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Kimi rougit et secoua la tête, désemparé par les rires de ses camarades.

— C’est une bien mauvaise manière de remercier Kimi, dit le maître mécontent en levant la main. Dans la nouvelle représentation de l’univers, beaucoup de choses sont accessibles uniquement par un « tâtonnement » mathématique des phénomènes isolés.

» Vous oubliez que, dans les ténèbres des profondeurs inconnues du monde, la science est comme un aveugle qui tend les mains pour palper de vagues contours. Ce n’est qu’après un travail colossal que l’on a construit les appareils de recherche susceptibles d’éclairer l’inconnu et de l’associer au connu.

Le maître regarda les élèves qui s’étaient calmés, et termina :

— Kimi n’a pas encore parlé de l’essentiel. Il y a longtemps que les zones de gravitation négative du cosmos ont été découvertes, mais ce n’est que depuis trois siècles que l’on a pu les interpréter comme des failles entre notre monde et Tamas ou espace-zéro. Des astronefs d’autres civilisations y ont parfois disparu sans laisser de trace, car ils n’étaient pas aptes à se déplacer dans l’espace-zéro. Un plus grand danger menace encore l’astronef à rayon direct : à la moindre erreur de l’équilibre du champ, il risque de glisser soit dans l’espace de Shakti – le nôtre –, soit dans celui de Tamas. On ne peut revenir de Tamas. Nous ignorons tout simplement ce qu’il advient de nos appareils. Y a-t-il annihilation instantanée, ou alors les processus actifs s’éteignent-ils tous instantanément, réduisant, par exemple, l’astronef à un bloc de matière absolument inerte (cette nouvelle compréhension de la matière apparut également à la suite de la découverte de Tamas) ? Maintenant, vous pouvez imaginer les dangers auxquels furent exposés les premiers ARD – astronefs à rayon direct – et parmi eux, « La Flamme sombre ». Mais les gens ont encouru ce risque effroyable. La possibilité de pénétrer instantanément en un point choisi de l’espace valait bien ce risque. Tout récemment, la conquête de l’infini du cosmos semblait totalement impossible et on ne voyait aucun moyen susceptible de détruire cette menace présente à toutes les époques et dans toutes les civilisations du Cosmos liées au Grand Anneau, mais qui ne pouvaient se voir mutuellement que sur les Écrans des Stations Externes.

» Trois cents ans se sont écoulés, l’humanité est entrée dans une nouvelle ère, l’EMT. Le rêve hardi des hommes s’est réalisé et les mondes éloignés se trouvent dans le temps à la distance d’une main tendue.

» Certes, pratiquement, le déplacement des ARD ne s’effectue pas instantanément. Il faut du temps pour s’éloigner dans l’espace-zéro, pour effectuer le calcul très complexe du point de sortie et pour que l’astronef passe du point approximatif au but précis. On utilise pour cela des moteurs à anaméson qui atteignent une vitesse subluminique. Mais que sont deux ou trois mois d’un tel travail comparé aux millions d’années-lumière de distance de la voie normale en spirale que suit la lumière dans notre espace ? Même si une tortue atteignait la vitesse d’un astronef ordinaire, ce ne serait rien par comparaison avec l’ARD.

Comme pour illustrer les paroles du maître, le train s’enfonça dans un profond tunnel. La lumière opale qui éclairait le wagon accentua l’obscurité totale du dehors. Soudain, une plaine immense, couverte d’herbe argentée surgit et se déploya. La course impétueuse des wagons souleva des rafales qui se mirent à tourbillonner et à se disperser sur les côtés. Au loin, une bande bleu-vif signalait de vieilles montagnes en terrasses, parmi lesquelles se trouvait, du côté de l’Océan Indien, le plateau du Revat. Il était situé non loin de la gare et, pour l’atteindre, les jeunes voyageurs n’eurent besoin que de leurs jambes suffisamment entraînées à la marche et à la course.

Le versant opposé se distinguait vaguement du ciel et du soleil couchant. L’herbe cingla les jambes nues des voyageurs provoquant des démangeaisons brûlantes. Le vent enveloppa leur dos d’une chaleur sèche. Les courants ascendants de l’air entourèrent d’un mur scintillant la chaîne annelée des plates collines. Les jeunes gens gravirent un col et s’arrêtèrent. Un fourré insolite de séquoias énormes dissimulait le centre du plateau. Trente-quatre allées larges – d’après le nombre des vecteurs principaux du Grand Anneau – partaient du fourré vers les pentes des collines environnantes de basalte marron abruptement taillées et couvertes de bas-reliefs. Les élèves ne les regardèrent pas, mais se dirigèrent vers le fourré, par la route principale de pierre blanche. Seules deux colonnes rondes de granit noir indiquaient l’entrée. Sous les branches très hautes et étalées des séquoias, le soleil aveuglant devenait moins violent et le murmure du vent s’apaisait. La puissance sévère des troncs majestueux incita les élèves à ralentir l’allure et à baisser la voix, comme s’ils pénétraient dans une retraite secrète, loin du monde. Ils se regardèrent avec émotion et curiosité dans l’attente d’un événement inhabituel. Mais lorsqu’ils arrivèrent au centre de la clairière, sous l’éclat implacable du soleil, il leur sembla que le monument élevé en hommage à l’astronef « La Flamme sombre » était un peu trop simple.

Le vaisseau reproduit – une coupole hémisphérique en métal vert foncé – portait une grossière fente rectiligne, comme s’il avait été fendu par une épée colossale. Des statues étaient disposées autour de son socle, sous le rebord annelé. La plate-forme – le piédestal du monument – était composée d’une spirale étroitement torsadée d’un métal clair et poli comme un miroir qui était encastré dans une pierre mate et noire.

Le nombre de sculptures ornant chaque demi-cercle de la fente était inégal : il y en avait cinq à l’est et huit à l’ouest. Les élèves devinèrent le symbole facile.

— La mort a séparé ceux qui ont été tués sur la planète Tormans et ceux qui sont revenus sur Terre, dit doucement Aïoda, pâlissant légèrement.

Le maître inclina la tête silencieusement.