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Chapitre I

LE MYTHE DE LA PLANÈTE TORMANS

— Pour terminer, laissez-moi vous dire d’où vient ce nom. Pendant la 5e période de l’EMD, le mécontentement envers la civilisation de type capitaliste s’accrut dans la sphère occidentale de la culture mondiale. De nombreux écrivains et savants essayèrent de pressentir l’avenir, et ce qu’ils prévoyaient pénétra de terreur les esprits d’avant-garde qui sentaient l’imminence de la crise dans ces années où les contradictions mûrissantes se terminèrent par des conflits armés. Mais l’invention des fusées à longue portée et de l’arme atomique généralisa les craintes pour le destin futur de l’humanité et se répercuta tout naturellement sur les arts. On a conservé un tableau de cette époque à la Maison de la Culture. Au bas de ce tableau, un titre parfaitement clair : « La dernière minute ». Sur un vaste champ sont alignées des fusées gigantesques, elles ressemblent aux grandes croix des anciens cimetières ; un ciel bas, terne, sans soleil fait ressortir – en piques aiguës – les têtes porteuses de ces terrifiants engins destructeurs thermo-nucléaires. Les gens se regardent peureusement, en proie à la terreur devant le fait accompli, et courent à la queue-leu-leu vers l’antre noir d’un abri profond. Ceux qui périront ne sont pas ceux qui courent vers l’abri, mais un homme et une femme, jeunes et sympathiques, dessinés sur une autre partie du diptyque. La femme serre contre elle un jeune enfant, tandis qu’un garçon un peu plus âgé étreint son père de toute la force de ses petites mains. L’homme enlace sa femme et ses enfants, la tête tournée vers l’arrière là où, du nuage déferlant de l’explosion atomique, surgit un glaive immense suspendu au-dessus des malheureux. La femme ne tourne pas la tête, elle regarde le spectacle et le chagrin infini de sa perte irrémédiable qui se lit sur son visage accable celui qui voit ce tableau. L’impuissance du mari est tout aussi fortement exprimée : il sait que c’est la fin et ne souhaite qu’une chose, que cela s’achève le plus vite possible.

« Des sentiments analogues à ceux exprimés dans ce tableau apparurent bien plus tôt, après la Première Guerre mondiale de l’EMD. Ces sentiments avaient cours chez ceux qui pratiquaient la religion chrétienne et croyaient sans réserve à des forces particulières surnaturelles, les forces mystiques comme on les appelait alors. Depuis longtemps, les moralistes avaient vu le déclin inéluctable de l’ancienne morale issue du dogme religieux et liée à la désagrégation de la religion, mais contrairement aux philosophes dialectiques, ils ne virent pas que le changement de société était la seule issue. Nous avons conservé un exemple de la manière de réagir à la réalité de l’époque. Il s’agit du petit livre d’Arthur Lindsay sur le voyage fantastique en une planète inconnue du système stellaire d’Arcturus. Le voyage a, bien sûr, un sens mystico-spirituel, on n’envisageait même pas, alors, l’éventualité de tels vols. La rédemption de l’humanité a lieu sur la planète imaginaire. La vie sombre et pleine d’angoisse décrite par l’auteur étonne par la richesse de l’imagination. La planète s’appelait Tormans, ce qui, dans une langue oubliée, signifie « tourment ». Ainsi naquit le mythe de la planète des tourments, qui fut ensuite utilisé, pour autant qu’on puisse en juger, par les artistes et les écrivains de nombreuses générations. On revenait sans cesse au mythe de Tormans et cela se produisait toujours dans les périodes de crise, de guerre cruelle, de famine, d’avenir troublé. Pour nous, la planète Tormans n’a été qu’un conte parmi des milliers d’autres et est tombé dans l’oubli. Mais chacun sait qu’il y a soixante-douze ans, le Grand Anneau a transmis la première information concernant l’existence étrange d’un soleil rouge dans la constellation du Lynx. L’historien Kim Rouh a exhumé du fond des âges la source première du mythe et a appelé la nouvelle planète, la planète Tormans, qui symbolise la vie pénible des gens dans une société non structurée.

