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— Si la végétation et, par conséquent, la composition de l’atmosphère sont, ici, semblables aux nôtres, s’il n’y a ici aucun organisme porteur de maladie particulière, alors, on peut vivre aisément sur cette planète, dit Tor Lik en brisant le silence. Ici, on doit ressentir les brusques changements de climat, la surabondance des radiations, les tremblements de terre, les ouragans et autres cataclysmes naturels dont nous avons depuis longtemps atténué les effets chez nous.

— Il semble que vous ayez raison, confirma Grif Rift. Mais pourquoi alors Tormans ? Se peut-il que l’état de la planète ne soit pas si mauvais et que le maître de Faï Rodis ait ressuscité un mythe du passé ? On dit qu’il a donné un nom trop audacieux à la planète se basant seulement sur des données préliminaires. Les profils démographiques orbitaux de l’expédition de Céphée ont indiqué un chiffre de population de l’ordre de quinze milliards. La circulation de la masse aqueuse et le caractère du relief témoignent de l’impossibilité pour un nombre aussi élevé de personnes de prospérer biologiquement. On peut éviter la famine si on fait sur la planète – ou si on a emprunté à l’Anneau – les découvertes scientifiques permettant la production de nourriture synthétique en négligeant les organismes intermédiaires. Ils ne communiquent pas avec le Grand Anneau, mais le refus d’accueillir un astronef étranger sur leur planète prouve l’existence d’une puissance fermée et centralisée qui ne souhaite pas l’apparition d’hommes venus du Cosmos. Par conséquent, cette puissance a peur des connaissances élevées des arrivants qui soulignent le bas niveau de son développement et ne se soucie pas de l’organisation socio-scientifique de la société qui devrait être la sienne. Cela signifie qu’une structure oligarchique empêche quiconque d’utiliser des émetteurs puissants, même dans des cas exceptionnels.

— Dans ce cas, la répression des intérêts individuels existe sur cette planète, puisque des milliers de personnes auraient répondu à un événement tel que l’arrivée de l’astronef, dit Faï Rodis, or, on sait d’après l’histoire de la planète qu’à un tel système correspondent toujours une insuffisance dans le domaine scientifique et une régression dans le domaine technique.

— Kin Rouh a raison ! s’écria Tchedi Daan. Une population énorme sans progrès rapides épuise rapidement les ressources de la planète, détériore le niveau de vie, ce qui affaiblit encore plus le progrès, en un mot, l’anneau se referme.

— Ce sont par des paroles semblables que mon maître a justifié son appellation de la planète, car les tourments que les gens ont à subir sont inévitables dans de telles conditions d’infernalité, affirma Faï Rodis.

— Entendez-vous par là la formule ancienne ou la nouvelle analyse faite par Kin Rouh ?

— Les deux à la fois. C’est un homme à la fois philosophe et savant de l’EMD qui a avancé la théorie et lui a donné ce nom.

— Je sais, répondit Tchedi Daan, il s’agit de Erf Rom qui a vécu dans la 5e période.

— Nous discuterons de sa théorie plus tard. Comme c’était un contemporain de Tormans, nous pourrons étudier sa vie, dit Faï Rodis. Mais maintenant, séparons-nous en deux groupes. Chacun se préparera aux divers actes de civilisation qui attendent aussi bien ceux qui vont rester à bord pour protéger « La Flamme sombre » que ceux qui fouleront le sol interdit de la planète.

— Mais s’ils refusent à nouveau ? demanda Div Simbel.

— J’ai imaginé un subterfuge qui nous ouvrira l’accès de la planète, répondit Faï Rodis.

— Qui emmènerez-vous avec vous ? interrogea Sol Saïn.

— En dehors des trois spécialistes de l’expédition – Tchedi, Tivissa et moi-même – il nous faut à tout prix un médecin, un technicien et un calculateur de classe supérieure possédant les méthodes stochastiques, Ghen Atal viendra en qualité de technicien, Neïa Holly le remplacera au poste de protection blindée du vaisseau, l’ingénieur en calcul sera le premier astronavigateur Vir Norine, quant au médecin, nous n’en avons qu’un seul.

