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Elle a seize ans. Elle est belle, connaît le latin, le grec, l’hébreu, c’est une sorte de surdouée qui, de plus, appartient à une excellent famille fortunée : les Montmorency. Nous sommes en 1115, dans la maison du chanoine Fulbert, son oncle. Elle vient de quitter le couvent d’Argenteuil pour poursuivre ses études à Paris. Un soir, on frappe à la porte : c’est le célèbre professeur de théologie Pierre Abélard, trente-neuf ans, philosophe adulé des Parisiennes, sorte de chevalier de l’esprit, au corps idéal, qui vient demander au chanoine Fulbert de le loger parce que, dit-il, il réside trop loin du lieu où il dispense son enseignement – en réalité, il est déjà séduit par la beauté éblouissante d’Héloïse, son élève, et par son savoir.

Ils sont amoureux fous

Amoureux fous l’un de l’autre, Héloïse et Abélard pratiquent au-delà du raisonnable les conséquences physiques de leur attrait mutuel. Et ils ont de l’imagination, c’est Abélard lui-même qui le dit dans ses mémoires : « Si l’amour pouvait ajouter quoique ce soit d’inusité, nous l’ajoutions… » Mais bientôt Fulbert les surprend dans l’inusité… Il chasse l’amant à grand fracas. Héloïse est enceinte ! Abélard l’enlève alors et l’emmène en Bretagne, près de Nantes, dans la petite ville du Pallet où il est né. Elle y accouche d’un fils : Astrabale.

Il perd ses attributs

Héloïse rentre à Paris après avoir épousé secrètement Abélard. Elle est alors nommée prieure du couvent d’Argenteuil – quoique mariée… Fulbert, parrain et tuteur d’Héloïse, n’accepte pas cette situation. Au comble de la fureur contre le couple passionné – car Abélard est venu retrouver son épouse dans son couvent – il recrute des écorcheurs et les charge de châtrer l’amant ! Le scandale est énorme ! Le roi Louis VI, mis au courant de l’affaire, ordonne que la justice soit promptement rendue. Ce qui est fait : les deux châtreurs sont à leur tour châtrés, et, de plus, on leur crève les yeux. Fulbert qui, pourtant, est le donneur d’ordres, ne subit que la privation des bénéfices liés à son chapitre !

Elle l’aime quand même

Abélard et Héloïse n’en continuent pas moins de s’aimer – surtout Héloïse –, mais leur passion devient plus spirituelle. Abélard doit quand même quitter Paris. Pendant un certain temps, il va mener une vie errante qui le conduit à Saint-Denis, puis en Bretagne, à Saint-Gildas-de-Rhuys, et enfin en Champagne où saint Bernard, régulièrement, le morigène. Il l’oblige à vivre dans une vallée sauvage. C’est là, près de Nogent-sur-Seine, qu’il fonde l’abbaye du Paraclet, voué à l’esprit saint consolateur. Et qui donc en devient la première abbesse ? Héloïse, que son mari va élever vers la plus fine spiritualité ! Elle le restera pendant trente-trois ans, jusqu’à sa mort en 1164 !

De plus en plus

En attendant, elle ne cesse d’écrire à Abélard, lui posant par exemple quarante-deux questions sur les problèmes de l’interprétation des écritures saintes, terminant par le véritable objet de ses demandes d’éclaircissement : peut-on pécher en accomplissant ce qui est permis et même ordonné par Dieu ? Autrement dit, sont-ils tous les deux coupables de s’aimer dans leur chair au point d’avoir eu un enfant hors des lois de la religion ? Abélard ne répond que mollement à toutes ces lettres, il paraît distant et se raccroche à une certaine idée du mariage où il est préférable de réprimer les désirs de la chair. Il est vrai qu’il ne peut guère défendre une autre thèse désormais.

