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Les allées et venues sont incessantes à la Régie. Comme personnel provisoirement sédentaire, il y a le directeur de production, le comptable, le régisseur et une secrétaire. Ces derniers paraissent être au-dessus de tous soupçons, selon M. Cézetrantecinque que, dans l'intimité on appelle 16–35, Mais faut voir…

— Comment s'appelle ton actrice ? je demande à Bérurier.

— Virginie d'Yrondel.

Nous demandons après elle : on nous apprend qu'elle se trouve sur le plateau. Nous sollicitons la permission d'y pénétrer : on nous la donne.

Le rouge est mis lorsque nous nous présentons devant le « B ». Une habilleuse attend portant douze cintres à habits garnis de robes sur son index. Nous attendons en sa revêche compagnie. Et puis le feu rouge s'éteint, les lourdes lourdes se délourdent et, comme à Waterloo la Vieille Garde, nous entrons dans la fournaise.

Dans un décor Louis XVI, Joséphine de Beauharnais joue les dames Récamier avec à ses pieds un type au chapeau empanaché.

— C'est Napoléon ? s'inquiète le Gros en me le montrant ; je le croyais loqué autrement, avec un dada de gendarme ?

— Non, c'est Barras, fais-je.

Il me désigne sa voisine, l'aimable Virginie. Elle est brune, jolie, piquante et possède bel et bien les rondeurs annoncées par Béru, aux endroits précis que le Gros m'a cités. Elle se tient appuyée au canapé de Joséphine.

Présentations. Elle nous répand du sourire ensorceleur et m'apprend qu'elle joue Hortense, la fille de Joséphine. Discret comme un comique troupier, Béru me tire par la manche.

— Tu vois, Gars, les méfaits du cinoche, me dit-il. On berlure le public que c'en est honteux parce que je suis bien sûr d'une chose : Napoléon n'a jamais eu de fille, c'était pas son genre !

— Lui, non, mais Joséphine en avait une lorsqu'ils se sont mariés. Elle l'avait eue avec le général de Beauharnais, son premier Jules.

Il regarde complaisamment l'actrice interprétant Joséphine. Cette dernière n'est pas créole, mais on a forcé sur Bronzine de Molyneux, manière de lui donner la patine martiniquaise.

— Elle s'en ressentait pour les généraux, décidément, cette bougresse.

Puis, revenant à sa voisine :

— Tu crois qu'elle était sensas, la vraie Hortense ?

— Elle l'était, Gros. Au point que Napoléon se la serait farcie toute crue et lui aurait fait un lardon.

— Sa belle-fille ! s'écrie le Plantureux.

— Oui, il était pas conformiste pour ce qui était du solo de jarretelle. Il a marié Hortense à son frère Louis, si bien qu'elle était tout à la fois : sa maîtresse, sa belle-fille, sa belle-sœur et la mère de son premier enfant. Et tu vas voir comme le destin est bizarre : malgré toutes les astuces : les poses en coin de rue sinistrée, les feintes calendriesques (romaines ou républicaines) et les glotmucheurs superposables avec indications de durée, il n'arrivait pas à avoir de chiares avec sa Joséphine, alors avant de songer au divorce, il a pensé à faire de cet enfant qu'il eut avec Hortense son successeur. Mais l'enfant mourut en bas âge. Hortense en eut d'autres avec son mari, et c'est l'un d'eux, Louis-Napoléon, qui devait devenir, par la suite Napoléon III. Marrant, non ? Napoléon Ier comptait sur elle pour lui fabriquer un Napoléon II et elle lui fit un Napoléon III ! Quand je te dis, mon Béru, que l'Histoire est merveilleuse !

Il s'y perd un brin, le cher homme. Surtout qu'il est troublé par l'atmosphère survoltée du plateau. Il mate avec intérêt actrices et techniciens et fait des sourires larges comme des portions de tarte au metteur en scène, déguisé en metteur en scène : lunettes noires, blouson de daim, viseur en sautoir.

— On la refait ! décide brusquement l'ingénieur du son, j'ai eu des craquements pendant le travelling.