— Merci, Faï, dit Evisa en lui envoyant un baiser.

Vir Norine acquiesça de la tête, radieux, sans quitter Faï Rodis du regard, une légère rougeur envahit ses joues pâlies par le travail et la tension de ces derniers mois passés dans les locaux étroits du vaisseau.

Ghen Atal serra fortement ses lèvres fines et une profonde ride verticale apparut entre ses sourcils.

— Pourquoi pas moi ? s’écria Olla Dez mécontente. Je me suis préparée à l’atterrissage et je suis en pleine forme. Je pensais que je pourrais aussi jouer le double rôle de chercheuse et de démonstratrice : montrer aux Tormansiens les danses plastiques.

— Vous les leur montrerez, Olla, cela ne fait aucun doute, rétorqua Faï Rodis, mais sur l’écran de notre vaisseau. Vous êtes utile ici pour les liaisons avec les robots personnels et les prises de vue à distance. D’ailleurs, si tout se passe bien, chacun de nous sera l’hôte de Tormans.

— Mais pour l’instant, il faut s’attendre au pire, grimaça Olla Dez.

— À quelque chose de terrible, mais pas au pire, dit Faï Rodis.

Chapitre II

AU BORD DU GOUFFRE

« Vingt jours durant voguèrent les caravelles,

De leur étrave fendant les flots rebelles,

Vingt jours durant les aiguilles aimantées,

Remplaçant les cartes, la voie ont montré. »

En fredonnant ces paroles de la vieille mélodie « Le Paradis Civilisé », Tchedi Daan fit irruption dans la salle ronde, vit Faï Rodis penchée sur l’appareil de lecture et se troubla.

— Je me pénètre de la mentalité de l’EMD, expliqua Tchedi, il y a exactement vingt jours aujourd’hui que nous nous sommes arrêtés et que nous planons immobiles dans l’espace.

— Et ne vous semble-t-il pas, dit Faï Rodis, accompagnant ces mots de son habituel sourire secret, que « Le Paradis Civilisé » ne convient pas aux vers de l’EMD ? Deïra Mir qui a récemment composé une cantate penche pour une mélodie située dans un spectre rouge-orangé sombre. Je pense, quant à moi, que les poètes de l’EMD étaient des gens merveilleux, car ils ont su composer de belles et bonnes choses de spectre bleu. Vous savez, de toute cette période, mes préférences vont d’abord à la poésie russe parmi l’héritage poétique de cette époque, c’est elle qui me semble la plus profonde, la plus courageuse et la plus humaine. Les personnes bonnes ont toujours porté en elles la tristesse d’une vie infernale et désordonnée, et les mélodies de leurs chants n’auraient pas dû être dans la majeure du spectre vert.

— Pourtant, remarqua Tchedi, les enregistrements de musique que nous avons sauvegardés abondent aussi en lignes mélodiques jaunes.

— Oui, mais n’oubliez pas, Tchedi, lorsque vous incarnerez une jeune fille de l’EMD que l’on a toujours distingué dans les œuvres de l’époque deux aspects : l’aspect intérieur et l’aspect extérieur. L’aspect intérieur n’était exprimé que de façon indirecte, tandis que l’aspect extérieur était le masque de la mélodie de spectre jaune, orange ou même infra-rouge ; on l’appelait aussi musique abstraite, comme si elle avait été supra-émotionnelle.

— Et le masque était conforme aux exigences de la société ou du pouvoir ?

— En partie, mais pas obligatoirement. Comme tout masque, l’artiste s’en servait d’abord pour dissimuler le fossé entre ses aspirations et la vie qu’il devait mener.

— Mais alors, s’étonna Tchedi Daan, ils portaient tous des masques !

— Oui, ceux qui de loin en loin essayaient de vivre sans masque étaient considérés comme des fous, des saints ou des idiots selon le terme employé pour les gens non agressifs et à la pensée défaillante.