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C'est l'organe plantureux du Gros qui m'asticote les trompes.

— Re-salut, Gars ! tonitrue-t-il. C'est pour te dire que je viens d'avoir une longue conversation, au gnouf, avec le dénommé Bobichard Jérôme et que j'en ai appris tout un paquet !

— Il a d'autres délits sur la conscience ?

— Je te cause à propos de l'Histoire, mon pote ! Il m'a dit des trucs sur la Révolution que tu ne peux pas te figurer. Je parie qu'à c't' heure c'est moi qu'es capable de te coincer.

« Tu devineras jamais quand c'est que Danton et Robespierre sont morts ! »

— En 1794, réponds-je. Le premier en avril et le second en juillet.

La déception du Gros fait dans l'appareil un bruit de papier froissé.

— Tu le savais donc ?

— Tu vois !

Mais vite il se ragaillardit.

— Juste un an après le roi, c'est pas banal, non ? D'après le gamin, Danton c'était un gros pas beau avec une trogne de Saint-Bernard et qui aboyait fallait entendre ! Quand il montait dans les tribunes y avait de l'électricité dans le stade ! Le petit loustic de Bobichard a insinéré qu'au début de sa carrière, le Danton, il était plutôt du genre arriviste. Je lui ai fait regretter ces sous-entendus, naturellement, car je permets pas qu'on chahute la mémoire d'un monsieur qui a aidé à créer la République. Le petit crevard m'a raconté aussi qu'il avait un peu tiédi au moment de la Terreur et que Robespierre l'avait fait décapiter. Là encore j'y ai mis deux baffes pour lui apprendre à colporter des ragots qu'il était pas seulement là pour savoir s'ils sont été vrais ! Mais où il m'a fait plaisir, le voyou, c'est quand il m'a appris que Danton n'a pas voulu éviter l'abbaye de Monte-à-Regret en se taillant à l'étranger. Il a dit comme ça qu'on n'emportait pas la France à la semelle de ses souliers, y devait pas avoir des semelles crêpe, le gars. Chez nous, c'est ce que Berthe me reproche, justement : de l'apporter la France, à la semelle de mes pompes. Paraît que je lui salope ses parquets.

Je pose l'écouteur sur la peau de bique pour me relaxer tout à fait. Il a une voix tellement timbrée, l'Affranchi, qu'à cinquante centimètres du combiné on l'entend distinctement.

— Si tu veux que je te dise tout, San-A, Robespierre, je l'aime moins. Il était député d'Arras, comme Guy Mollet, et c'était le genre froid et cassant. Une petite terreur à lui tout seul, quoi ! La guillotine, c'était son instrument de travail « Numbère ouane ». Il aurait vécu qu'il allait en faire fabriquer en série et que tout le monde aurait fini par pouvoir acheter la sienne au B.H.V. ! Il est allé éternuer dans la sciure à son tour. C'est fou le nombre de zigs qui se sont fait raccourcir ces années-là ! Et pas seulement des particularités, mais de simples particuliers aussi. L'épuration, quoi ! Y a toujours des périodes où que les gens profitent de ce que ça cafouille pour assouvir leurs petites rancunes. Et pour foirer, ça foirait drôlement en France, après la mort de Louis XVI. Tous les rois des alentours ont eu les flubes et se sont collationnés contre la France. Y se disaient que si ça devenait épidémique, la Révolution, on allait pas tarder à trouver des couronnes pour pas cher au marché aux puces ! En France, des départements se sont révoltés aussi. Les Vendéens, surtout, qui revoulaient la Royauté, ces noix ! Ah ! on l'a senti passer ! Mais la République a triomphé tout de même…

Un silence.

— Tu m'écoutes, Gars ?

— A pleins tympans ! hurlé-je.

— Jockey ! J'ai cru qu'on était coupés. On a eu des officiers républicains à la hauteur qui ont conquéri la Belgique, puis la Hollande. Si bien que les rois qui s'étaient contusionnés pour nous filer la rouste ont été forcés de signer la paix : à Bâle ! De là sûrement l'expression « Peau de Bâle et balai de crin ! »

Un nouveau petit temps qu'il emploie à déglutir.

