Un krak !
La construction de Château-Gaillard, décidée en 1196, n’a duré qu’une année. Château-Gaillard est un krak, c’est-à-dire une construction inspirée des ouvrages de défense édifiés en Syrie (« krak » vient du syriaque karak signifiant « forteresse »), comportant de nombreuses tours, un triple mur d’enceinte, et de profonds fossés. Richard a rapporté ce type d’architecture de la croisade qu’il a faite avec Philippe Auguste, croisade terminée par sa captivité chez l’empereur germanique Henri VI. Il n’aura guère le loisir de contempler sa fille d’un an : il meurt lors du siège de Châlus en 1199.
Comme à Alésia !
Quelques années plus tard, au début de septembre 1203, Philippe Auguste qui combat Jean sans Terre décide de s’emparer de la redoutable forteresse. Elle est défendue par Robert de Lascy. Tous les habitants des environs s’y sont réfugiés – Château-Gaillard remplit son rôle traditionnel de château fort protégeant hommes, femmes, enfants et vieillards. Philippe Auguste reprend la stratégie de César devant Alésia : il fait creuser des fossés autour du site et empêche tout ravitaillement de parvenir aux assiégés.
Comme à La Rochelle
Comme à Alésia en -52, comme à La Rochelle en 1629, les habitants réfugiés dans le château sont chassés. Pendant des semaines, des scènes atroces vont se dérouler sous les yeux des soldats de Philippe Auguste. Ils ne s’en soucient guère et parviennent, grâce à leurs machines de guerre – et à l’habileté de l’un des leurs, Bogis, qui se glisse dans la deuxième enceinte par… les latrines – à pénétrer dans le château, puis à s’emparer du donjon – aux murs de cinq mètres d’épaisseur à leur base ! Prison des belles-filles de Philippe le Bel, puis de Charles le Mauvais, la forteresse de Château-Gaillard est démantelée sur l’ordre d’Henri IV en 1603.
Haut-Koenigsbourg : le château de Barberousse
Fondé dans la première moitié du XIIe siècle par Frédéric II de Hohenstaufen, le château de Haut-Koenigsbourg – entre Strasbourg et Mulhouse, près de Selestat – est une forteresse perchée à 800 mètres de haut sur un éperon rocheux, dans un environnement idéal pour conduire à la rêverie des temps anciens. En ces temps-là, donc, Frédéric II, dit « le Borgne », aimait faire construire des châteaux un peu partout, afin de créer en Alsace une ligne de défense, au point qu’on disait familièrement qu’il avait un château accroché à la queue de son cheval. Il meurt en 1147.
Son fils, Frédéric III, devient empereur germanique en 1155. Vous le connaissez pour l’avoir rencontré en Turquie le 10 juin 1190, jour de sa mort, dans un torrent glacé où il se baignait : Frédéric III, l’empereur Barberousse ! Au XVe siècle, le château est habité par des seigneurs qui pillent les environs avec tant de conviction qu’une armée en fait le siège en 1462. Les mauvais seigneurs sont massacrés et le château est rasé. Reconstruit à partir de 1479, ravagé de nouveau en 1633 pendant la guerre de Trente Ans, il est en ruines au début du XXe siècle lorsque l’empereur Guillaume II décide de le faire restaurer en entier, confiant la tâche à un architecte de Brême : Bodo Ebhardt. Au traité de Versailles, en 1919, le château revient à la France. On dit que le Haut-Koenigsbourg est le plus beau château fort de France. Vous ne connaissiez pas ? Courez-y vite ! Il est ouvert tous les jours. Ou bien regardez le film La Grande Illusion de Jean Renoir : il fut tourné au château de Haut-Koenigsbourg en 1937 !
Des châteaux pour la vie !