Pour l’éternité

Abélard poursuit sa carrière de théologien et philosophe, mais les positions qu’il prend et les thèses qu’il défend ne plaisent pas à sa hiérarchie : il est condamné à deux reprises, au concile de Soissons en 1121, et de Sens en 1140. Il meurt le 21 avril 1142, à Saint-Marcelles-Chalons, auprès de l’abbé de Cluny, Pierre le Vénérable. Son corps, sans tarder, est transporté au Paraclet, chez Héloïse. Lorsqu’elle meurt, vingt-deux ans après son amant, sa dépouille rejoint celle d’Abélard. La légende rapporte que, lorsque Héloïse fut déposée dans le cercueil, le bras d’Abélard qui semblait l’attendre se referma doucement sur elle. Aujourd’hui, les amants sont réunis pour toujours au cimetière du Père Lachaise à Paris sous un monument néogothique, avec cette épitaphe : « Tous les deux réunis jadis par l’étude, par l’esprit, par l’amour, par des nœuds infortunés et par le repentir. »

Une affaire d’honneur : le combat des Trente, 1351

Les Montfort ou les Penthièvre ? Quel clan va l’emporter dans la guerre de succession qu’ils se sont déclarée pour gouverner le duché de Bretagne au milieu du XIVe siècle ? Les Anglais sont venus compliquer la lutte en soutenant les Montfort, ce qui leur permet de piller les campagnes et de rançonner les paysans ! En 1351 va se dérouler un surprenant épisode de cette histoire de succession. Il s’agit d’un combat à la fois héroïque et sans réelles conséquences sur les affaires bretonnes. Un combat inclassable, une affaire d’honneur : Jean de Beaumanoir va lancer aux Anglais un incroyable défi !

Tête de Blaireau !

En colère, le chef breton Jean de Beaumanoir, fidèle du clan Penthièvre ! En colère contre Tête de Blaireau. Qui est Tête de Blaireau ? Il s’agit de Richard-Robert Bemborough. Les Bretons l’appellent par dérision et déformation du nom : Pen broc’h, ce qui signifie… tête de blaireau. Ce capitaine anglais qui combat pour le compte du clan Montfort vient de bénéficier d’une promotion par le lieutenant général du roi d’Angleterre en Bretagne : il a été nommé commandant de la garnison de Ploërmel (dans le Morbihan actuel). Mais il se comporte en tyran avec la population des environs. Jean de Beaumanoir, commandant de la place de Josselin – située à douze kilomètres de Ploërmel –, en est si scandalisé qu’il décide d’aller signifier son mécontentement à Tête de Blaireau. Le 23 mars 1351, il se met en chemin pour Ploërmel.

Des paysans enchaînés

Son indignation atteint son comble lorsqu’il rencontre une troupe de pauvres paysans enchaînés par deux et que des soldats anglais poussent devant eux, comme du bétail. Arrivé à Ploërmel, il exige de Bemborough des adoucissements dans le traitement des populations environnantes. L’entrevue tourne court : Bemborough ne veut rien entendre ! Alors, avant de quitter les lieux, Jean de Beaumanoir lui lance un défi : ce conflit peut se régler de façon chevaleresque. Il suffit de réunir dans chaque camp trois chevaliers qui s’affronteront à mort, selon les règles de l’honneur. Le vainqueur y gagnera la place forte commandée par l’autre ! Séduit par l’idée, Tête de Blaireau accepte, mais pour un combat de trente chevaliers dans chaque camp.

Choc terrible

Le 26 mars 1351, les soixante combattants se rassemblent au lieu-dit « La lande de Mi-voie », entre Josselin et Ploërmel. Ils se disposent en deux lignes de part et d’autre d’un gros chêne, sous le regard d’une foule nombreuse à laquelle il est interdit de porter secours aux adversaires sous peine de mort. Au signal, les chevaliers aux lourdes armures s’élancent les uns contre les autres. Le choc est terrible. Le combat fait rage et bientôt, l’un des Bretons de Josselin est fait prisonnier par les Anglais, deux de ses compagnons sont tués. De part et d’autre, la fatigue se fait sentir et une trêve est décidée d’un commun accord. Chacun en profite pour se rafraîchir. Puis, c’est la reprise. Tête de Blaireau se précipite sur Beaumanoir et lui demande de se rendre. Il reçoit alors un violent coup au visage, tombe, se relève, exige encore la reddition de Beaumanoir, mais un coup de hache lui coupe définitivement la parole. Tête de Blaireau est mort ! C’est un coup dur pour les Anglais.