— Reconnais que je t'en bouche une surface, hein ? Un de ces quatre matins tu vas me retrouver à la Sorbonne !

— Ça n'aurait rien de surprenant, dis-je, paraît qu'ils manquent de balayeurs là-bas !

— Je vois que tu me prends pas au sérieux, fait-il. T'as tort. Je m'éveille à la science, San-A. C'est très net ! Faut te faire à cette idée. A preuve, j'emporte le bouquin pour vérifier des choses à la maison. Y a des noms que je veux en savoir plus long à leur propos, comme par exemple Marâtre, qu'une dénommée Charlotte Cornet a ratatiné aux bains-douches, ou comme le Fouquet's en ville qui faisait décapiter tout un chacun. Rappelle-toi d'une chose, c'est que le meilleur job, à l'époque, c'était celui de bourreau. S'il était payé à la tête du client, il devait se faire beau gosse, le Deibler.

— C'est tout ce que tu avais à me dire, Béru ?

— Pourquoi ? s'attriste-t-il, je pensais que ça te ferait plaisir qu'on se fasse un bout de Révolution, comme ça, au téléphone !

— Écoute, mon pote, soupiré-je, la Révolution n'a eu qu'un enfant, un bébé magnifique qu'on a baptisé d'un nom composé. On l'a appelé « Déclaration des droits de l'homme ». C'est un peu longuet, mais c'est un beau nom. L'article quatre de ce document précise : La Liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Or toi, citoyen Béru, tu es en train de nuire à ma quiétude en bivouaquant sur ma ligne téléphonique d'une façon abusive.

Un déclic vexé me répond.

Me voici enfin comme ma ligne : libre !

Quinzième Leçon :

NAPOLÉON Ier

AVANT… PENDANT… ET APRÈS !

Assis à son bureau, sa tangue pointée, le Gros achève de calligraphier laborieusement un texte de carte postale au moyen d'une plume dite sergent-major. Comme tous les cancres, il récite les mots qu'il trace. Je m'assieds pour écouter religieusement :

— … à part ça rien de neuf. J'espère qu'il en est de même pour toi. Moi et Berthe on t'embrasse très fort en attendant de le faire de vive voix. Ton neveu respectueux. Alexandre-Benoît.

— Et voilà le turbin ! exulte la Grosse Gonfle en jetant sa plume avec dégoût. C'est l'anniversaire à ma tante Valentine, celle de Bourg-en-Bresse qu'est veuve sans enfants.

Il sort son portefeuille, vide le triste contenu de celui-ci sur le buvard du sous-main et se met à piocher dans les immondices ainsi déballées, jusqu'à ce qu'il trouve un timbre-poste. Il se met à humecter le derrière de Marianne avec une langue qui ressemble à un fruit de mer oublié sur la place du marché.

— On n'arrête pas le progrès ! déclare-t-il.

— Pourquoi ?

— Avec leur manie de parfumer la colle des timbres ! L'idée est pas mauvaise, note bien ; mais où je suis contre c'est qu'on les parfume à la menthe. Faudrait qu'y ait des parfums divers, chacun choisirait çui de sa convenance. Parce qu'enfin t'as des gens qui sont allégoriques à la menthe. Moi, je serais l'État, je ferais des timbres au café au lait, pour le matin. Des au Pernod pour la fin de la matinée. Des à la choucroute pour le midi. Des au cognac pour l'après-midi et des au beaujolais-saucisson à l'ail pour le thé de cinq plombes. Comme ça, tout un chacun y trouverait son blaud.

— Ça arrivera, Gros, le rassuré-je. L'essentiel, c'était d'avoir l'idée. Une fois que la trouvaille est faite, ça roule tout seul, t'as des paquets de chercheurs dans ton genre qui se penchent dessus et qui l'améliorent.

Il est tout jovial, mon Béru, ce morning. Il a troqué sa tenue yé-yé de la veille, contre un costar prince-de-Galles dont les carreaux sont un peu fêlés mais qui garde néanmoins une certaine apparence.

Chose stupéfiante, il a changé de chemise, ce qui ne lui était pas arrivé depuis un certain nombre de semaines, et il s'est rasé. Il fait dix ans de moins, le Gros, lorsqu'il n'a plus son piège à jaune d'œuf.