Bérudan partit d'un franc éclat de rire.
— Sans contestation, Sire, c'est bien dame Guillemette, la lingère. Et j'espère que cette fois vous me ferez l'honneur de partager mon avis. Elle a septante ans passés, plus une seule dent, un menton qui rejoint son nez, des yeux chassieux et qui louchent à vous en faire prendre le torticolis. Je ne parle pas, par charité, des verrues à aigrettes qui constellent son visage, non plus que de son déhanchement, de sa boiterie et de la platitude de son corsage…
Le roi riait, pour la première fois depuis qu'il avait rencontré Clémence.
— Par les cornes de Satan, pouffait-il, que voilà une description véridique de la personne !
Puis, sonnant ses serviteurs, il leur enjoignit d'aller quérir dame Guillemette, ce qu'ils firent avec étonnement mais célérité.
Un instant plus tard, la lingère était là, en chemise de nuit, toute chaude du lit qu'elle venait de quitter, avec ses cheveux gris en pluie devant son visage de sorcière et ses pieds semblables à des sarments de vieille vigne nus dans des chausses trop grandes.
Louis X regarda la vieille avec délectation.
— Mon bon Bérudan, dit-il enfin, un bon barbier doit toujours se mettre autant qu'il le peut à l'unisson de son maître. Tandis que je vais connaître la Reine, toi, tu vas besogner à ma santé dame Guillemette que voilà.
Bérudan devint d'un beau vert et, effaré, se mit à balbutier.
— Mais, Sire, comment le pourrais-je !
— Je veux que tu prennes plaisir avec elle, trancha le roi. Mes serviteurs demeureront avec vous et m'en rendront témoignage. Si tu faisais preuve de carence, eh bien, je te ferais à l'aube accrocher au gibet de Montfaucon puisqu'aussi bien la pendaison rend une virilité posthume à ceux qui l'avaient perdue !
Et, sur un geste péremptoire, il abandonna son malheureux barbier aux mains de la vieille Guillemette qui gloussait d'aise, ravie de cette aubaine nocturne.
Quand les coqs champenois se mirent à chanter pour annoncer le jour nouveau, le roi abandonna sa nouvelle reine après avoir vécu en sa compagnie des instants d'une grande qualité qui le remirent de ses désillusions.
Il se rendit tout droit dans la chambre où Bérudan et Guillemette venaient de passer la nuit.
— Et alors ? lança le Hutin. Quelles nouvelles de cette lune de miel me donnez-vous, ami Bérudan !
Le barbier cligna de l'œil et hocha la tête avec modestie tandis que le plus vieux des serviteurs-témoins annonçait :
— Sire, non seulement votre barbier a pu honorer dame Guillemette, mais de plus il l'a fait par trois fois et c'est sur les supplications de la Dame qu'il ne l'honora point une quatrième !
Le Hutin regarda la mine épanouie de Bérudan, puis celle plus que défaite — mais ô combien apaisée — de la vieille, et il partit d'un franc rire.
— Sire, murmura Béru, j'ai une requête à vous présenter.
— Dis toujours, nous aviserons…
— Je voudrais que vous m'accordiez la main de dame Guillemette, car vous avez grandement raison, Sire : je n'ai pas les goûts de tout le monde !
Sixième Leçon :
JEANNE D'ARC : ses voix, sa vie, son œuvre, sa mort !
On se croirait à la fin d'un repas de noces ou d'un banquet d'anciens combattants.
— T'en va pas ! supplie Bérurier.
— Encore ! insiste sa Baleine.
— Non, répond fermement le Commissaire San-Antonio (cet être d'élite qui n'a peur de rien, pas même des mouches et dont la vaste intelligence n'a de comparable que son sens de l'humour).
Lors, les deux conjoints (joints pour le meilleur et pour le pire) se mettent à scander de la voix, du talon et du poing :
— Il dira ! Il dira ! Il dira !
