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— Un parent de Napoléon, je crois ? fait le Renseigné.

— Son père spirituel, ricané-je.

Faut expliquer à la pomme que le général Buonaparte et Napoléon ne furent qu'une seule et même personne. Il l'admet après quelques réticences.

— Ce qui domine la carrière de Napoléon, poursuis-je, c'est avant tout son sens de l'opportunité. Il a toujours su se trouver là à la seconde où il fallait y être, dire ce qu'on attendait de lui et faire ce qu'il fallait faire pour prendre la situation en main. Tu vois, dès le départ, c'est symptomatique. Il fallait un héros, et il bondit, ardent, farouche, romantique et efficace, ce qui est rare. Un teint olivâtre, des yeux de braise, une mise négligée, c'est un héros à la Gérard Philipe. Il séduit et se fait craindre naturellement. Sa profession de foi politique ? Se rendre indispensable. La France, justement, a besoin d'un homme indispensable. Ce sont des crises sexuelles qu'elle a parfois, cette pauvre petite. Elle reste peinarde un bout de temps, détendue, léthargique, heureuse en apparence. Et puis brusquement elle prend des démangeaisons dans le fouignozof et il faut qu'elle se tape un preux chevalier, vite fait, n'importe où, sur un coin d'Elysée ou de Palais Bourbon. C'est pas du vice, c'est plus violent que le vice. Quand une vache se dresse sur ses pattes arrière on se grouille de la présenter à un taureau capable de mettre du nerf à l'ouvrage. C'est du kif pour notre France éternelle, mon pote. A certains moments, la voilà qui se dresse sur ses pattes de derrière : ça veut dire qu'elle a besoin d'un coup sauveur dans les galoches. Et, miracle, t'as toujours le sauveur qui piétine sur le paillasson en commençant de se déboutonner. La réussite, qu'on le veuille ou non, Béru, appartient à ceux dont le pantalon tombe le plus vite. Il en avait un à fermeture Éclair, Napo, parce qu'alors, pour s'embourber la France, ç'a été du rapide. Matons un peu le départ du gars. Corsico d'une famille qui avait du mal à mettre la poule-au-pot le dimanche, il entre comme boursier au collège de Brienne d'où il passe à l'École Militaire de Paris. Il en sort avec un rang très modeste ; 42e sur 58.

— C'est pas si tartignole que ça, le défend le Gros. Je peux te dire que moi j'étais régulièrement 31e sur 32 et ça ne m'a pas empêché d'entrer dans la police pour y faire la brillante carrière dont au sujet de laquelle tu connais.

Il sourit à son passé de cancre et murmure.

— Le dernier de la classe, c'était un brave gars qui s'appelait Félix Duniais. Je le revois z'encore avec sa blouse noire. Il avait toujours du sauciflard dans son burlingue, biscotte son dabe était charcutier de son état. Il avait aussi une topette de gnole et comme il était pas chien il m'en refilait des biberonnées, au moment des compos surtout, quand il s'agit de se remonter le moral pour affronter les questions sournoises. On a passé notre certificat les mêmes années.

— Vous vous êtes présentés combien de fois ?

— Huit fois. Moi, je l'ai décroché assez brillamment, je dois modestement convenir, à la huitième reprise…

— C'était un dix rounds ? ironisé-je.

Mais l'Éduqué continue sur sa lancée :

— Duniais, lui, a déclaré forfait. On a eu une petite période de froid tous les deux. La jalousie, c'est dans la nature humaine, il pouvait pas encaisser mon triomphe. Mais il en a pris ses parties, quoi ! Et voilà que des années plus tard je passe dans un petit bled du Morvan. Et qu'est-ce que je vois, en train de racler une tête de cochon devant sa porte ?

— Duniais ? suggéré-je sans grand mérite.

— Ah ! je te l'ai déjà raconté ? fait Bérurier.

— Non, un simple pressentiment que j'ai eu, comme ça…

Il me complimente et termine.

— Eh ben, Félix m'a fait goûter sa camelote et je peux te dire une chose : c'est que j'ai jamais retrouvé un type qui sache aussi bien faire l'andouille !

— J'en connais un, moi, qui, à coup sûr, le fait encore mieux, certifié-je.

— Qui ? halète le Dodu.

D'un geste rapide j'abaisse le pare-soleil dont l'envers est muni d'une glace pour les passagères qui veulent se recharger le moule à bises après les excursions en forêt.

— Regarde, le voici !

Il hausse les épaules.

— T'as toujours l'esprit qui fait du rase-mottes, mon Gars. Un de ces jours tu vas rentrer dans un pylône à haute pension et tu comprendras ta douleur. Allez, continue au sujet de Naponaparte. Il sort de l'école, disais-tu ; aftère ?