Les autres sont d'accord. On prévient le metteur en scène, pas contrariant, il est d'accord aussi. On nous expulse hors du champ. Silence ! Le rouge ! Prêt ? Moteur ! Ça tourne ! Annonce ! Joséphine 84 deuxième ! Partez !

Le Barras emplumé s'approche du divan. Il met un genou en terre et enserre de ses bras frénétiques les jambes de Joséphine.

— Marie-Rose, ma bien-aimée ! attaque-t-il.

Lors, la voix Béruréenne s'élève :

— Y a gourance, mon pote ; pourquoi que tu l'appelles pas Joséphine ?

Brouhaha ! Coupez ! Une voix demande quel est le c… qui se permet de troubler la prise. En termes véhéments, un petit crevard à pilules Pink explique un truc que j'ignorais, à savoir que Joséphine s'appelait de son vrai blaze Marie-Rose[48].

Le Gros s'excuse, se renfrogne, puis virgule une calembredaine pour sauver la face tandis que le chef-opérateur profite de la coupure pour faire mettre un mama devant un petit cinq cents qui ne demandait rien à personne.

— Marie-Rose, c'est l'amour parfumé de l'époux, clame Sa Vermotisation !

Ça fait rire presque tous les machines, sauf deux qui n'emploient contre la menace morpionesque que de longs gants gris. On remet ça ! Barras annonce à Marie-Rose qu'il va la marida avec ce petit crevard de Napoléon. Elle proteste qu'il a pas le gabarit chasse-à-courre. Il insiste et promet de refiler de l'avancement à Bonaparte. Il aurait droit à une solde double pour Noël, aux allocations familiales, à une place assise dans les diligences, au salut civil, militaire et éternel et à un dessus de cheminée en onyx sur lequel seront gravées ses Victoires. Ça décide Joséphine. Elle dit que c'est O.K. et appelle sa petite Hortense pour lui annoncer qu'elle aura bientôt un papa natif d'Ajaccio. La môme répond que ça se corse et on crie « Coupez » vu que s'il y a beaucoup de pellicules sur le blouson du metteur en scène il n'y en a plus dans la caméra.

Nouveau temps mort. Je cherche à questionner la petite Virginie, mais elfe doit rester dans la lumière que l'éclaireur en chef continue de bricoler car la pauvrette n'a pas encore droit à une doublure en dehors de celle de son manteau.

— Et si tu continuais ? me demande Bérurier l'Avide.

— Si je continuais quoi, Bouffissure ?

— A m'informer sur Napoléon. Je l'ai pas encore croisé sur le plateau et je me promets de lui balancer quelques vannes documentées quand on le verra.

— Soit, me soumets-je. Nous l'avons quitté Premier Consul. Il détient le pouvoir absolu, mais ça ne lui suffit pas. Il veut assurer son avenir. Il organise alors un plébiscite pour se faire nommer Premier Consul à vie !

— Oh ! Le Gourmand. C'est quoi t'au juste un phlébite ?

— Un plébiscite, c'est un référendum, Gros. Et le peuple amoureux répond oui comme toujours, par trois millions et demi de voix contre huit mille ! Désormais il peut tout se permettre ! La France lui appartient. Mais ça ne lui suffit pas. Il détient le pouvoir, il lui faut le faste. Deux ans plus tard, en 1804, il est proclamé Empereur par le Sénat sous l'appellation non contrôlée de Napoleon Ier. Un nouveau référendum populaire confirme cette promotion à un pourcentage plus écrasant encore qu'au premier. Le petit Corse sans fortune a atteint les sommets. La palombe de l'île de Beauté est devenue un aigle aux serres aiguës. Maintenant il veut l'Europe. Il est assoiffé de conquêtes. C'est une sorte de désespéré de l'action. Il assure que la place de Dieu ne l'intéresse pas car il la considère — c'est sa propre expression — comme un cul-de-sac ! Il fait des bêtises. Des trucs moches. Par exemple il donne l'ordre d'enlever le duc d'Engbien réfugié au pays de Bade où pourtant il ne demande rien à personne. Ses sbires[49] le kidnappent et l'amènent en France et on le fusille à Vincennes.

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48

J'ai trouvé confirmation de la nouvelle dans l'ouvrage de Guy Breton.

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49

Qu'à l'époque on appelait les Imberbes.