La Flamme sombre » se plaça sur une orbite élevée et coupa les moteurs. On se prépara à l’atterrissage sans perdre une minute. Les sept « parachutistes » eurent le nez, la bouche et les oreilles protégés par des filtres biologiques fixés avec le plus grand soin. Des robots-compagnons personnels, les SVP, furent branchés sur l’influx nerveux de chacun d’eux. L’appellation de SVP provenait des initiales des mots latins : « Soutien, Valet, Porteur » et déterminait les attributions de ces machines. Comme toujours, les scaphandres exigèrent davantage de soins. Ils avaient été fabriqués dans un institut spécialisé et étaient faits de couches extrêmement fines de métal reconstitué moléculairement qui isolait sans irriter la peau. Sa solidité incroyable – même pour des techniques d’un passé encore récent – et sa thermo-imperméabilité n’empêchaient pas le scaphandre d’être d’une épaisseur qui se mesurait en fractions de millimètres. Il moulait étroitement le corps et ne se distinguait pas extérieurement d’une tenue de sport très fine à grand col. Une telle tenue vous faisait ressembler à une statue métallique, mais à une statue souple, vivante, chaude.
En choisissant la couleur des scaphandres, Olla Dez s’était efforcée de donner le plus d’effet possible à l’aspect de chacun, et particulièrement à celui des femmes.
Faï Rodis choisit avec assurance un scaphandre métallique noir à reflets bleus – couleur aile de corbeau – qui s’accordait parfaitement à ses cheveux noirs, aux traits fermes de son visage et à ses yeux verts. Evisa en demanda un d’un vert argenté, comme une feuille de saule. Elle décida de ne changer ni la nuance auburn de ses cheveux, ni celle de ses yeux de chat topaze. Une ceinture noire et une parementure de même couleur autour du col firent ressortir encore plus vivement la flamme de son épaisse chevelure.
Tchedi Daan choisit un scaphandre bleu cendré ayant le reflet profond du ciel de la Terre et des parements argentés ; quant à Tivissa, sans hésiter, elle en prit un grenat foncé garni d’une ceinture rose qui s’harmonisait avec sa peau bistre et ses yeux noisette foncé.
Les hommes auraient voulu porter des scaphandres d’un gris uni, mais cédant aux instances des femmes, ils choisirent de beaux mélanges de couleurs pour leurs cuirasses métalliques.
L’air pensif, Faï Rodis examina les visages de ses compagnons. Ils semblaient pâles par rapport aux habitants hâlés de la planète Ian-Iah et elle leur conseilla de prendre des pilules à bronzer.
— Devons-nous aussi changer la couleur de nos yeux et les rendre d’un noir impénétrable, comme ceux des Tormansiens ? demanda Evisa.
— Et puis quoi encore ? Ils n’ont qu’à rester comme ils sont. Rendons-les seulement un peu plus brillants. Est-ce possible, Evisa ? Il y a quelques années les yeux « brillants comme des étoiles » étaient à la mode.
— À la condition de disposer de quatre jours pour une série de stimulations chimiques !
— Vous les aurez. Faites-nous à tous des yeux lumineux qui fassent penser aux étoiles et que les Terriens se distinguent ainsi de loin au milieu de n’importe quelle foule !
— Quelle était la couleur préférée de nos lointains ancêtres à l’époque où l’on ne savait pas encore changer à volonté la couleur des yeux ? demanda Olla Dez. Faï connait les goûts de l’EMD.
— S’il s’agit des goûts de cette époque, disons que c’était très variable, vague et arbitraire. À cette époque, pour on ne sait quelle raison, on s’intéressait surtout à la beauté de la femme. Les œuvres littéraires, les photos, les films énumèrent les qualités de la femme et ne parlent pratiquement pas des hommes.
— Nos sœurs lointaines étaient-elles si honteusement futiles ? s’indigna Olla. Voilà l’héritage de millénaires de patriarcat guerrier !
— Qui comprend un grand nombre de ces chefs qui vous intéressent tant, dit Rodis en souriant, mais revenons aux yeux. À la première place, il y avait les miens, des yeux d’un vert pur, ce qui est parfaitement naturel, d’après les lois biologiques de santé et de force.
— Qui vient en second ?
— Tchedi. Bleus ou violets, avec une nuance brillante. Plus loin, par ordre décroissant, il y avait les yeux gris, puis noisette et bleu clair. Les yeux topaze comme ceux d’Evisa étaient très rares, et donc, très appréciés, de même que les yeux dorés, comme ceux d’Olla, mais on les considérait comme de mauvais augure à cause de leur ressemblance avec ceux des rapaces : chats, tigres, aigles.
— Et quel était le critère pour les hommes ? demanda Evisa.
— Les yeux verts n’existaient pas, du moins à en juger par la littérature, les yeux bleus non plus, dit Rodis en haussant les épaules. Les yeux étaient le plus souvent gris comme l’acier ou bleu clair comme la glace, signe de natures viriles et volontaires, d’hommes véritables qui savent se faire obéir, toujours prêts à faire usage de leurs poings ou de leurs armes.
— Nous devrions alors avoir peur de Grif Rift et de Vir Norine, se moqua Evisa.
— Si Grif Rift est, effectivement, commandant, Vir Norine, lui, est un peu trop délicat, même pour un homme de l’ERM, rétorqua Olla Dez.
— Tout ça c’est bien beau, mais il faut que nous mettions ce métal, soupira Evisa Tanet, et que nous nous privions pour longtemps de la sensation de notre propre peau. Elle passa la paume de sa main sur son épaule et son bras nu du geste éternel de celui qui, depuis l’enfance a toujours pris soin de son corps.
— Nous allons commencer. Qui va nous aider, vous, Olla et Neïa ?
— On ne peut rien faire sans Neïa, répondit Olla Dez.