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Le coup de foudre, c'est capricieux. Vous rencontrez des bonnes femmes pendant des années dans l'escadrin sans penser à autre chose qu'à leur dire bonjour, et puis un matin, comme ça, en les apercevant, l'envie vous prend de baisser votre grimpant au lieu de soulever votre bada. Les mystères de l'humain, quoi ! Ça ne s'explique pas !

Le constipé des feuilles se met à titiller d'un doigt mandolinesque la nuque de Berthe. Ça lui fait un court-jus, à la Gravosse. Les papouilles, faut pas lui en promettre ! Quand on la met en chantier, cette dadame, y a des heures supplémentaires à prévoir, moi je vous le dis ! On dépasse le devis initialement prévu.

— Donc, poursuis-je, R.A.S. avant Philippe-Auguste.

— Qu'est-ce qu'il a fait ce mec-là ? se pourléche Béru.

— De grandes choses.

— Et pourquoi qu'il portait pas un numéro comme tout le monde, ton Auguste ?

— Officiellement, c'était Philippe II, Gros. Mais les rois, c'est le contraire des fils d'hommes célèbres. Un fils à papa qui en a dans le bide cherche à se faire un prénom ; un roi, il naît avec un prénom ; par contre, si c'est pas une lavasse, il doit se faire un surnom. Nous l'avons déjà vu pour Charlemagne qui aurait dû être tout bêtement Charles Ier. Philippe II, lui, c'est devenu Philippe-Auguste le Conquérant.

— Qu'est-ce qu'il a conquéri ? questionne Berthe d'une voix qui se pâme un peu sur les bords because les attouchements de M. Durandal.

— Il a repris aux Anglais les provinces que ceux-ci nous avaient sucrées à la suite de coups fourrés.

— C'est bien fait ! mugit le Gravos, soudain rasséréné.

— De quoi s'agit-il ? s'informe Durandal.

— De Philippe-Auguste ! tonitrue mon cher camarade de volière, vous savez, Durandal : le mec qui a filé l'avoinée aux rosbifs ! Ah ! y me botte, ce monarque-là, San-A ! Et qu'est-ce qu'ils nous avaient chouravé comme provinces, les clergymanes ?

— La Touraine, le Poitou, le Maine, l'Anjou…

— L'Anjou ! s'indigne Béru ; ils nous avaient pris l'Anjou, ces tantes ! Tu te rends compte que sans Philippe-Auguste le muscadet aurait pu être anglais !

— Ainsi que la Normandie, complété-je…

Ça fait flétrir son enthousiasme comme du désherbant sur un pot de réséda.

— La Normandie a appartenu aux rosbifs, t'es certain ?

— Officiel, Gros !

— Alors si un de ces sagouins a frayé avec une de mes ancêtres j'ai peut-être aussi du sang « britiche » dans les tuyaux ?

— Probablement !

C'est la grande fiesta en musique. Il se déchaîne, Béru, Il clame que ses veines c'est pas le tout-à-l'égout ! Du sang suédois, ça l'emballe pas, mais enfin il se fait une raison, vu que la Suède est un pays qui en vaut un autre ; seulement du sang anglais, c'est pas tenable ! Il réfute ! Il veut se faire faire une transfusion générale avec rinçage préalable au beaujolais !

Pour se calmer, il va chercher la bouteille de calvados. Et brusquement sa rogne et sa hargne, sa grogne et sa rancœur fondent comme glace à la pistache au soleil. Il brandit son flacon ambré.

— C'était pas possible qu'ils nous ratiboisent la Normandie, affirme-t-il avec ferveur. Du calva, il y a que des gosiers français qui savent le boire !

Nous nous employons à accréditer cette affirmation du Gros et sur les instances de Berthe, je reprends mon cours interrompu.

— Philippe-Auguste a été l'un des plus grands monarques du Moyen Age. Il était petit, avec la peau basanée. Pas de prestance, pas de grâce, et il avait perdu un œil à la suite d'une maladie. Mais ses qualités remarquables en ont fait l'idole de son peuple.

