Et ainsi mourut Bérurier, dit Beau-Gosier, dit Joli-Cœur, dit Pan-Pan-la-Tunique !
Ainsi fut exterminée la Vieille Garde, socle de l'Empire ! Exterminée ? Non, le terme est impropre, puisque Cambronne mourut vingt-sept ans plus tard, à l'âge de soixante-douze ans ; ce qui, après tout, n'est pas tellement vieux pour un général !
RÉSUMÉ-QUESTIONNAIRE RELATIF A LA TROISIÈME PARTIE
Q : ANNE D'AUTRICHE AURAIT CONTRACTÉ UN MARIAGE SECRET ; AVEC QUI ?
R : Avec le Mazarin-Curaçao !
Q : CITE-MOI LES PRINCIPAUX PERSONNAGES QUI ONT ILLUSTRÉ LE GRAND SIÈCLE.
R : Le nain Piéral avec ses poussins ! Y avait aussi Dalban, çui qu'a fait les foutrifications. Et puis Aldebert, un ministre drôlement gratteur. Maintenant comme z'auteurs y avait Bosselé, Corbeille, Boileau-Narcejac, la Racine et Saint-Simenon.
Q : COMMENT S'APPELAIENT LES DEUX ÉPOUSES DE LOUIS XIV ?
R : La première c'était une Espagnole et elle s'appelait Mademoiselle Linfante, maintenant son prénom… Quant en ce qui concerne la deuxième, je crois bien que c'est la Marquise de Sévigné.
Q : ET COMMENT S'APPELAIT SA PLUS CÉLÈBRE MAITRESSE ?
R : La marquise de Troubadour.
Q : QU'À FAIT LE MARQUIS DE LA FAYETTE ?
R : Il a travaillé pour la galerie.
Q : EN QUELLE ANNÉE LOUIS XVI A-T-IL ÉTÉ GUILLOTINÉ ?
R : Tu m'as déjà dit que c'était pas en 89, pourquoi t'insistes ?
Q : QU'ÉTAIT NAPOLÉON BONAPARTE AVANT LE COUP D'ÉTAT DU 18 BRUMAIRE ?
R : Il était corse.
Q : CITE-MOI TROIS VICTOIRES NAPOLÉONIENNES.
R : L'Avenue d'Iéna, la gare d'Austerlitz et la rue de Rivoli.
Q : OU L'EMPEREUR A-T-IL DÉBARQUÉ A SON RETOUR DE L'ÎLE D'ELBE ?
R : Sur la Promenade des Anglais !
QUATRIÈME ET (PROVISOIREMENT) DERNIÈRE PARTIE
LA PÉRIODE CONTEMPORAINE
(Depuis qui nous savons… jusqu'à qui vous pensez)
Seizième Leçon :
LOUIS XVIII — CHARLES X — LOUIS-PHILIPPE Ier — LA DEUXIÈME RÉPUBLIQUE — LE SECOND EMPIRE
Y a grande nouba à la maison.
Félicie, dans un moment de faiblesse, a invité les Bérurier à un couscous monstre. M'man, c'est vraiment la magicienne de la cuistance. On l'emmène dans n'importe quel restaurant et elle vous reconstitue les plats nationaux ou régionaux comme si elle les avait toujours mijotés.
Un don, quoi !
A l'heure dite, le Gros annonce son arrivée en jouant « J'ai mes godasses qui pompent l'eau » sur l'avertisseur de sa diligence.
Je vais ouvrir. Sa Majesté ressemble à Farouk du temps où ce dernier mangeait en Égypte. Il est coiffé d'une chéchia et il porte des lunettes de soleil malgré l'heure quasi crépusculaire. Sa baleine itou est coiffée d'une chéchia. Beau couple, mes enfants ! On a envie de les accueillir à coups de pied dans les fez. Berthe a acheté un bouquet de violettes pour M'man et Béru brandit une fiasque de chianti, car ce sont des gens qui savent vivre ; pour ce qui est des convenances, impossible de leur en remontrer !
Sans ambages, le Mahousse déclare qu'il a une faim d'ogre et qu'il adore le couscous. J'espère que M'man a prévu grand. C'est la ration travailleur de force qu'il leur faut, à nos invités.
