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Kin Rouh, sans dissimuler un sourire, proposa à Faï de continuer à étudier l’EMD[8] encore un an. Lorsque Faï s’aperçut que dans la vie non structurée de l’EMD s’étaient forgées les bases spirituelles et éthico-morales du monde futur, elle fut frappée et totalement captivée par le tableau de la grande lutte pour le savoir, la vérité, la justice, pour la conquête consciente de la santé et de la beauté. Pour la première fois, elle comprit la brusquerie apparemment énigmatique du revirement de la marche de l’histoire au seuil de l’ERM[9], lorsque l’humanité torturée par l’existence d’une guerre frisant l’extermination totale, brisée par les discordes nationales et linguistiques, la lutte des classes et ayant épuisé les ressources naturelles de la planète accomplit l’union mondiale socialiste. Maintenant, des siècles plus tard, ce gigantesque pas en avant, donnait l’impression d’un bond inattendu. La recherche des racines du futur, de l’admirable certitude en l’existence d’un être humain beau et éclairé, avait été pour Faï Rodis la grande affaire de sa vie. Et, alors que quinze années s’étaient écoulées, qu’âgée de quarante ans elle atteignait l’âge mûr, cette recherche l’avait conduite à diriger une expédition hors du commun, dans un monde horriblement éloigné, semblable à celui existant sur Terre à la fin de l’EMD : monde capitaliste oligarchique et étatique stoppé par on ne sait quel procédé dans un développement général considéré comme historiquement irréversible. S’il en était ainsi, alors on tomberait là-bas sur une société dangereuse, empoisonnée par des idées fausses, sur une société qui n’attachait aucun prix à l’homme, pourrait le condamner à mort sans hésiter, que ce soit au nom du gouvernement, de l’argent, du processus de production ou enfin d’une guerre faite sous n’importe quel prétexte.

Elle allait se trouver face à face avec ce monde et, non pas en tant que chercheuse impassible dont le rôle est de regarder, d’étudier et de fournir l’ensemble des matériaux à sa planète natale. On l’avait choisie, non pas à cause de ses résultats scientifiques peu importants, mais en tant qu’ambassadrice de la Terre, en tant que femme de l’ERM, susceptible grâce à la profondeur de ses sentiments, à son tact et à sa tendresse, de rendre aux descendants de sa planète natale, la joie de la vie lumineuse du monde communiste.

Faï Rodis d’un geste détaché éteignit le diorama.

Emporter avec soi une partie du rêve du maître, qu’était-ce sinon un certain écho au trouble antérieur ressenti lors de la découverte de l’EMD ? Maintenant, en ce moment précis, où l’astronef filait à toute allure vers un destin inconnu, elle considérait la jeune fille en train de voler comme une amie. Celle-ci était sur le qui-vive, sa main fine levée en guise de signal avant la descente dans le gouffre. Rodis également allait se trouver bientôt confrontée au monde de Tormans, si mortellement dangereux pour tout étranger, et ses compagnons attendraient qu’elle fasse le signal décisif.

Faï Rodis déplaça une manette sous l’oreiller du divan et une partie de la cloison de la cabine se transforma en miroir. Pendant une minute, elle étudia son visage, cherchant une ressemblance avec la tension tragique du visage de la jeune fille. Cependant, même si les émotions étaient très proches, le visage régulier et ferme de la femme mûre de l’EMT, dont l’ossature solide était modelée de façon idéale et perçait sous les muscles apparents et la peau irréprochable, était très différent de celui de la jeune fille de l’EMD à l’expression semi-enfantine.

Le pressentiment de l’épreuve, l’angoisse quant au succès de l’expédition avaient accru le sérieux des yeux verts de Faï Rodis et accusaient plus fortement la fermeté de sa bouche.