— Qu'est-ce que ça peut foutre qu'il aye eu un lampion bidon, déclare Béru, puisqu'il a viré les Anglais (son dada !).

— Le règne de Philippe-Auguste est intéressant à plusieurs titres, fais-je, doctoral, principalement parce que c'est lui qui a donné à notre pays sa première Grande Victoire Nationale.

— Marignan ? hasarde le Mollusque.

— Non : Bouvines. En 1214 !

— Mince, s'exclame mon auditeur. Ç'a été lui le gagnant de la première guerre de 14 !

— C'est vrai… Et d'ailleurs, tu sais qui il a battu à Bouvines, ce cher homme ?

— Les Anglais, tu causais ?

— Pas seulement eux, mais aussi les Allemands qui s'étaient alliés avec ces Messieurs d'Outre-Manche.

— Tiens, y a longtemps qu'on n'avait pas parlé d'eux ricane le Magnanime. Décidément, les années 14, ça leur réussit pas aux frisottés !

— De qui parlez-vous ? demande le sourdingue.

— De Philippe-Auguste ! tonne l'étonnant et détonant Béru.

Le sourd baisse l'intensité de sa turbine à ultra-sons.

— Encore !

— Si ça te dérange, mon pote, va te faire accorder l'harmonium ! s'indigne cet assoiffé de savoir ; vous entendez, le père Haute-Fidélité qui vient au renaud parce qu'on s'attarde un peu sur Philippe-Auguste ! C'est bien l'esprit radical-socialiste du bonhomme !

Berthe met fin aux vitupérations en me gazouillant de sa voix de soprano ébouillantée :

— Et sur le plan… amour, votre Philippe-Auguste, il était dans la tradition française, j'espère ?

Du coup, Béru la ferme pour écouter mes confidences.

— Il s'est marié trois fois, leur apprends-je.

— Ah ! tout de même, murmure Berthe légèrement déçue.

— Et aux dires de certains historiens, c'était pas une affaire exceptionnelle. Par exemple, sa seconde dame, Isambour de Danemark, il n'a pas été capable de l'honorer la nuit de ses noces.

— C'était peut-être l'émotion ? suggère Béru qui connaît la vie et ses misères.

— Non, c'était plus grave : la panne complète, quoi !

— Mince, ça doit être vexant pour un roi à la redresse de rouler sur la jante. Qu'est-ce qu'il a fait ? Il a pris des pilules Duralex ?

— Non : il a bouclé sa dame dans un couvent.

— Oh ! la pauvre ! s'apitoie B.B. Ce ne sont pas des procédés !

— Et pourquoi pas ! rigole son compagnon de plumard, fallait bien qu'il trouve une solution ! Quand on est reine on est reine ; elle pouvait pas se rabattre comme j'en connais sur le coiffeur du coin !

Berthe rougit et son regard papillote.

Le Mastar se fait âpre. Il défend son pote Philippe-Auguste qui sut si vaillamment rendre le muscadet et le calva à la France.

— Faut être juste, poursuit-il, une Danoise, peut-être qu'il avait pas envie de mettre le couvert avec elle. Sans compter que dans son couvent, j'ai l'idée qu'elle devait pas tellement se faire tartir, la brave dame. Ne confondons pas : y a couvent et couvent ; le sien était pourvu du confort moderne tu peux me croire ! Eau chaude, chauffage central, télé et Frigidaire. Et même, va-t'en savoir si, lorsqu'elle en avait classe de se faire un solo de guitare, le jardinier polisson grimpait pas dans sa carrée manière de prendre le thé ?

— De qui est-il question ? glapit brusquement le père Durandal !

— De Philippe-Auguste ! hurle le Gros.

— C'est pas possible ! s'exclame le voisin, mais qu'est-ce qu'il y a donc tant à dire sur lui ?

Béru, dont le parfait savoir-vivre n'est plus à vanter, sert une nouvelle tournée de calvados.

— Tu peux poursuivre, me dit-il, engageant.

— D'autant plus volontiers, acquiescé-je, que nous atteignons une très douce époque de l'Histoire de France : Louis IX !