La voix profonde de Faï Rodis se tut et, dans la salle du Conseil d’Astronautique le silence régna pendant une minute. Puis, apparut à la tribune, un homme maigre, aux cheveux roux hérissés et rebelles. Il était bien connu de la planète entière, car il était le descendant direct du célèbre Ren Boz[4], qui fut le premier à expérimenter le rayon direct et faillit en mourir. C’était également le théoricien de la navigation de l’ARD. Ceux qui avaient vu le monument de Ren Boz trouvaient que Vel Heg ressemblait beaucoup à son bisaïeul.

— Les calculs sont terminés et ne contredisent pas l’hypothèse de Faï. Malgré la distance colossale qui nous sépare de Tormans, il est parfaitement possible que les trois astronefs qui ont quitté la Terre au début de l’ERM aient atteint cette planète. Imaginons que les vaisseaux spatiaux soient tombés dans une région d’anti-gravitation et aient disparu dans l’espace-zéro et de là aient tout naturellement reculé, accomplissant en un instant des centaines de parsecs. À cette époque d’ignorance totale en matière d’astronavigation, la disparition des astronefs était inévitable, mais ils ont dû leur salut à la convergence parfaitement fortuite du point de sortie avec une planète dont les propriétés sont très proches de celles de notre Terre. On sait maintenant que des planètes de notre type ne sont pas du tout rares et qu’en règle générale, elles se trouvent dans presque chaque système stellaire ayant des satellites. C’est pourquoi la découverte d’une telle planète n’est pas étonnante en soi, mais le fait qu’elle se trouve dans les latitudes de la Galaxie pauvres en étoiles est un événement extraordinaire. On disait dans l’ancien Temps, en faisant allusion à la loi de la victoire préalable sur les obstacles, que la fortune sourit aux audacieux. Il en est de même ici l’entreprise insensée des fuyards de la Terre, des fanatiques qui refusaient de se soumettre au cours inéluctable de l’histoire, a été couronnée de succès. Ils sont allés au hasard vers un amas d’étoiles sombres, proches du soleil, amas que l’on vient juste de découvrir. Ils ne soupçonnaient pas que cette tache entourée d’une ceinture de matière sombre, n’était pas du tout un système complexe d’étoiles invisibles, mais une faille, un lieu de dispersion de la structure longitudinale de l’espace contournant l’ondulation de Tamas. J’ai examiné, une fois de plus, les enregistrements des machines à mémoire de la transmission 886449, code 105, 21e groupe du centre d’information N° 26 du Grand Anneau. Ils donnent peu de détails sur les habitants de Tormans.

« Une expédition partie d’une planète de la constellation de Céphée, dont le nom n’a pas encore été traduit dans la langue de l’Anneau, a pu prendre quelques clichés, d’après lesquels on peut estimer que les habitants de Tormans sont tout à fait semblables aux gens qui ont fait cette tentative désespérée il y a de nombreux siècles.

« On a déjà effectué le calcul de la probabilité bi-polaire, il est égal à 0,4. La machine de Méditation Commune a rassemblé dans toutes les régions un indice élevé de « oui » et l’Académie des Joies et des Peines s’est également prononcée pour l’envoi d’une expédition.

Vel Heg quitta la tribune et fut remplacé par le Président du Conseil.

— Après une telle argumentation, le Conseil n’a plus rien à décider, nous nous soumettons à l’avis de la planète.

En réponse aux paroles du président, une cascade de feux verts scintilla dans toute la salle.

— Le Conseil va se mettre à l’œuvre sans tarder et organiser une expédition. Le plus important, l’essentiel, réside dans le choix des astronavigants. « La Flamme sombre » – notre second ARD – n’est pas grand et nous ne pourrons envoyer autant de personnes qu’il faudrait. Huit personnes seront affectées en permanence à la conduite de l’astronef, en plus des navigateurs. Si on y ajoute cinq hommes, commandant inclus, on atteint le maximum de ce que peut emmener « La Flamme sombre » sans que cela entraîne de gêne insupportable pour tous. Nous reconnaissons avec amertume que nos ARD ne sont rien de plus que des machines expérimentales et que ceux qui les dirigeront vont, au fond, tenter des déplacements extrêmement dangereux dans le Cosmos. Chaque vol, particulièrement dans les zones inconnues du monde, comporte un risque mortel, tout comme autrefois…

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4

Ren Boz : héros de « La Nébuleuse d’Andromède ». (n.d.t.).