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Il est silencieux dans le courroux, mon Béru. Il est grand dans la rage et beau dans la haine ! Sa bonne femme assiste à la corrida d'un œil résigné. Entre deux « couac », Durandal demande ce dont à propos de quoi il s'agit. Mais le Gros n'est pas explicatif. Il brille. C'est un méthodique du passage à tabac. Un vrai technicien ! L'orfèvre du quai du même nom ! Il fignole ! Il sait faire alterner les manchettes aux directs, les coups de pouce dans les yeux aux coups de genoux dans les bijoux de famille ! En moins de temps qu'il n'en faut à un gardien de la paix pour comprendre une histoire marseillaise, Durandal est en loques, en sang, en mille, en panne ! Laissant derrière soi des bris et des débris de matériel sur le terrain, il se retrouve bientôt sur le paillasson de Bérurier.

Ce dernier revient, altier, congestionné, suffoquant mais vainqueur. Il se masse les francforts d'un geste doux et noble.

Il suçote quelques-unes de ses multiples ecchymoses puis s'approche de Berthe. Vais-je assister à une seconde manche ! Que non point ! Contre toute attente, il caresse tendrement la nuque de sa baleine et déclare :

— En a-t-elle du succès, cette gourgandine ! Si j'aurais pas été là, ce satyre allait se livrer à des voies de fêtes.

Berthe renchérit. Elle déclare que ce Durandal c'est un moins que rien, un sournois aux intentions louches. On croit avoir un bon voisin, discret et tout bourré de savoir-vivre parce qu'il vous charrie votre panier, et puis c'est un serpent qu'on réchauffe dans son sein. Quand on mate les dunlopillo grand standing de la Berthe, on se dit qu'il a de quoi se réchauffer, le serpent à Durandal. Elle embrasse son bonhomme parce que c'est un vrai courageux. Pas le genre de mari complaisant qui n'ose pas affronter les incorrects. Non ! Il sait prendre ses responsabilités, Alexandre. C'est Alexandre le Gros. Elle dit avec des trémolos dans la glotte que s'il arrivait quelque chose à l'un des deux, elle se demande ce qu'elle deviendrait ! Sans protecteur, la vie c'est dur à affronter. Faut la force. Elle, elle ne se sent pas capable ! Une femme, c'est une femme, et puis voilà tout. Un roseau dans le vent, quoi ! Il lui faut son tuteur, sinon elle est comme un ruban léger pris dans la tempête de l'existence. Ça le fait chialer comme l'ardoise d'un urinoir, Béru.

Il pleurniche que c'est pourtant vrai. Bref, la concorde la plus douce règne dans le ménage. Berthe ramasse les morceaux de sonotone avec une balayette et la pelle à ordure. Béru décrète qu'il faut arroser son exploit et ouvre une bouteille de vin blanc champagnisé. Il l'a été par un marchand de limonade, champagnisé, son faux champ. Tout ce qu'il produit c'est de la mousse. On dirait qu'on vient de débrancher un extincteur à mousse carbonique. Quand la table a eu son taf, il nous reste tout juste un fond de verre qu'on se partage symboliquement. Maintenant c'est lui qui la tient par la taille, la Grosse Bertha ; deux pigeons s'aimaient d'amour tendre. Comme race de pigeons, les Béru, ce seraient plutôt des colombins !

— Et si après ce petit intermédiaire on poursuivait ? décrète mon hôte. T'en étais à Philippe le Bel…

— On l'appelait le Bel car c'était un magnifique bonhomme blond, avec des traits harmonieux et baraqué comme un athlète !

— Il devait bien porter la couronne, gazouille B.B.

— Comme un pape ! renchérit le Dodu.

— Non, rectifié-je, il la portait comme un roi. Il a agrandi encore la France et affirmé l'autorité royale. Seulement, pour établir son autorité, il lui fallait du pognon, beaucoup de pognon. On assure qu'il a fabriqué de la fausse monnaie !

