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— T'es printanier comme un mois d'avril, observé-je.

Il se penche sur un morceau de miroir logé dans son tiroir et donne un petit coup de pouce à la mèche rebelle qui pend de son front comme une grosse virgule désemparée dans un paragraphe de Daniel Rops.

— J'ai rembour, explique-t-il.

— La belle occase ?

— Sensas, une actrice !

— Non ?

— Yes, mister. Et c'est du sujet d'élite, carrossé par Chapron. Une avant-scène commak, mon pote, avec deux gaillards d'avant en pleine santé. Et alors, par derrière, des flotteurs que quand elle marche tu te demandes si c'est pas la pleine lune en personne qui change de quartier.

— Et tu l'as trouvée où, cette merveille ?

— C'est elle, San-A, qu'est venue me trouver. Elle crèche dans ma street, le gros immeub neuf du coin, tu vois la masure ? Cette môme est en train de tourner un film aux studios de Billancourt et on y a chouravé un bijou de valeur pendant qu'elle était sur le plateau. Elle veut pas faire de suif en portant plainte parce que ça ferait mauvais genre, alors un commerçant du coin y a conseillé de faire appel à moi pour que je lui maquille une petite enquête dans le genre officieux, tu mords ?

— C'est la gloire ! affirmé-je.

— De ce fait, s'abstient de contredire Bérurier, je m'ai mis un peu en toilette pour aller draguer dans le studio. C'est un endroit où ce que tu côtoies de la vedette, nécessairement. Or la vedette ça se fringue. Conclusion : faut jouer les ducs de Houinesort si tu veux te sentir à ton aise.

Il se lève pour me faire valoir sa silhouette. Dans le mouvement il renverse son encrier dont le contenu choit sur son pantalon. Il trouve aussitôt une série de douze jurons dont trois m'étaient absolument inconnus pour stigmatiser l'accident. Puis, avec une présence d'esprit magnifique, il pose son falzar et va le nettoyer au lavabo.

Au bout d'un moment, il réapparaît en fixe-chaussette, calcifs courts et chaussettes dépareillées (l'une est grise avec des trous noirs, l'autre est à damiers violets et jaunes).

— Je crois que c'est parti, se rassérène l'Abominable déculotté en étalant son cache-misère sur le radiateur. Un futal presque neuf que je mets seulement depuis trois ans, avoue que c'est pas de bol !

Là-dessus le bigophone grésille. Je décroche : c'est le Vieux qui demande à nous voir d'urgence. Béru et moi. Je lui dis que nous montons tout de suite. Béru est épouvanté par cet appel.

— Je ne peux pas remettre mon futal tout mouillé, plaide-t-il ; de quoi t'est-ce que j'aurais l'air ?

— Viens comme tu es, risqué-je, pensant qu'il va me flanquer son tampon-buvard au visage.

Mais il acquiesce car, fervent adepte du système D, il a déjà décroché un rideau de la fenêtre et s'en confectionne une mignonne jupette !

— Paré, déclare-t-il en m'emboîtant le pas.

Le Dabe, je vous en ai si souvent parlé que j'ai un peu l'impression de faire une séance de rabâchage in door en remettant ça dans le descriptif à son sujet. Pourtant je dois bien penser aux nouveaux San-Antonistes. Je demande donc aux autres de sauter quelques lignes et d'aller m'attendre en fumant une cigarette au paragraphe suivant. Le Vieux, dit le Boss, dit le Dabe, dit le Tondu, c'est du bonhomme de grande classe. Le cerveau de la Poule. Il a pas de tifs sur la théière, mais à l'intérieur ça se bouscule, croyez-moi ! Élégant, racé, le regard couleur d'eau de roche, le geste noble, les lèvres minces, le ton sec et l'énergie à fleur de peau, tel se présente notre grand patron. Il a un tic : il se caresse la coupole du plat de la main ou lustre ses boutons de manchette en jonc massif entre le pouce et l'index. Dans les cas graves, il va s'adosser au radiateur du chauffage central, histoire de se réchauffer le baigneur. Un seigneur dans son genre !

En voyant entrer Béru travesti en mousmé, son regard se fronce comme la jupe d'un Écossais.

— Qu'est-ce que ça signifie ? demande-t-il d'une voix peu tendre.

