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— Elle avait que l'embarras du choix, le quartier Latin est à deux pas, fait Béru.

Puis il s'échauffe.

— C'est toujours pareil avec les femmes des gros brasseurs. Pendant qu'ils se décarcassent, ces dames vont se faire pétrir la cellulite par des godelureaux. Ou alors elles partent en croisière sur des yachtes tandis que leur mironton se défonce le bulbe pour leur gagner de quoi claper du caviar et s'acheter des dessous en vison blanc.

Une jalousie rétrospective l'anime, qui s'étend à tous les riches mais infortunés maris du monde.

— J'espère qu'il l'a coincée en flagrant du lit, sa bergère, ton Lebel ?

— Jamais ! Pas folle, la reine ! Une fois qu'elle avait consommé ses jeunots, elle les faisait enfermer dans un sac et jeter à la Seine !

— En v'là une idée, elle croyait que c'était comme les allumettes, que ça ne pouvait servir qu'une fois ?

— La prudence, mon vieux. Elle supprimait un témoin à charge !

— A charge, gouaille l'Enflure, faut voir si ça serait pas plutôt le contraire… Brèfle, le Philippe n'y a vu que du bleu ?

— En tout cas il n'a rien dit. Mais c'était reculer pour mieux sauter ; car vingt ans plus tard, ce sont ses brus qui l'ont utilisée, la fameuse tour. Il avait trois fils et une fille, Philippe. Pour la fille, pas d'histoire : on l'a mariée au roi d'Angleterre. Mais les garçons ont épousé trois cousines : Blanche, Jeanne et Marguerite de Bourgogne.

— Oh ! j'y suis, affirme Bérurier, ravi. Marguerite de Bourgogne, elle s'appelait pas Mary Marquet de son nom de famille ?

— Tu confonds, Gars. Mary Marquet a interprété son personnage avant-guerre. Une sacrée pétroleuse, celle-là !

— Mary Marquet ?

— Non, Marguerite de Bourgogne.

— Tes Marguerite historiques, qu'elles soyent de Provence ou bien de Bourgogne, elles aimaient jouer au sifflet-ravageur, on dirait ?

— Ces trois petites dévergondées battaient tous les records. Leur belle-sœur, la reine d'Angleterre, les a mouchardées au roi.

— Qu'est-ce qu'on leur a fait ? se tourmente Berthe qui compatit intensément.

— On les a tondues et enfermées dans des cachots affreux.

— Seulement ! s'exclame Béru, déçu.

— Ah ! tu trouves que ça n'est rien, toi, proteste son tas de saindoux. Tondues, passe encore : ça repousse. Mais les cachots de cette époque, brr !

— Ça ne valait sûrement pas le Carlton, convient le Gros.

— Ce sont les amants surtout qui l'ont senti passer, poursuis-je.

— Pas possible ! entonnent en chœur les époux.

Ils se regardent, l'un attendant que l'autre prenne l'initiative de la question, mais comme ça tarde, ils lâchent avec le même ensemble :

— Qu'est-ce qu'on leur a fait ?

Je souffle un peu sur leur curiosité pour l'attiser, puis j'explique :

— Pour commencer, on leur a coupé… l'objet du délit et ses accessoires.

— Qu'entendez-vous par là, Commissaire ? n'ose comprendre Berthy.

— Ma parole, t'es rudement prude dans ton genre, ma petite Berthe ! s'exclame Béru. Tu te rends compte : ces pauvres gars, comme ils devaient se sentir seuls après le coup de rasoir !

— Et ça n'était qu'un hors-d'œuvre, si j'ose dire, enchaîné-je.

— Drôle de hors-d'œuvre, murmure Béru qui imagine le supplice.

— Après cela, on les a écorchés vifs ! Puis écartelés ! Et enfin on leur a coupé la tête !

— Et tu dis que c'est leur belle-sœur qui avait annoncé la couleur au roi ?

— Oui, par jalousie de femme. Disons pour sa défense qu'elle était mariée à un homosexuel.

— Pourquoi qu'elle serait pas plutôt été aussi à la Tour, au lieu de rapiner ? Surtout qu'avec un mari de la jaquette elle aurait eu droit aux circonstances exténuantes, non ! Un qui devait avoir le cœur en ciment armé, c'est ton Lebel. Faire des atrocités pareilles à des braves types qui n'ont fait que se servir du matériel que le Bon Dieu leur a fourni, je proteste. Et les maris, qu'est-ce qu'ils en disaient ?

