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— Alors, appelez-la.

Faï Rodis franchit la première le seuil qui mène à la chambre de contrôle biologique.

L’opération-habillage fut longue et pénible. Un certain temps s’écoula avant que les sept ne soient réunis dans la salle ronde. Tchedi Daan, qui mettait un scaphandre pour la première fois, dut s’habituer progressivement à la sensation de deuxième peau. Elle ne put détacher ses yeux de Faï Rodis. Celle-ci, revêtue de sa cuirasse noire, qui atténuait la pâleur de son visage et la transparence de ses yeux verts, semblait l’incarnation même de la beauté féminine.

Chacun fixa à sa ceinture une petite boîte ovale destinée à détruire les produits du métabolisme. Les barres des vidéo-enregistreurs et les miroirs triangulaires de vision circulaire scintillèrent sur leurs épaules. Chacun mit à sa main droite un second bracelet-signal pour les liaisons avec le vaisseau par le canal du robot-personnel, tandis que, dans la cavité interclaviculaire, on logea un cylindre d’insufflation d’air.

De temps en temps, une onde légère passait entre leur corps et le scaphandre – des épaules aux pieds – et leur donnait la sensation agréable de massage léger. L’air sortait par des soupapes fixées aux talons, et, vu de côté, on aurait dit que des muscles puissants roulaient dans un corps métallique.

Faï Rodis examina ses camarades si étrangement lointains et inaccessibles sous le froid éclat du métal moulant…

Grif Rift qui était derrière elle demanda :

— Et vous comptez vous présenter dans cette tenue aux Tormansiens ?

Rodis prit soudain conscience de ce qui la tourmentait.

— En aucun cas, dit-elle en se tournant vers Rift. Nous, les femmes, nous porterons les jupes courtes habituelles de la zone tropicale et une pèlerine par-dessus.

— Peut-être vaudrait-il mieux des chemises comme celles des Tormansiennes ? demanda Tivissa, gênée par l’ouverture extérieure du scaphandre.

— Essayons, ce sera peut-être plus confortable, approuva Rodis.

— Je suis favorable au costume tropical pour les hommes, dit Vir Norine.

— Les shorts iront, mais une chemise sans manche attirera l’attention sur les bras « métalliques », fit remarquer Grif Rift. Les chemises des Tormansiennes conviennent aussi aux hommes.

— Il est étrange, observa Olla Dez, qu’à Tormans, les gens s’enveloppent de vêtements à la maison et dans la rue, alors que sur scène, dans les vastes salles de spectacles publics ou aux émissions télévisées, ils sont à peine vêtus.

— C’est là une contradiction ridicule, une parmi les nombreuses que nous aurons à résoudre, dit Rodis.

— C’est peut-être pour cette raison que de tels spectacles leur plaisent, parce que, généralement, les Tormansiens sont vêtus des pieds à la tête, devina Tchedi.

— Cette explication simple et vraisemblable est sans doute erronée ; à en juger d’après les lois psychologiques, c’est beaucoup plus complexe, dit Rodis mettant fin à la discussion.

Après une première séance de stimulation magnétique effectuée par Evisa, les « parachutistes » se séparèrent. Leur cuirasse leur causait un sentiment inhabituel de gêne et d’isolement ; mais ils devaient s’y habituer pendant les jours précédant l’atterrissage. En fait, la très fine pellicule métallique ne gênait absolument pas leurs mouvements, mais dressait un mur invisible entre eux et ceux qui restaient à bord. Apparemment, rien n’avait changé ; cependant, il n’y avait déjà plus de « nous » unanimes lors des décisions immédiates, mais « eux » et « nous ».

Lorsque l’astronef signala que tout était prêt, l’observatoire principal des Gardiens du Ciel répondit en indiquant le lieu d’atterrissage. « La Flamme sombre » devait atterrir sur un vaste promontoire en pente douce, situé sur la rive sud de la mer équatoriale, approximativement à 300 km de la capitale. Les agrandissements photographiques de cet emplacement montrèrent une bande de terre désolée, couverte d’une haute broussaille sombre, qui descendait vers la mer d’un gris vert. La région et la mer semblaient désertes, ce qui sembla dangereux à ceux qui restaient sur l’astronef.

