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L’auditoire attendit en silence. Les élèves des classes supérieures étaient suffisamment entraînés à se maîtriser et à se retenir. Sans l’acquisition de ces moyens indispensables, l’homme ne peut ni accomplir les exploits d’Hercule, ni même s’y préparer.

— Vous pensiez à la planète Tormans ? dit enfin le maître.

— Nous ne connaissons qu’elle ! répondirent les élèves en chœur. Et combien y en a-t-il d’autres semblables à elle ?

— Je ne peux parler sans information précise, dit le maître avec un sourire un peu désarmé. Je suis historien de la Terre et je ne connais que les traits généraux des civilisations des autres planètes. Faut-il vous rappeler que la découverte du processus complexe de l’histoire des autres mondes nécessite une très profonde pénétration de l’économie et de la psychologie sociale, choses qui nous sont étrangères ?

— Même pour comprendre si la civilisation est bonne ou mauvaise, si elle apporte joie ou chagrin, épanouissement ou destruction ? s’écria un garçon, assis près de la fenêtre et qui se distinguait des autres par son sérieux.

— Même pour cela, Mirane, affirma le maître. Autrement, nous ne pourrons nous distinguer de nos ancêtres, prompts à l’action, mais immatures dans leurs jugements. Je vous ai parlé des destructions dues à la folie des planètes, mais, voyez-vous, il existe aussi d’autres mondes où personne n’a jamais tué personne et où, néanmoins, la vie raisonnable s’est éteinte de façon « naturelle », comme on disait autrefois. L’apparence de vie qui y régnait est morte, comme meurent inévitablement toutes les espèces animales qui subissent des métamorphoses ; il en est de même pour l’homme s’il néglige la connaissance des phénomènes biologiques dans le développement de l’histoire. Au moment de mourir, les habitants léguèrent leurs planètes belles et organisées à d’autres qui en supportaient mieux les conditions naturelles. Toutes les données se sont propagées à travers le Grand Anneau, mais le repeuplement ne s’est effectué qu’après le départ des derniers représentants de la civilisation en train de disparaître, et après que le signal de la mort se soit répandu par l’entremise du Grand Anneau[3].

— Comme pour les Chevaliers du Bonheur, dit la timide Kounti. Toutefois, en ce qui concerne Tormans, nos connaissances sont maigres. Bien sûr, chacun de nous a lu quelque chose, mais maintenant que nous avons appris notre histoire, nous comprendrons correctement Tormans.

— D’autant plus que la planète a été peuplée par les nôtres, par les descendants de la Terre, et que tous ses processus de développement sont analogues aux nôtres, acquiesça le maître. J’ai une bonne idée. Je vais demander à la Maison de l’Histoire une « stellette » de la machine à mémoire comportant le récit complet de l’expédition sur Tormans. Il faut que nous nous préparions à cette séance. Arrangez-vous avec les différents services, de manière à vous libérer des autres cours. Que celui-d’entre vous qui s’intéresse à la cosmophysique, Kimi par exemple, prépare pour demain un exposé sur les premiers astronefs à rayon direct, pour que vous compreniez la situation de l’équipage de « La Flamme sombre » et les difficultés rencontrées. Puis, nous irons sur le plateau du Revat, devant le monument érigé en l’honneur de l’expédition. Alors, la « stellette » vous permettra de comprendre parfaitement ce qui s’est passé…

Deux jours plus tard, la dernière classe de l’école SP KT-401 s’installa gaiement sous la coupole transparente de l’immense wagon de la Voie Spirale. Dès que le train eût pris de la vitesse, Kimi apparut dans l’allée centrale et se déclara prêt à lire son exposé. Des protestations énergiques se firent entendre. Les élèves manifestaient leur refus d’écouter, car ce qu’ils voyaient de part et d’autre était trop intéressant. Le maître apaisa tout le monde, en suggérant d’écouter l’exposé à mi-chemin, quand le train traverserait la zone fruitière longue de 400 km environ, à deux heures de là.

Lorsque se déroulèrent les interminables rangées d’arbres disposées géométriquement et régulièrement à l’emplacement de l’ancienne steppe désertique du Deccan, Kimi installa dans la travée un petit projecteur et dirigea sur le mur du wagon-salon les rayons colorés des illustrations.

Le jeune garçon parla de la découverte de la structure en spirale de la planète qui permit de résoudre le problème des vols interstellaires très lointains. Les mathématiciens connaissaient déjà la structure bipolaire du monde à l’EMD, mais les physiciens de l’époque compliquèrent tout en se représentant l’anti-matière de façon naïve.

