— Tu l'as dit ! Ce peuple était le peuple Franc ! Qu'est-ce qui te fait rire ?
— Des frisés qui s'appelaient Francs, moi je me marre ! C'eusse t'été des Marks, je veux bien, mais des Francs ! Ya de quoi se mettre du sucre en poudre sur la choucroute, non !
Il devient grave et murmure :
— Je pige pourquoi le Général dit qu'il est d'origine allemande. En somme on est tous plus ou moins chleus ?
— On est un peu tout, Gros. Notre pays est un creuset où s'opèrent des alliages de races. Pour en revenir aux Francs, ils se sont établis au nord de la Gaule et ont fondé le premier royaume français. Tu sais comment il s'appelait, le premier roi de France ?
— Ben, François Premier, fatalement ! dît le Gros et de détailler : François parce que ça vient de France et Premier parce que c'était le premier. Y a des moments que tu me prends pour je sais pas quoi ! T'oublies que tu causes à un inspecteur principal qui en sait long comme un rouleau de papier hygiénique sur le chapitre de la déduction !
— Il ne s'appelait pas François Premier, il s'appelait Mérovée, Gros ! tonné-je.
Bérurier est interdit. Il ouvre et referme la bouche à plusieurs reprises avant d'avouer, d'une voix contrite :
— Jamais vu ce blaze nulle part, même pas dans le Bottin où que pourtant on en trouve des pas banaux !
— Tu as dû entendre au moins parler de son petit-fils ?
— J'ai pas z'eu cet honneur non plus, grommelle le Renfrogné.
— Clovis !
La bouille du Gros revient an beau fixe.
— Clovis, le gars du vase ?
— Soi-même ! C'est lui qui a achevé la conquête de la Gaule en virant les Romains. Il avait épousé une bergère carrossée par Chapron : Clotilde. Faut te dire que le gars Clovis, question amour c'était aussi une drôle d'épée ! La cafetière-verseuse, le sifflet magique, la brouette indonésienne, le gant de velours, le papillon soudanais, la calotte glaciaire, le médium enchanté, le lézard peureux, la badine mérovingienne, le tapis volant, la charge de la Brigade sauvage et la clarinette à fausses notes, il connaissait tout !
— L'enveloppe cachetée aussi ? s'intéresse Béru.
— Aussi !
— Les 4 bayonne-au-même-clou également ?
— Tout, je te dis ! Il était païen, poursuis-je, et Clotilde était chrétienne.
— Y avait de l'eau dans le gaz chez eux, je m'en doute !
— Pas du tout, car ils s'aimaient. Clotilde cherchait à convertir son bonhomme. Elle allait y parvenir, lorsque leur môme qui s'appelait Ingomir est mort !
— Comment voulais-tu qu'il vive avec un prénom pareil ? philosophe le Gros.
— Le gars Clovis s'est grouillé de faire un autre chiare à sa bonne femme. Les races royales, c'est comme les réchauds à fondue : faut pas les laisser s'éteindre. Et voilà que le deuxième mouflet tombe malade le lendemain de son baptême !
— Coup dur pour le Clergé, admet le Gravos. Il devait vachement tiquer, Cloclo ?
— Tu parles. Il commençait à se dire que le Dieu des Chrétiens n'avait pas les Mérovingiens à la chouette ! Mais Clotilde a tellement prié que le gosse a guéri.
— Un miracle, quoi ! D'autant que la pénicilline devait pas exister à cette époque.
— Malgré ce miracle, Clovis n'était pas pleinement convaincu de la nécessité de sa conversion. Ce qui l'a décidé, c'est la bataille de Tolbiac contre les Alamans. Les choses se passaient mal pour lui et il allait ramasser la dérouillée lorsqu'il a eu la bonne idée de s'adresser au Dieu de Madame. Donnant, donnant : tu me refiles la Victoire et je me fais chrétien ! Le bon Dieu, qui aime parfois les coups de poker, a suivi. Clovis a été vainqueur !
Le Gros est émerveillé.
— Voilà une histoire qui manque pas de sel, convient-il.
— D'autant plus, renchérisse, qu'elle se termine par un baptême ! Ce dernier a eu lieu à Reims ! C'est là que Clovis est allé faire à Dieu le Dom Pérignon de sa personne ! Les rois de France devenaient catholiques ! A partir de ce moment-là, les évêques se sont alliés à Clovis et l'ont aidé à finir sa conquête de la Gaule.