— Il fallait absolument un emplacement désert pour atterrir. Nous en avions avisé le Conseil des Quatre, rappela Grif Rift à ses camarades.

— Ils auraient pu choisir un endroit plus proche de la ville, dit Olla Dez. De toute façon, ils n’autoriseront personne à venir.

— Vous oubliez, Olla, dit Rodis avec mélancolie, qu’il aurait été difficile de retenir les curieux ; tandis qu’ici, ils vont poster des gardes tout autour, et aucun homme de Tormans ne s’approchera de notre vaisseau.

— Ils s’en approcheront ! Je vais m’en occuper ! coupa Grif Rift avec une chaleur inattendue. Je vais tailler un buisson dissimulant un passage, qui pourra être ouvert sur un simple mot de passe. Je transmettrai à Faï par vidéo-rayon l’emplacement de ce passage. Ainsi, vous pourrez nous envoyer des invités, ceux qui sont désirés, naturellement.

— Il y en aura aussi qui ne le seront pas, remarqua Rodis.

— Je n’en doute pas. Neïa fera intervenir Atal et nous repousserons ensemble toute tentative. Il faut être sur le qui-vive. Après leur échec, ils vont essayer autre chose.

— Pas avant d’être convaincus que le second astronef, dont j’ai parlé, n’arrivera pas. Jusque-là, vous serez en sécurité, environ pendant deux ou trois mois, peut-être plus. Il en sera de même pour nous, ajouta Rodis plus doucement.

Grif Rift posa sa main sur l’épaule revêtue du chaud métal noir et regarda les yeux tristes et courageux.

— Vous fixerez vous-même la date de votre retour sur le vaisseau. Mieux vaut l’avancer que la retarder.

— Je comprends votre anxiété, Rift…

— Supposez que vous vous heurtiez à un épais mur d’incompréhension, impossible à transpercer. Rester plus longtemps, serait-il justifié ? Le risque est trop grand.

— Je ne peux croire que ceux de Tormans rejettent le savoir de la Terre, car c’est la porte qui donne sur un futur infini et clair. Ce savoir changerait leur vie qui est brève, douloureuse et, je le crains, obscure, dit Rodis.

— Le sentiment de victime nécessaire est ce qu’il y a de plus archaïque chez l’homme, sentiment qui s’est transmis à travers toutes les religions dans l’histoire des sociétés anciennes : vouloir se rendre propice une force invisible, attendrir une divinité, accorder l’éternité à un destin fragile. Depuis les gens poignardés sur des autels pour un combat ou une chasse favorable pour la moisson ou les fondations d’une construction ; depuis les hécatombes colossales faites par des chefs, des pharaons, des tsars jusqu’aux meurtres inimaginables commis au nom d’idées politiques délirantes ou de désaccords nationaux. Mais nous, qui avons appris la mesure et créé les grandes structures protectrices de la société, afin de supprimer le chagrin et les victimes, avons-nous vraiment abandonné ce trait ancien de mentalité ?

Faï Rodis passa tendrement ses doigts dans les cheveux de Grif.

— Si nous faisons irruption dans la vie de Tormans en appliquant les vieilles méthodes du conflit des forces, si nous nous abaissons au niveau de leurs représentations de la vie et du rêve… Rodis se tut.

— Nous acceptons par là-même la notion de victime nécessaire, c’est ça ?

— C’est ça, Rift…

Rodis était à peine entrée dans sa cabine que son bracelet-signal s’alluma. Tchedi Daan, qui depuis quelque temps évitait de se trouver seule à seule avec elle, demandait la permission d’entrer.

— Je suis tout à fait stupide, déclara Tchedi, à peine le seuil franchi, je sais si peu de choses de la grande complexité de la vie…