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— Bravo ! s'exclama Louis XVI, Oh bravo, mon ami ! Que voilà donc une judicieuse invention…

Béruriez se rembrunit.

— Seulement je me heurte à une grosse difficulté, Sire, avoua-t-il.

— Et quelle est-elle ?

— Elle concerne le couperet lui-même. Cette lourde lame en s'abattant ne fait pas que trancher : elle écrase. Cela risque de rendre l'opération très inesthétique.

Le roi étudia la graphique et se mordit la lèvre.

Il pensait avec lenteur, mais d'une façon obstinée. Au bout d'un moment, le visage poupin de Louis XVI s'éclaira.

— Je crois avoir trouvé la solution de ton problème, mon garçon !

— Je n'en doute pas, Sire ! s'écria Béruriez en essayant de ne rien laisser paraître de son incrédulité.

— Donne-moi une plume ! ordonna le roi.

Le compagnon s'empressa. Louis XVI, en souriant, traça une diagonale dans le rectangle figurant le couperet, le transformant de ce fait en deux triangles rectangles. Il remplit de hachures le rectangle supérieur.

— Il faut que le couperet ait cette forme, affirma-t-il. De la sorte, la section se fera en biais ce qui décuplera le pouvoir du tranchant.

— C'est l'œuf de Christophe ! exulta Béruriez ; oh ! Sire, vous êtes génial !

— N'exagérons rien, balbutia le roi qui savait parfaitement où il en était.

Il réfléchit et décida :

— Je ne puis prôner moi-même cette invention, mon ami, je suis déjà si impopulaire que l'on dirait partout que je songe plus à assurer la mort de mes sujets que leur vie… Mais tu vas aller trouver le bon docteur Guillotin. C'est un chercheur et un sociologue. Ta découverte l'intéressera et peut-être te l'achètera-t-il un bon prix ?

Béruriez remercia avec effusion et quitta l'atelier royal pour porter au docteur en question le résultat de leurs mutuelles cogitations.

Louis XVI le regarda partir d'un œil bienveillant.

« Il faudra que je fasse adopter ce mode d'exécution, songea-t-il. Il me parait moderne et, pour tout dire, très révolutionnaire. »

Et il hocha la tête.

Extrait de « Mes Migraines et les différentes façons de les guérir » par Joseph-Ignace GUILLOTIN (Professeur d'anatomie à la Faculté de Paris).
PETIT INTERMÈDE POUR PERMETTRE A BÉRURIER DE CROQUER LES GRANDES FIGURES DE LA RÉVOLUTION

Le Gros voudrait que je blablate encore sur la Révolution Française, mais je suis saturé et je lui tends, en guise de réponse, le livre trouvé dans la Triumph de Bobichard Jérôme.

— Force-toi, Béru, et ligote un peu ce texte trié sur le volet, il sera plus riche que moi d'enseignements.

Il ramasse le bouquin et grommelle un merci pareil à une imprécation.

Je me sens les cannes un peu faiblardes et je décide de me rapatrier à Saint-Cloud où Félicie m'a préparé du feu dans la cheminée, malgré le temps clément. Y a des moments où je me dis qu'elle aurait pu être anglaise, M'man : c'est quand elle prépare un feu de boulets dans notre cheminée de faïence. Toute la baraque devient alors british et douillette. On n'allume pas l'électrac afin de profiter de l'intimité et de la lumière des braises.

C'est bath.

En robe de chambre et pantoufles, me voilà allongé devant l'âtre, sur une peau de bique, à respirer l'odeur carbonique des boulets consumés. Ça picote le pif et ça me fait penser à ma petite enfance. Chez nous, d'ailleurs, tout me fait penser à mon enfance ; c'est ça le principal intérêt d'une maison. Quand on s'est mis à quatre pattes pour escalader un escalier, il ne peut plus devenir un escalier comme les autres. Non, jamais ses marches ne s'ajustent à l'échelle humaine ; elles conservent pour toujours leur aspect redoutablement abrupt.

