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— II a dû être estomaqué ? s'amuse mon coéquipier.

— Tout de suite il l'a envoyée chez Plumeau, la Jeannette ! Mais elle a su se montrer éloquente. A la fin, il lui a donné une bafouille pour Charles VII ainsi que quelques hommes d'armes chargés de l'escorter jusqu'à Chinon.

— J'espère que c'étaient des garçons sérieux ? demande hypocritement la Gravosse.

— L'histoire ne le dit pas.

Elle déplore cette absence de détails.

— Le roi avait été prévenu de l'arrivée de la jeune fille. Et à la cour, on se payait déjà la fiole de la môme. On la prenait pour une cinglée.

— Faut se mettre à leur place, dit Béru. Nous, maintenant on sait qu'il s'agissait d'une vraie sainte pur sucre et que son auréole avait rien à voir avec la maison Wonder, mais le roi Machin, lui, il avait le droit de se poser des questions…

— Il a fait mieux que se poser des questions : il a tendu un piège à la jouvencelle. Avant de la recevoir, il a laissé sa place sur le trône à un de ses familiers et lui-même s'est dissimulé parmi la foule des courtisans.

— Pas tellement patate, ton Charles VII ! Qu'est-ce qui s'est passé ?

— Un miracle ! Jeanne est allée droit à lui !

— Chapeau ! dit Béru, respectueux. Puis, récupérant un peu il hasarde :

— Elle avait peut-être vu sa photo dans Paris-Match ou ailleurs, note bien ?

— Impossible ! Ces moyens de diffusion n'existaient pas en ce temps-là ! objecté-je.

C'est Berthe qui met un terme à notre indécision.

— Puisqu'elle était sainte, je ne vois pas ce que vous trouvez de surprenant là-dedans. Elle avait le don de double vue, voilà tout !

— Mais bien sûr, admet Béru, frappé par une telle évidence : voilà tout. Alors le roi l'a prise au sérieux quand il a vu qu'elle le reconnaissait ?

— D'autant plus qu'elle lui a assuré qu'il était vraiment le rejeton du roi de France, ce dont il doutait très fort, le pauvre biquet. Ça l'a dopé et il a mis une armée au service de la Pucelle. Jeanne a pu délivrer Orléans.

— Elle était réellement pucelle ? m'interrompt la Gravosse en rougissant.

— Il paraît.

Mais Béru a des doutes.

— Elle l'était peut-être au départ de Do-Ré-Mi-Fa-Sol, dit-il, mais après le siège d'Orléans, faut envisager qu'elle avait viré sa cuti dans l'intervalle. Une belle gosse comme je la suppose, avec des guerriers en pleine bourre, elle avait beau être ensaintée elle pouvait pas résister. Ensuite ?

Son « ensuite » ressemble à une sébile qu'il me brandit sous le nez à tout bout de champ.

— Ensuite, toujours soucieuse de remplir le programme tracé par ses « vois », elle a emmené le roi se faire sacrer à Reims !

— Il devait avoir l'air un peu pomme, ce chétif, de se laisser driver par une fille ! Le roi des nouilles, qu'on a sacré ! Ou alors, victime de ses sens qu'il était. T'es certain, San-A, qu'il se la payait pas en loucedé, notre Jeanne d'Arc Nationale ? Une petite manière derrière le trône pendant que les femmes de ménage passent l'aspirateur dans la pièce à côté, tu sais, ça va, ça vient !

— Alexandre, voyons ! sermonne Berthe aux gros flotteurs. Tu causes d'une sainte !

Le Gros rétorque qu'on n'est saint qu'une fois mort et que de son vivant, la Pucelle ne justifiait probablement pas son surnom. Ils en viennent à hausser le ton. B.B. défend farouchement la vertu de Jeanne.

— Et tu oublies qu'elle portait une armure ! s'exclame-t-elle, à bout d'arguments.