— Ils la bouclaient, à cause du père.

— Je vois ce travail : des navetons ?

— Après la mort de Philippe-le-Bel, ils ont régné a tour de rôle, mais très peu de temps…

— Y avait la rubéole au Louvre ?

— Il y avait surtout de l'arsenic. A cette époque, le poison s'administrait aussi facilement que de l'aspirine.

— Bref, valait mieux boire son Évian fruité à même le goulot ?

— Et comment ! Donc ils sont morts jeunes, et sans laisser d'enfants mâles. Or, en ce temps-là, une loi interdisait aux femmes de monter sur le trône.

— J'ai lu un truc à ce sujet, sursaute le Gros. Ça s'appelait, si mes souvenirs sont exacts, la loi salingue.

— Salique !

— Chicanons pas, boude mon ami.

— Comme les femmes n'avaient pas le droit de régner, c'est le fils d'Isabelle, la belle-sœur délatrice, Edouard III d'Angleterre, qui a fait valoir ses droits à la Couronne de France. Après tout, il était le petit-fils de Philippe-le-Bel, lui aussi, comprenez-vous ? Son dernier descendant mâle !

— Mais tu disais que le bonhomme de cette dame était de la joyeuse pédale londonienne ! s'étonne mon élève qui commence à s'y perdre.

— Faut croire qu'il était à voile et à vapeur, puisqu'il a eu un héritier !

Sa Majesté cligne de l'œil.

— J'ai idée que cette Isabelle devait pas avoir la blancheur Persil, elle non plus.

— Bref, coupé-je. Toujours est-il que son rejeton a décidé d'être roi de France ! Une guerre a donc commencé entre lui et Philippe de Valois, neveu de Philippe-le-Bel, qu'on avait déjà sacré. Savez-vous combien de temps elle devait durer, cette guerre ?

— Non ! clament les époux.

— Un siècle, lancé-je.

Béru hoche la tête et murmure après un temps de réflexion :

— Comme la guerre de Cent Ans, alors ?

J'en reste baba.

— Mais c'était la guerre de Cent Ans, Gros !

— Tu mendieras tant !

Il pousse du coude son cétacé.

— Cent piges de riflette, Berthe, tu juges ? Il devait avoir des champignons sous le casque, le fantassin, quand il rentrait dans ses foyers !

Lecture :
LES FAUTES DE GOUT DU BARBIER BÉRUDAN

Louix X (dit le Hutin) passa sa main maigrichonne sur ses joues rasées de frais tout en examinant sa pauvre figure dans la glace que lui tenait, Bérudan, son barbier.

Il songeait, mélancoliquement, qu'il avait plutôt une pauvre gueule pour un roi de France. Être le fils d'un monarque surnommé le Bel et trimbaler cette physionomie de sacristain, c'était vraiment une ironie du sort.

— Je vous fais les pattes, Sire ? interrogea le gros Bérudan.

Le Hutin hocha la tête. C'était inutile. Lors, Bérudan[18] se mit à lotionner copieusement les joues du roi afin de les débarrasser de toutes traces de savon.

Philippe de Valois, le cousin du Hutin, souleva la portière de la tente.

— Alors, mon cousin, interpella-t-il, on se prépare pour la fête ?

— On se prépare, murmura Louis X.

— Pour un homme qui va se marier incessamment, vous ne paraissez guère enthousiaste, mon cousin ! observa Valois avec un brin d'ironie.

Louis X était un être faible qui éprouvait sans cesse le besoin de se confier, même à ceux qui pouvaient (comme c'était le cas de Philippe) se réjouir de ses malheurs. Il désigna un délicat portrait accroché à un pieu de la tente. Le tableau était magnifique. Il représentait une ravissante fille blonde aux yeux d'azur dont les traits harmonieux émouvaient par leur finesse et leur grâce. Il s'agissait du portrait de Clémence de Hongrie, que le roi allait épouser quelques heures plus tard sans l'avoir encore jamais vue.

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18

Tout porte à croire que ce barbier était apparenté à Buridan, le rescapé de la Tour de Nesle, l'homme qui avait plus d'un tour dans son sac, puisqu'il était parvenu à sortir de celui dans lequel Jeanne de Navarre l'avait fait coudre.