La fin de la journée se traîne dans cette ambiance incertaine. Pour vraiment apprécier le temps, il faut rester à plat ventre sur un parquet, devant une cheminée, à écouter le bruit du feu. Ce qui m'a toujours bouleversé, c'est que les hommes aient inventé les distractions. Se distraire, c'est en somme tâcher d'oublier le temps et par conséquent le perdre ! Le perdre vraiment, définitivement et si bêtement ! On va regarder jongler des Chinois, jouer des musiciens, pleurer des comédiennes. On va perdre du fric sur un tapis vert, on essaie de lancer une boule contre un cochonnet ou d'abattre un beau faisan doré qui fait si joli dans le ciel simplement pour oublier la minute qui passe, pour se rapprocher plus vite de la mort, quoi ! On a hâte d'aller se blottir dans ses bras tentateurs. Alors on tire comme des perdus sur la bobine où le fil de notre vie est entortillé. Et ça se dévide à tout berzingue dans le noir des cinés ou devant le petit écran de la télé. Ça se dévide au bistrot, dans les plumards garnis de jolies mômes, à la chasse, à la noce à Lulu, au banquet des futurs anciens je-sais-pas-quoi, à la Galerie Galliera, aux concerts Lamoureux, à l'Alhambra-Maurice-Chevalier, dans les bouquins de San-Antonio, dans France-soir, chez le coiffeur, au Parc des Princes, à bord de votre Triumph rouge. Il n'y a que dans les mines de charbon que ça ralentit un brin, ou bien dans un hall de chez Renault, ou sur la route quand on est cantonnier ou cantinier, ou chez le toubib qui vous demande de ne plus respirer derrière la vitre inquiétante de son périscope à éponges, ou à Fresnes, ou chez le réparateur de ratiches, si guestapiste avec sa roulette à turbine qui vous bouffe la tête. Niais le temps ne marche réellement à tout petits pas que lorsqu'on le retient par la veste et qu'on s'arc-boute. C'est-à-dire dans le train, à condition de ne pas dormir, ou devant sa cheminée…

On regarde grouiller les petites secondes éperdues, fourmilière toujours affolée. Elles vous cavalent sur la main, dans le dos, partout, étonnées de ne pas vous embarquer dans leur frénésie et irritées de vous voir si raisonnable. L'homme sage, c'est celui qui s'étend sur le sol pour y attendre sa fin. Alors, là oui, il a l'illusion de dominer le temps, de lui p… à la raie, ou plus exactement au cadran. La plupart des gens se figurent que c'est cyclique le temps. Ils pensent sincèrement que la journée commence à zéro heure pour se terminer à minuit pile et qu'ensuite tout recommence. Ils sont certains que les mêmes secondes, les mêmes minutes et les mêmes heures resservent quotidiennement et le mêmes mois aussi dans l'année. Y'a que l'année qu'ils veulent bien changer, mais pour cacher le caca au chat ils célèbrent l'événement à coup de Champagne et de serpentins, ces patates ! Ils croient que c'est jouissif de décrocher le dernier wagon pour en atteler un autre ! Le réveillon, qu'ils appellent ça, sans se gaffer qu'au fond il s'agit en fait d'un petit morceau de veillée funèbre. L'étonnant, voyez-vous, mes amis, c'est que depuis le début de tout, pas une seconde n'a jamais resservi. Pas une resservira, même quand l'insecte se sera enfin dressé sur ses pattes de derrière pour à son tour imposer son règne et que les Suisses ne feront plus de montres, oui, même alors les secondes continueront de pleuvoir sur l'éternité et de se renouveler impitoyablement, inexorablement.

— Tu n'entends donc pas le téléphone, mon Grand ? s'étonne Félicie qui vient d'entrer.

Je sors de ma torpeur méditative.

— Non !

— Veux-tu que je réponde ?

— Non, laisse…

Je rampe jusqu'à la tablette du téléphone, je m'empare de l'appareil, le pose devant moi sur la peau de bique et, toujours vautré, je balance le « Allô ? » d'usage.