— Et alors, tu en déduis qu'il fallait un fer à souder pour filtrer avec elle, Grosse ? A fermeture Éclair qu'elle était, l'armure ! Tu t'imagines peut-être pas qu'on la déboulonnait chaque fois qu'elle se rendait aux toilettes ! Les armures, t'en parles comme si ça serait la carapace d'un homard ! Mais ça s'enlevait et ça se remettait facile.

Il me prend à témoin.

— Berthe se figure qu'il fallait un ciseau à froid pour pouvoir leur prendre la température, aux archers, quand ils avaient la fièvre ! Explique-lui un peu qu'une armure c'était pas plus difficile à démonter qu'une carrosserie de 2 chevaux !

Je donne les apaisements requis et je me hâte d'enchaîner.

— Donc elle a fait sacrer Charles VII, battant ainsi de vitesse le roi d'Angleterre qui n'avait pas encore été sacré Roi de France.

— Et la belle Isabière de Baveau, elle vivait toujours ?

— Toujours ! Mais elle était devenue une grosse mémé adipeuse. Je te prie de croire qu'elle renaudait vilain devant les exploits de Jeanne. Elle lui gardait un brandon de son âtre, à cette Pucelle qui venait contrecarrer ses projets.

« Après le sacre, Charles VII s'est désintéressé de la guerre en général et de Jeanne d'Arc en particulier. Logiquement, la Pucelle aurait dû regagner ses moutons et se mettre à tricoter des cottes de maille pour les soldats. Seulement elle avait contracté le virus. Elle est repartie en guerre et elle a été blessée en voulant conquérir Paris… »

— Parce que Paris se trouvait en zone occupée ?

— Mais oui ! Le roi préférait vivre en province, il était pour la décentralisation.

— Il avait bien raison, l'approuve Berthe. Avec toutes les odeurs d'essence qu'on respire ici…

— Lorsque Jeanne a été rétablie, elle est allée batailler à Compiègne et c'est là que les choses se sont gâtées. Les Bourguignons l'ont faite prisonnière et l'ont vendue aux Anglais !

Béru branle le chef.

— Je les aurais pas crus comme ça, avoue-t-il. J'ai des tas de copains Bourguignons, ils seraient incapables de faire une crasse pareille à quelqu'un ! Des vignerons, agir aussi malproprement, c'est pas digne ! Remarque, il vaut mieux avoir vendu Jeanne d'Arc aux Rosbifs plutôt que la récolte. Et alors, ils l'ont brûlée ?

— Oui, après un jugement inique au cours duquel on a déclaré qu'elle était sorcière.

— Affreux, affreux, affreux ! brame par trois fois et de gauche à droite Berthe Bérurier.

— Il a fallu attendre plus de cinq cents ans pour que le brave petit boxeur Alphonse Halimi la venge au Palais des Sports de Londres, ajouté-je.

— C'est long, admet Béru. Mais dis-moi, San-A, pourquoi que ses saints qui l'avaient embarquée dans ce merdier ne sont pas venus renier une grosse averse sur son bûcher au moment où le bourreau actionnait son Flaminaire ?

— Probablement parce qu'il fallait qu'elle aille jusqu'au bout de son destin pour devenir la sublime image que tu sais ! Beaucoup de gens, vois-tu, Béru, sont plus utiles à leur pays morts que vivants. Lorsqu'elle combattait, Jeanne était raillée, controversée ; on doutait d'elle et de sa mission. Une fois réduite en cendres, elle est devenue un emblème et la France s'est ressaisie. Elle n'a été vraiment Jeanne d'Arc que parce qu'elle est morte. Si elle avait vécu et bouté tous les Anglais hors de France, il est probable qu'ensuite elle se serait mariée et aurait eu des gosses avant de devenir une grosse dondon comme Isabeau de Bavière, avec trois mentons et des varices. Elle serait sortie de l'épopée par la porte de la cuisine !

« Or on ne fait pas des statues avec les mères de famille, Béru. Jeanne, il la fallait avec un étendard à la main, non avec un biberon. Elle n'a pas sauvé la France en étant guerrière, mais en étant combustible. »