Un vrai marécage, ces Béru. Pour s'en dépêtrer, il faut le concours du Génie. Ça n'est pas le génie d'ailleurs qui me manque, vous le savez, mais mon bon cœur, me rend vulnérable.
Je contemple, amusé, ces deux énormités mafflues, bajouteuses, rubescentes, mal dentées, qui vocifèrent sur l'air des lampions (lampions dont ils ont et la forme et le rayonnement) :
— Il dira ! Il dira !
Berthe se permet même une variante puisque, pour donner plus de force à sa requête psalmodiée elle affirme, d'un ton quasi menaçant :
— Il causera ! Il causera !
Je regarde ma montre. J'ai strictement rien à fiche, mais il convient de regarder l'heure d'un œil soucieux lorsqu'on a l'intention de se débiner de quelque part.
— Écoutez, fais-je, plus que Jeanne d'Arc et je m'en vais !
Un « Aaah ! » intense et voluptueux s'échappe de leurs lèvres dévoreuses.
— C'est un morcif de roi, Jeanne d'Arc, leur fais-je, vous en convenez ?
Ils branlent le chef en mesure.
— Que savez-vous d'elle ? interrogé-je histoire de mesurer l'étendue de leurs connaissances en la matière.
— Elle…, attaque B.B.
Mais son Jules lui coupe civilement la parole.
— Te fatigue pas, San-A, on a vu le film !
— Alors résume-le-moi.
Il se gratte la nuque et déclare :
— Elle gardait ses moutons à Dom Pérignon en tricotant une layette. Puis un adjudange lui a causé, je me rappelle plus si c'était Saint-Martin-la-Garenne ou Saint-Philippe-du-Roule, peut-être les deux à la fois. Brèfle, il lui disait d'aller sauver la France. Elle y a t'été et ces fumelards d'english, pour se venger, lui ont fait le coup du bonze inflammable. C'est seulement quand elle a été déguisée en charbon de bois qu'ils se sont dit : « Mince, y a gourance, on vient de rôtir une sainte ».
— Que voilà donc admirablement résumée l'histoire de la plus rare des femmes, admets-je. Vraiment, Béru, ton sens du raccourci confondrait M. Deibler s'il vivait encore ! Nous allons étudier plus en détail « l'affaire Jeanne d'Arc ». Mais auparavant, pour bien le comprendre, voyons où en était la France lorsque les voix célestes se firent entendre.
— On pourrait écluser un petit coup de rouge ? suggère le Gros dont la langue ressemble à un plancher de cage à oiseaux.
— Inutile, pour moi ce sera le verre d'Évian du conférencier, tranché-je.
Berthe me le verse sous le regard hostile de son mari qui désapprouve. H2O, c'est l'ennemi originel de Sa Grosseur !
Je le conduis aux abords de l'horreur en buvant. Et je réattaque :
— La guerre de cent piges a terriblement éprouvé la France. On note au cours de ce siècle imbécile des fortunes diverses. Tantôt les Anglais envahissent presque entièrement le territoire et régnent en maîtres. Tantôt il y a des réactions françaises et on leur fait repasser le Pas-de-Calais. Nous serions injustes si nous passions sous silence le Camarade Charles V et son pote Du Guesclin. Ils ont usé leur existence à malmener les Rosbifs. Charles V et son général d'élite étaient tellement liés d'amitié qu'ils ont poussé leur sympathie mutuelle jusqu'à décéder la même année. A leur mort, la France était redevenue forte.
— C'est fou ce que les Charles ont pu rébecqueter la France, remarque Bérurier, frappé. Tu crois que ça vient du prénom, Gars ?
— Ne te précipite pas sur les idées toutes faites, Bonhomme. Il y a toujours des exceptions pour confirmer les règles. Ainsi, le fiston de Charles V s'appelait aussi Charles et pourtant son règne à lui a drôlement tourné en eau de boudin !
— Pas possible ?