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Carolus expliqua, entre deux reniflements, que sa semaine scolaire avait été catastrophique et qu'il s'attendait à un bulletin des plus alarmants. Pressé par le frère éducateur de dire combien faisait cinq fois un, il avait eu la malencontreuse idée de répondre « Six » alors que tant d'autres possibilités s'offraient à son choix. De plus, n'avait-il pas écrit dans un devoir « Deus ex machina » en ajoutant un « s » à « machina » et n'avait-il pas affublé le mot « homo » de deux « M » dans sa composition latine ?

Non content de cela, il avait employé le mot estropié dans une phrase incorrecte puisqu'en effet ce pauvre petit avait écrit textuellement : « hommo lave plus blanc ». Le frère s'était mis dans un grand courroux et avait expliqué à ce peu brillant élève quel crime grammatical il commettait en abandonnant lâchement le superlatif « plus » dans une phrase inachevée. « Lave plus blanc que quoi ? » avait demandé le frère d'un ton fort abrupt. « Lave plus blanc que ma tonsure ? Que ton nez ? Que la couronne de notre empereur ? » Bref, comme disait jadis Pépin, les choses se présentaient extrêmement mal pour le jeune Carolus qui s'attendait à une rossée à grand spectacle dans un avenir très imminent. D'autant plus que l'Empereur avait promis de lui cloquer une annotation pas piquée des charançons sur son parchemin scolaire. Les coups de trique allaient voler bas.

La gentille Amalberge réfléchit un instant, puis entreprit de calmer les angoisses de l'enfant.

— Écoute, dit-elle, hier, j'ai croisé l'Empereur qui se rendait à la chapelle. Il m'a souri et m'a caressé le menton. Je vais essayer de l'aborder ce soir lorsqu'il ira au rosaire et je l'implorerai pour qu'il se montre indulgent à ton égard.

Carolus sécha ses larmes et sauta au cou de cette grande sœur, si compréhensive et si astucieuse.

Charlemagne se rendait à la chapelle d'un pas maussade. Homme d'action, il n'aimait guère les oraisons et il considérait la prière organisée comme une perte de temps ; il préférait converser avec Dieu dans le courant de ses occupations. Il lui arrivait de prier dans les circonstances et dans les positions les plus diverses : sur le trône, aux ouatères, pendant les conseils avec ses missi dominici et même en besognant des pucelles aux sens engourdis.

La prière sur terrain approprié le faisait bâiller. Pourtant, il se devait de donner l'exemple. Un Empereur a pour obligation de montrer à ses sujets le chemin du salut. D'ailleurs ses bonnes relations avec le Pape qui l'avait couronné empereur d'Occident le forçaient à des démonstrations de piété édifiante.

Comme il arrivait sur le parvis, il aperçut une belle fille blonde et potelée qui le fixait avec un rien d'effronterie.

Celui que d'aucuns appelaient « le père du monde » (en toute simplicité) ne pouvait résister à une œillade assassine, à une jupe retroussée, non plus qu'à un corsage généreux.

Or, l'adolescente qui se tenait devant lui produisait avec une fausse innocence prometteuse ces trois sources d'intérêt à la fois. Charlemagne avait déjà remarqué la mignonne auparavant et le souvenir de cette fille comestible et tendre l'avait visité au cours de la nuit tandis qu'il honorait une de ses concubines. Il s'arrêta devant la blonde et rosissante enfant.

— Quel est ton nom ? questionna l'Empereur d'Occident et des environs.

— Amalberge, répondit-elle.

— Joli nom, approuva Charlemagne en avançant une main conquérante vers le bustier de la susnommée.

Las, les rondeurs qu'il s'apprêtait à pétrir lui échappèrent, car Amalberge venait de se laisser tomber à genoux devant son souverain.

— J'ai une grâce à vous demander, Monseigneur, balbutia-t-elle.

— Cause ! fit le Grand Charles d'un ton qui s'enrouait car la nouvelle position de la jouvencelle lui permettait une vue imprenable sur ses tétons. Ceux-ci étaient drus et fermes et se pressaient l'un contre l'autre dans le corsage tendu.

— Il s'agit de mon petit frère Carolus Bérudberg, murmura Amalberge.

Et elle exposa en termes hachés sa requête à l'Empereur.

Les yeux exorbités, il ne se lassait pas de regarder les trésors soumis à sa sagacité.