Les six châteaux de la Loire que vous allez découvrir sont comme les trois mousquetaires qui étaient quatre… Eux, ils sont quarante-deux (Chinon, Loches, Amboise, Langeais, Gien, Sully, Meung-sur-Loire, Beaugency, Talcy, Beauregard, Valençay, Saché, le Lude, Montsorerau, Montreuil-Bellay, Brissac-Quincé, Le Plessis-Macé, etc. Tous ne sont pas au bord de la Loire, mais le fleuve n’est jamais bien loin). Les six châteaux présentés ici le sont en raison de la richesse de leur passé historique ; les autres, tout aussi riches, vous apporteront autant de plaisir tant par leur architecture que par leur environnement. Suivez le guide…
Chambord : le rêve de pierre
La merveille du Loir-et-Cher, Chambord est bâti sur le plan des châteaux féodaux : un donjon central à quatre tours et une enceinte. François Ier, après Marignan, est revenu d’Italie avec mille désirs de magnificence. Aujourd’hui, il nous comble !
Les plans de Léonard
Peut-on affirmer que le château de Chambord dépasse celui de Versailles ? Sans aucun doute si on aime déceler dans l’apparence de l’un et de l’autre l’invitation au rêve. Chambord, c’est François Ier ! C’est aussi et surtout Léonard ! Léonard de Vinci qui conçut juste avant de mourir cette merveille aux 365 cheminées, aux 440 pièces. Voulez-vous visiter le plus grand, le plus majestueux des châteaux de la Loire ? Gagnez Blois, dans le Loir-et-Cher, puis faites dix-huit kilomètres vers l’est, dans le canton de Bracieux. Au bord d’une allée, vous découvrirez la merveille ! Lorsque François Ier remarque au cour d’une chasse en 1518 le petit château construit par les comtes de Blois, il ordonne immédiatement qu’il soit rasé et remplacé par ce qui va devenir son rêve de pierre.
Double révolution
Il va engloutir des sommes considérables dans cette construction, sacrifiant même le remboursement des sommes dues à l’Espagne pour la libération de ses fils otages à sa place… En 1527, il projette de faire détourner la Loire afin qu’elle passe au pied du château ! Le projet est finalement abandonné, et c’est le petit Cosson, modeste cours d’eau, qui fera l’affaire. En 1545, le logis royal est achevé. François Ier meurt deux ans plus tard. Louis XIV y séjourne neuf fois entre 1660 et 1685, Molière y fait jouer pour la première fois Le Bourgeois Gentilhomme. En 1809, Napoléon le donne à Berthier qui se contente de vendre le bois de ses environs. Entre 1871 et 1873, le petit-fils de Charles X, le comte de Chambord, s’y installe, exigeant pour devenir le roi de France, Henri V, que soit conservé le drapeau blanc d’Henri IV ! Vous connaissez la suite… Ne manquez pas de vous pencher sur l’architecture de l’impressionnant escalier à double révolution ; en le gravissant ou en le descendant, sachez que vous vous promenez dans l’idée qui germa un jour dans le cerveau d’un génie : Léonard de Vinci !
Chenonceaux : le rêve d’eau
Chenonceaux ! L’incroyable vision d’un double château dans le reflet du Cher traversé : celui de l’air et celui de l’eau. Sa pierre blanche est entourée de verdure, ses arches plongent vers le ciel, vers l’infini. Élégant, fin, mystérieux, il porte bien son nom : le château des dames !
Le pont de Diane
La construction de Chenonceaux commence en 1512 par l’arasement d’un ancien moulin dont seul le donjon est conservé. Thomas Bohier, l’intendant des Finances de François Ier a décidé de faire construire selon les plans qu’il a imaginés un nouveau château. En réalité, c’est sa femme, Catherine Briçonnet, qui va surtout guider la progression des travaux. À la mort de ses parents endettés jusqu’au cou – et pour cause… – leur fils lègue Chenonceaux à François Ier qui va y séjourner régulièrement. Son fils Henri II le donne ensuite à celle qui l’a séduit pour la vie, bien qu’elle soit de vingt ans son aînée : Diane de Poitiers. C’est elle qui fait construire le pont aux cinq arches reliant le château à l’autre rive du Cher. Mais en 1559, Henri II meurt dans un tournoi. Dehors, Diane !