— Pensez donc ! s’écria Kimi. Ils considéraient que la variation de la charge superficielle des particules modifie toutes les propriétés de la matière et transforme la matière « normale » de notre monde en antimatière, dont le choc peut entraîner l’annihilation totale de la matière ! Ils scrutaient la noirceur du ciel nocturne, sans pouvoir ni l’expliquer, ni comprendre que le véritable anti-monde est justement celui qui est là, à côté, noir, obscur, celui que les appareils ne peuvent percevoir, car ils ont été conçus pour montrer notre monde de lumière.

— Ne te fâche pas, Kimi, dit le maître en interrompant l’adolescent. Tu commets une erreur en jugeant mal tes ancêtres. À la fin de l’EMD, à l’époque où les vieux principes de vie sociale disparaissaient, la science apparut comme la force principale de la société. On propagea alors des jugements de ce genre, jugements bornés et je dirai même injustes sur nos prédécesseurs. Est-il donc si difficile de comprendre que l’aspect infidèle ou inexact d’un phénomène vient d’une erreur uniquement due à une expérience bâclée ou sottement orientée ? Toutes les « erreurs » de nos ancêtres proviennent du niveau général dans lequel se trouvait la science à leur époque. Essayez un instant d’imaginer que, après la découverte de centaines de particules élémentaires existant dans le micromonde, on n’ait pas encore su que tout cela n’était qu’un aspect différent du mouvement à différents niveaux de la structure anisotrope de l’espace et du temps.

— Est-ce possible ? dit Kimi en rougissant jusqu’aux oreilles.

Le maître acquiesça de la tête et le jeune homme, confus, continua, mais sur un ton déjà moins passionné.

Les savants ont donné à l’anti-monde, au monde noir, le nom de Tamas, océan inerte dans la philosophie de l’Inde ancienne. Ce monde est polarisé au nôtre sous tous les rapports, et pour cette raison, ne peut être perçu par nos sens. Ce n’est que tout récemment que des appareils spéciaux, comme « inversés » par rapport à ceux de notre monde, appelé conventionnellement monde de Shakti, ont commencé à sonder les contours extérieurs de Tamas. Nous ignorons si, sur Tamas, les formations d’étoiles et de planètes sont analogues aux nôtres, bien que, selon les lois de la philosophie dialectique, le mouvement de la matière doive se produire là-bas également.

— C’est difficile à imaginer, mais comme « le soleil invisible de Tamas » sonne bien ! s’écria Rer.

— Et la planète-invisible, peuplée d’êtres aussi curieux de s’enfoncer dans l’abîme de notre monde, que nous dans le leur ! dit Yvette depuis la dernière rangée.

— Et des systèmes entiers d’étoiles, des galaxies à gravitation nulle, des champs aux propriétés négatives, là où elles sont positives chez nous. En somme, tout est inversé ! reprit Aïoda s’accoudant au rebord rembourré de la fenêtre.

Kimi poursuivit :

— À propos des galaxies, leurs formes classiques en spirale étaient déjà connues des inventeurs du télescope, mais il a fallu quelques siècles pour comprendre qu’en elles se réfléchit réellement la structure de l’univers, des fibres, ou plus exactement des couches de notre monde, stratifié avec Tamas, et tourbillonnant avec lui en une spirale infinie. Il en est de même pour les éléments séparés, des galaxies aux atomes, et à chaque niveau avec les qualités propres des lois générales. Il apparut que la lumière et autres rayonnements ne se répartissent jamais avec rectitude dans l’univers, mais s’enroulent en une spirale hélicoïdale qui se déroule selon l’éloignement de l’observateur. On expliqua la contraction et la dilatation des ondes lumineuses par leur accélération lors de leur entrée dans la profondeur de la spirale, on expliqua également la fuite apparente des étoiles et des galaxies dans les spires lointaines. On résolut l’équation de Lorentz sur la disparition apparente du temps et l’augmentation de la masse selon la vitesse de la lumière. On fit un pas de plus et on comprit que l’espace-zéro était une sorte de frontière entre le monde et l’anti-monde, entre le monde de Shakti et celui de Tamas, le lieu où les points polaires de l’espace, du temps et de l’énergie sont réciproquement équilibrés et neutralisés. L’espace-zéro forme également une spirale par rapport aux deux mondes, mais… Le jeune homme s’arrêta. Je ne peux encore imaginer comment on peut se mouvoir dans cet espace-zéro et atteindre, pratiquement en un instant, n’importe quel point de l’univers. On m’a expliqué approximativement qu’un astronef à rayon direct ne se déplace pas selon la voie spirale de la lumière mais transversalement à lui dans le sens de l’axe longitudinal de l’hélice, en se servant de l’anisotropie spatiale. De plus, l’astronef semble rester sur place par rapport au temps, tandis que la spirale toute entière du monde tourne autour de lui…

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3

Grand Anneau, ou GA : Relie entre eux plusieurs mondes peuplés d’êtres pensants, la Terre y compris (n.d.t.).