— Comme en Espagne pour Franco, quoi !
Je vide mon verre.
— En conclusion, c'est une femme, tu vois, qui, indirectement, a permis l'unité de la France !
Le vaillant Béru a un sourire blasé.
— Elles se sont bien rattrapées depuis, les friponnes ! assure-t-il en homme qui sait de quoi il parle. Si on aurait qu'elles pour faire l'Union, maintenant, la France ressemblerait vite fait à la salle Wagram un soir où Delaporte s'explique avec le Bourreau de mes thunes !
Puis, haussant les épaules avec fatalisme, il murmure :
— N'empêche que ton Clovis, tout ce qu'il a laissé, c'est son nom à un coquillage.
— Ça ne s'écrit pas de la même façon, Gros !
— Tout ce que tu voudras, y me fait penser à un bigorneau, ce mec-là ! Son coup du vase de flageolets ou de soissons (je me rappelle plus quelle sorte de haricots c'était) je le trouve minable.
— Tu connais l'anecdote ?
— Dis, tu permets ! Son guerrier casse un vase et il y coupe la tranche ! Moi, si j'agissais comme ça avec notre femme de ménage toutes les fois qu'elle casse quéque chose on me ferait passer aux Assiettes ! Mais vu que c'est Clovis, on apprend ça à nos mômes des écoles comme si ce serait un fait d'armes ! Ah ! je te jure : fous-moi ministre de l'Instruction Nationale et tu verras comment que je te ferai sauter ce chapitre des manuels !
— Tu aurais tort, assuré-je. Il est si pittoresque ! Alexandre Dumas n'a jamais rien écrit de mieux dans le genre !
En ce jour de Noël, la ville de Reims était en fête. Le Champagne coulait à flots et un grand concours de populo[6] se pressait aux abords de l'église où se dérou-lait un événement capital : le baptême du roi Clovis.
Ce dernier — qui n'était pas le premier venu — se tenait à loilpé[7] dans la piscine d'un baptistère nouveau modèle conçu et réalisé par Hidéalsthandhar. Malgré la saison et les courants d'air qui rôdaient sous les hautes voûtes, il n'avait pas froid. Lorsqu'on accomplit le destin de la France on n'a jamais froid. Lorsqu'on dorme l'exemple non plus. Clovis était le premier du lot à recevoir le sacrement du baptême. Sa sœur, qui répondait au doux nom d'Alboflède, et trois mille de ses guerriers attendaient patiemment leur tour de recevoir l'eau purifiante.
La mitre de l'évêque saint Rémi (qu'on appelait Rémi tout court à cette époque, étant donné sa grande modestie) se mit à scintiller d'un éclat surnaturel.
— Courbe la tête avec douceur, Sicambre, ordonna le prélat ; brûle ce que tu as adoré ; adore ce que tu as brûlé.
Clovis inclina la tête et, ce faisant, adressa un clin d'œil à son féal Béruris, lequel se tenait debout près du baptistère. Au signal, Béruris se mit à reculer lentement jusqu'à l'autel. A cause de la solennité exceptionnelle de l'instant, personne ne lui prêtait la moindre attention.
Béruris était un garçon athlétique et un tantinet grassouillet. Son visage zébré de cicatrices attestait de sa vaillance. Depuis toujours, Clovis lui confiait des missions délicates. N'était-ce pas ce même Béruris qu'il avait dépêché quelques années auparavant à la cour du cruel Gondebaud pour adresser à Clotilde sa demande en mariage ? La belle jeune fille se morfondait chez ce vilain tonton qui l'avait rendue orpheline en égorgeant papa-maman.
Béruris s'était présenté à elle déguisé en mendiant. Suivant la coutume, Clotilde avait lavé les pieds du visiteur. L'unique bain de pieds du soldat Béruris ! Et quel bain de pieds ! Une future reine de France vous fourbissant les orteils, c'était un souvenir de qualité ! Chaque fois qu'il croisait l'épouse de son souverain, Béruris en devenait écarlate d'émotion et il avait des fourmis rétrospectives dans les nougats. Il avait remis à Clotilde l'anneau d'or par lequel Clovis s'engageait et des larmes avaient brillé dans les yeux de l'adolescente. Ah ! c'était la belle époque !