Faï Rodis écarquilla les yeux et leva la main – du geste de la jeune fille volant sur la plate-forme – mais ce que le miroir lui renvoya était drôle et pathétique. Avec un bref sourire, Rodis rangea le miroir, ôta sa robe et s’allongea sur le divan, laissant son corps se détendre, fixant du regard le globe bleuté brillant légèrement au-dessus de sa tête. Elle resta immobile trois heures environ, tant qu’un point jaune continua de brûler et que se poursuivit un faible bruit dans le système de cercles concentriques du plafond. Faï Rodis exécuta quelques mouvements de gymnastique. Quelques minutes s’écoulèrent encore, puis, apparut devant le miroir une autre femme d’aspect plus sévère et plus austère, moulée dans un vêtement souple d’astronaute, à la coiffure courte et ajustée. Un lourd bracelet émetteur de signaux était à sa main gauche. Elle sortit de sa cabine.

Les membres de l’équipage étaient déjà réunis dans le local circulaire situé dans l’axe central du vaisseau, sous la sphéroïde de pilotage et les calculatrices. Les cadrans des appareils de double pilotage s’animèrent et, aussitôt, Menta Kor et Div Simbel se glissèrent dans la salle par une trappe du plafond. La corde en si bémol des PLE[10] chantonnait doucement, indiquant que le travail des surveillants des liaisons électroniques était normal. L’astronef n’exigeait plus d’attention et poursuivait la route donnée en direction de la zone galactique.

Le silence expectatif imposa à Faï Rodis d’aller directement au plus difficile : séparer l’équipage en deux groupes, ceux qui allaient atterrir et ceux qui resteraient aux commandes de l’appareil. Elle commença par projeter les vues prises par l’expédition de Céphée et transmises par l’Anneau. Par la voie habituelle, elles n’auraient dû atteindre la Terre que dans deux mille cinq cents ans, mais l’ARD quittant la planète dans la région de la constellation du Dragon était allé dans notre partie de la Galaxie et avait envoyé ses informations dans le 26e segment du Grand Anneau.

L’expédition de Céphée n’avait survolé la planète Tormans que deux fois et, n’ayant pas reçu l’autorisation d’atterrir, s’était éloignée, après avoir filmé la planète et ses habitants en interceptant des émissions de télévision.

Le soleil rouge de Tormans – une étoile ordinaire pour l’observateur terrestre – se trouvait dans la Constellation du Lynx, région sombre et pauvre en étoiles, des hauteurs élevées de la Galaxie.

Il n’était venu à l’esprit de personne que des habitants de la Terre aient pu s’installer dans cette étendue profonde. Mais les images transmises par l’Anneau ne laissaient aucun doute il s’agissait de gens tout à fait semblables aux Terriens.

Il était difficile de juger de la couleur de leur peau ; apparemment, elle ne se différenciait pas de celle des Terriens les plus bruns. Leurs yeux étroits et allongés semblaient d’un noir impénétrable, les sourcils obliques tournés vers la racine du nez ajoutaient une expression légèrement tragique à leurs visages. Les anthropologues retrouvèrent dans le profil des habitants de Tormans des traits mongoloïdes aplatis, mais la petite taille et la constitution fragile et la plupart du temps anormale faisaient aussi penser aux gens de la fin de l’EMD et du début de l’ERM.

La surface de la planète, filmée au cours d’une éclaircie de la couverture nuageuse ne ressemblait pas à la Terre. On pouvait plutôt la comparer à la planète du Soleil Vert. L’indice de la sonde lumineuse indiqua au regard exercé des planétographes que les mers de Tormans étaient peu profondes par rapport aux océans de la Terre. L’atmosphère de Tormans avait, apparemment, la même densité que celle de la Terre. Un soleil pourpre éclairait la planète qui accomplissait ses révolutions « couchée » son axe coïncidait avec la ligne de l’orbite et une convection uniforme se diffusait sur sa surface.

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8

EMD : Ère du Monde Désuni.

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9

ERM : Ère de Réunification Mondiale.

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10

PLE : Protection des Liaisons Électroniques. (n.d.t.).