— Une bonne note, ça se mérite ! fit Charles qui, par de telles paroles méritait vraiment son surnom de Grand.

Il en savait quelque chose, le pauvre ! Car, toujours poussé par son souci de l'exemple à donner, il suivait des cours du soir pour s'instruire (comment faire un bon inspecteur si l'on n'est pas apte à juger les devoirs des élèves ?). Les résultats n'étaient pas des plus brillants puisque, la veille encore, il n'avait obtenu que 3 sur 10 à sa composition d'orthographe et 4 seulement à son problème sur les aiguières communicantes !

Les larmes en vinrent aux yeux d'Amalberge.

— Si ton frère n'est pas capable de retenir, cette bonne note, poursuivit Magne, c'est à toi de la mériter par ta docilité. Suis-moi !

Il regarda autour de lui. Il aurait bien rebroussé chemin pour conduire cette pucelle au Palais, mais il aurait eu droit aux crises de jalousie de ses concubines et même de son épouse du moment ! La chapelle lui parut être un endroit suffisamment discret pour abriter ses débordements. Il aida Amalberge à se relever et la fit entrer dans le saint lieu.

La fraîcheur de l'endroit et son obscurité ne firent qu'attiser le feu qui coulait dans ses veines impériales. A peine dans l'édifice, il se jeta sur la pauvrette avec l'intention de la violer.

Saisie d'une frousse noire, Amalberge se débattit. Elle allégua que la sainteté du lieu n'était pas propice à ce genre d'entreprise ; mais Charlemagne fit valoir son titre d'Empereur « couronné de Dieu » pour apaiser les scrupules de la fillette.

Quand on a reçu sa couronne du Pape, une église peut vous servir d'alcôve sans que Dieu y trouve à redire ! Et comme la gente Amalberge ne l'entendait point ainsi, il la pourchassa à travers la chapelle et finit par la rattraper. Mais emporté par son ardeur, Charles la saisit malencontreusement par le bras. Il y eut un craquement suivi d'un grand cri qui attira force moinillons. Amalberge avait le bras cassé.

Cet accident stupide contraria fort le souverain. Paillard, mais honnête ! D'autant plus que tout le clergé rappliquait en force : les en noir, les en blanc, et les en couleurs !

L'Empereur gratta l'endroit de sa personne que l'imagerie populaire devait par la suite affubler d'une barbouze niagaresque. Être Charlemagne et se trouver dans une situation aussi ridicule, ça la fichait mal ! Le maître de l'Occident et des départements limitrophes se tourna alors vers le maître-autel (qu'il avait failli prendre pour un hôtel de maître) et son regard chagriné tomba sur la statue rayonnante de la Vierge Marie. A qui d'autre pouvait-il demander secours ? Charles eut un élan d'intense ferveur et, comme les femmes — sauf Amalberge — ne savaient pas lui résister, il obtint d'emblée le miracle attendu : l'os de la jeune fille se ressouda devant l'assistance émerveillée qui se répandit illico en actions de grâce.

Impressionnée par l'extraordinaire aventure qu'elle venait de vivre, Amalberge ne fit plus aucune résistance pour suivre son Seigneur et Maître en un endroit plus discret et plus confortable où elle put se remettre de ses émotions et en éprouver de nouvelles.

A partir de ce jour, le petit Carolus Bérudberg fut toujours le premier en classe. Il obtint brillamment son B.C.G. (Brevet Carolingien de Germanisme), puis, quelques années plus tard, son B.A.C. (Brevet Aptitude Carolingienne) avec mention très bien. Mais les conséquences du miracle ne seraient pas dignes d'être rapportées si elles s'arrêtaient là. En effet, l'Église allait bel et bien canoniser par la suite Amalberge[12]. Petites causes grands effets. Si le jeune Bérudberg (dont le nom devait, à la suite d'altérations successives, se transformer en Bérurier) avait été un élève doué, jamais sa sœur n'aurait connu la gloire très rare de la canonisation et celle, plus terre à terre, mais cependant plus rare encore, d'être… inaugurée par le plus grand des monarques[13].

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12

Il convient de signaler au lecteur que l'aventure d'Amalberge est rigoureusement authentique. (Note de l'Éditeur.)

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13

Au lieu de l'être par un apprenti tonnelier plus apte à mettre des barriques en perce.