— Le voilà capitaine d'artillerie. Il se demande ce qu'il va faire de son brevet. Il ne veut jouer qu'à coup sûr, car, je te le répète, sa vie n'a été qu'une phénoménale partie d'échecs. Toulon est aux mains des royalistes appuyés par les Anglais. Bonaparte décide d'aller exercer ses talents dans le secteur. Il délivre Toulon et on le nomme général de brigade. Suit alors une période de flottement au cours de laquelle il se demande s'il ne va pas aller mettre son épée au service des Turcs. Il drague dans Paris, désemparé, désargenté, carambolant des blanchisseuses, car ce sera l'un des grands amoureux de l'Histoire.

— Sans blague ! s'extasie Béru.

— M. Guy Breton, dans ses très remarquables ouvrages consacrés aux histoires d'amour de l'Histoire de France, affirme qu'il eut plus de maîtresses que Louis XIV, François Ier et Henri IV réunis, et s'il le dit on peut le croire, car c'est un écrivain très documenté.

— C'était le poinçonneur des Lilas, ton Bonaparte ! dit Sa Majesté. Ces petits Corses ont un tempérament du tonnerre ! Causes-en pas devant Berthe, des prouesses Napoléennes, notre voisin du dessous est d'Ajaccio et ça pourrait donner des idées à ma Gravosse ! Déjà qu'on a l'Île de Beauté sur notre calendrier des Postes et que ça lui fait pousser des soupirs que tu dirais des pneus qui se dégonflent…

Il rit et d'un geste auguste m'indique qu'il me restitue le crachoir.

— Napoléon, qui ne s'appelle encore que Bonaparte, cafarde ferme, continué-je. Et un jour, Barras, l'un des membres du Directoire, lui demande de lui prêter main-forte pour accomplir un gentil petit coup d'État. Napo, qui n'a rien de mieux a faire, accepte ; le coup réussit et Barras devient son obligé. Pour le remercier, il le fait nommer chef de l'Armée d'Italie d'une part, et, d'autre part, lui fait épouser sa maîtresse, une fameuse Marie-couche-toi-là terriblement dépensière qui était la veuve d'un général guillotiné en 93. La personne en question se farcissait tout Paris et les environs. Elle était originaire de la Martinique, ce qui lui donnait du piquant, et s'appelait Joséphine de Beauharnais.

— C'est pas possible ! s'étrangle La Gonfle.

— Textuel, mon fils. Napoléon la vit, l'aima parce qu'elle était belle et l'épousa parce qu'elle était vicomtesse. Ainsi, Barras et lui qui étaient déjà unis par un coup d'État le furent en outre par la créole.

— Au fond, ils avaient servi dans le même corps, glousse l'Enflure.

— Encore ébloui du coup de rein de Joséphine, Bonaparte partit pour l'Italie. A la même période trois généraux se consacraient à des campagnes diverses : Napoléon, donc à celle d'Italie, Jourdan à celle d'Allemagne et Hoche se préparait à envahir l'Irlande.

« Sur les trois généraux, un seul obtint la victoire : Napoléon. Jourdan fut battu par l'archiduc Charles et Hoche par la tempête. Être vainqueur lorsque les petits copains ramassent la dérouillée, c'est encore plus beau qu'être vainqueur tout seul.

« Dans l'existence, le plus sûr des alliés c'est un faire-valoir. La recette est toujours en vigueur, mon Gros Lapin : le méchant donne du relief au gentil et le cocu fait la gloire de Casanova ! Comment peut-on se rendre compte qu'un type est beau s'il n'y en a pas un moche à côté de lui ? Prenons notre cas, par exemple. Mon succès auprès des femmes est beaucoup plus spontané lorsque tu m'accompagnes. Et tout est à lavement, comme dirait un certain Bérurier. De Gaulle n'aurait pas eu une gloire aussi resplendissante si Pétain, dans le même temps, n'avait joué le rôle du vilain abject. Le second faisait don de sa personne à la France, ce qui donnait illico envie à la France de faire don de la sienne au beau jeune premier. Couvert de gloire qu'il était, Buonaparte, et pas manchot, contrairement à ce que prétend le calembour. Au Music-hall, le fin des fins consiste à savoir descendre un escalier. Dans l'armée ce sont les ponts qu'il faut savoir franchir. Bonaparte a fait un triomphe à Arcole ! T'as sûrement vu des gravures le représentant à la tête de ses grenadiers, un drapeau à la main, le buste cambré, la poitrine offerte, la mèche au vent. Bravo Cadoricin ! Un malheur ! Les Autrichiens eux-mêmes n'en sont pas revenus puisqu'ils sont restés sur le carreau.