Le Gros explique, s'excuse, et le Dabe qui a l'habitude des fantaisies béruriennes se retient de rigoler.

— Messieurs, fait-il, j'ai une petite mission à vous confier. Un de mes amis est producteur de films. Il tourne en ce moment à Billancourt et a eu la désagréable surprise de constater qu'on lui avait volé un stylographe de prix !

— M… ! s'écrie le Gros.

Nouveau sursaut de M'sieur le Directeur. Je lui raconte alors la démarche que la jeune actrice voisine du Gros a faite chez lui la veille. Le Tondu branle le chef ; c'est son droit, que dis-je ! sa fonction qui veut ça !

— Petite affaire, sans doute, dit-il. Je suppose qu'il s'agit là de chapardage, mais comme les victimes tiennent à s'assurer la plus grande discrétion, voyez cela vous-mêmes bien que ces délits relèvent du commissariat de police.

Je m'offre un petit ricanement méphistophélique. Le Vieux me jette un œil glacé.

— Qu'est-ce qui vous amuse, San-Antonio ?

— La langue française et ses nuances, Patron. Le Français a mis au point un tas de termes gentillets tels que : chaparder, resquiller, marauder, subtiliser, chiper, barboter, faucher, escamoter qui tous signifient en somme voler.

Sur cette forte remarque je m'évacue, emmenant la folle Bérurière dans mon sillage.

Un instant plus tard, le Gros réhabite son pantalon et nous mettons le cap sur Billancourt.

Comme nous usons de mon véhicule, il parcourt le journal en cours de route et tout à coup s'exclame :

— Tu sais ce qu'ils tournent dans les studios de Billancourt, San-A ?

— La main du Masseur ?

— Non : la Vie passionnée de Joséphine de Beauharnais ! C'était bien la bobonne à Napoléon ?

— Dix sur dix, Gros.

— Tu vois, jubile-t-il, le hasard continue de s'occuper de nous. Juste comme t'allais me dire l'Empereur, v'là qu'on va être mêlés à sa vie privée…

— La vie de Joséphine au cinoche, ça doit valoir le coup de cidre, ça encore !

Il replie méticuleusement son baveux et, hypocrite comme un marchand de bagnoles d'occase, insinue :

— Tu pourrais m'affranchir un brin à propos de Napo, pour que j'aie pas l'air trop pomme si on le rencontre sur le plateau !

— On en parlera plus lard !

Lors, Bé-Rû, le célèbre clown du Poulman Circus, se fâche tout bleu.

— T'es féroce avec mon standinge, Gars. T'oublies un peu qu'à travers moi, c'est le prestige de la Poule qu'est sur le tapis vert. Comment ! On est chargés d'une petite enquête mondaine dans le doigté et t'accepterais que j'ignorasse à propos de Napoléon alors qu'on va sur un plateau où qu'on tourne la vie de sa dame ! Tu veux que je te dise, San-A ? tu le fais exprès. Ton rêve serait de me voir humilier. Bien crêpe, bien balourd, c'est commak que tu le veux, ton Béru, reconnais ? T'as peur qu'il risquasse de t'éclipser auprès du beau monde, alors tu l'amoindris exprès.

— Planque ta sébile, Gros, m'insurgé-je, la mendicité est interdite sur le territoire !

— En somme, insiste l'à-carreaux, tu me moules au seuil de l'Empire ?

— Mais non, je vais te le tricoter main, ton Napoléon.

Il n'ose laisser exploser sa joie de peur que, pour le taquiner, je le largue après que sa curiosité ait sorti son train d'atterrissage.

— Pour nous résumer, côté Révolution, attaqué-je, voici les gouvernements qui se sont succédé : 1°) La Constituante ; 2°) La Législative ; 3°) La Convention ; 4°) Le Directoire. Reprenons donc les choses au Directoire. Nous assistons à une banqueroute morale de l'esprit révolutionnaire. Après la Terreur, le peuple gorgé de sang éprouva le besoin d'être dirigé par un homme calme et fort. Comme chaque fois, à une époque de violence, succédait une époque de désordre. Le Directoire était un gouvernement bourgeois, donc mollasson et incapable. Les Français attendaient un héros : ils l'eurent en la personne du général Bonaparte.