— Et t'appelles ça un grand roi, San-A ! s'exclame mon élève.

— En politique, Béru, les moyens importent peu : seuls les résultats comptent !

— Tout de même… Comment veux-tu avoir de la considération pour un gars qui imprime des faux talbins ?

— Toujours est-il qu'il a fortifié le pays !

Mais Bérurier reste sceptique.

— D'après ce que je vois, c'est pas d'aujourd'hui que notre monnaie part en brioche !

— Laisse continuer le commissaire ! intime sa gente dame. Qu'est-ce qu'il a fait de rare, votre Philippe-Abel, Commissaire ?

— Une foule de choses : car exemple, pour la première fois il a convoqué les États-Généraux, car il s'est mis en pétard contre le pape à propos d'impôts que le clergé refusait de payer !

— Il a bien fait ! clame le Gros.

— En convoquant les États-Généraux, le roi tenait à s'assurer l'assentiment de la nation pour entrer en lutte contre le souverain pontife.

— C'était comme qui dirait un référendum, en somme ?

— Oui.

— Et il a eu sa majorité ?

— Dans un fauteuil ! Quand un chef d'État pose une question à la nation, Béru, c'est qu'il est certain qu'elle répondra oui, sinon il ne prendrait pas ce risque ! Un référendum, c'est un verre de sirop qu'on fait boire au peuple lorsqu'on a une pilule à lui administrer.

— Vous disiez qu'il avait fait des tas de choses, coupe Berthe, peu sensible à ces considérations politico-philosophiques. Quoi donc encore ?

— Il a détruit l'ordre des Templiers.

— J'ai vu ça à la télé, se souvient cet éléphant de Bérurier. Des moines qui faisaient la foiridon, hein ? Ces messieurs ramassaient du pognon et ils débloquaient avec le crucifix, sans parler des joyeuses partouzettes-maison ! Ils se jouaient entre eux la grande scène des Artilleurs au monastère. Dame ! à force de porter la robe on finit par être enclin, c'est fatal !

— Tout de même, des hommes ne peuvent pas rester chastes toute une vie, plaide B.B. J'espère que l'Église va bientôt permettre aux curés de se marier !

— Les curés d'aujourd'hui n'auront pas ce bonheur, affirme sentencieusement le Gros pour qui les conciles n'ont pas de secrets. Mais leurs enfants, je dis pas…

Il revient à Philippe-le-Bel.

— Je le vois très bien, le roi en question : un grand avec une voix grave. Il les a fait rôtir, les Templiers, hein ?

— Bravo, Béru.

— Et pendant ce barbe-cul, le big boss des Templiers, un vieux barbouzon, a jeté un sort au roi, vrai ou faux ? Même que ça aurait eu des conséquences par la suite !

— C'en a eu beaucoup, mais la principale a été de permettre à M. Maurice Druon d'écrire six forts volumes sur la question !

Je me recueille et je poursuis :

— Mes chers amis, il est impossible de parler du règne de Philippe-le-Bel sans faire mention de la Tour de Nesle !

— Je connais tout ça, assure l'érudit.

Et il déclame en prenant la voix timbrée à zéro franc vingt-cinq d'un pensionnaire du Français :

— Si tu ne viens pas z'à la Gardère, la Gardère ira-t-à-toi !

— Tu confonds, Gros. C'est pas dans le même film d'Hunebelle ! le stoppé-je. La Tour de Nesle se trouvait en face du Louvre, de l'autre côté de la Seine.

— Sur l'emplacement des établissements Poulman ?

— Voilà ! Elle a commencé à abriter des drôles d'orgies, cette masure !

— Pas possible ! s'exclame Berthe qui trouve un regain à mon exposé.

— La femme du king, Jeanne de Navarre, se faisait un peu tartir au Louvre. Son bonhomme s'occupait davantage du royaume que d'elle. On dit qu'elle grimpait certaines nuits à la Tour de Nesle pour s'amuser un peu avec des étudiants !