Quand on les reçoit, la popote on la fabrique dans une lessiveuse, Le côté petits plats cuisinés c'est pas leur genre, aux Béru. Ou alors ça leur tient lieu d'amuse-gueule (avec eux, ce mot composé prend une vérité terrible).
Embrassades, compliments. Berthe a mis une robe de soie imprimée (elle adore ça) qui représente un paysage chinois avec coolies-porteurs, pagodes, flamants roses, rizières, grandre muraille et lotus bleus. Il n'y manque que le portrait de Mao Tsé-Toung !
Quant au Gros, il est en bleu croisé (du moins qui devrait l'être car il a grossi depuis 1939 et son costar, comme nos ouvriers, n'arrive plus à joindre les deux bouts).
Félicie s'excuse. Sa cuisine l'accapare. La semoule, si on ne la remue pas sans arrêt dans le couscoussier, elle fait vite la colle par-dessous tandis que le dessus a la consistance du sable fin. Berthe dit qu'elle va l'aider. Si M'man a seulement un tablier à lui prêter pour préserver sa belle robe asiatique… M'man a. Ce tablier ne saurait envelopper B.B., mais il lui préserve le plus délicat : le devant.
— On pourrait se farcir un coup de chianti en attendant la jaffe, suggère Bérurier.
Je le vois venir avec ses petits pieds chaussés de 45 ! On va remettre la gomme historique. Heureusement que ça se tire, les gars, parce que je commence à avoir la calbombe en forme de bonnet phrygien, les jambes Louis XV, le nez bourbonien, et je contracte le tic célèbre qui consiste à passer la main dans le gilet (paraît que Napoléon faisait ça pour se réchauffer l'estom' où mijotait déjà le chou-fleur qui devait l'emporter).
Effectivement, ça ne traîne pas. A peine sommes-nous au salon que le Mastar pleurniche. Je suis devenu pour lui le feuilletoniste de l'Histoire. « La fuite au prochain numéro ! » aurait dit Louis XVI à son retour de Varennes.
Je débouche sa chère bouteille. J'aime le chianti, c'est un vin qui ressemble à son Italie natale. Il est léger, mousseux, joyeux et si joliment emballé !
— Écoute, mon pote, dis-je au Frère-Jean-des-Entonnoirs-de-la-police, je veux bien te finir, mais différemment. Jusqu'au Napoléon Ier inclus, les monarques qui se sont succédés à la tête de notre pays appartiennent à l'Histoire. Ils sont sculptés dans le marbre ou l'airain. On peut tourner autour de leurs statues : elles ne bougeront plus. De Napoléon Ier à la Troisième République, ils n'ont pas la même consistance : trop proches de nous, ils sont, tu piges ? L'Histoire est encore tiède. La preuve, tu m'as dit quelque part que le grand-père de ton grand-père avait servi sous Louis XVIII. On ne peut pas s'appesantir sur des bonshommes que le père de votre arrière-grand-père a connus.
— Naturellement, se renfrogne le Maussade qui craint de voir tourner court sa distraction favorite.
— Et, à partir de la Troisième République, alors, poursuis-je, peut-on appeler Histoire la suite des événements quand c'est la petite l'Illustration qui sert d'historiographe ? Je ne pense pas. Nous quittons Michelet pour Carmen Tessier et le Larousse historique pour l'album de famille. A partir du moment où l'on photographie les personnages célèbres, ils ne peuvent plus avoir vraiment de Légende, car ils ressemblent trop à votre cousin germain, à votre coiffeur ou à la dame qui vous fait le coup du fourreau fourré. Si Nicéphore Niepce avait vécu seulement trente ans plus tôt, je te parie n'importe quoi contre autre chose que Napoléon Ier serait moins grand ; seulement quand on a David, Vernet et Prud'hon comme photopraphes officiels. On peut affronter les manuels. On est paré. Ces messieurs vous apportent leur talent et leur poésie personnels. Ceux qui ont été mitraillés par la boîte carrée ne pouvaient plus espérer grand-chose. La plaque sensible, c'est fait pour Bardot, pas pour Edouard Herriot. A la rigueur, la photo-couleurs, si tu as un bel uniforme tu peux t'en tirer ; mais mate un peu les présidents des républiques, en noir et blanc, t'as l'impression de contempler des pingouins ! Marianne a l'air de jouer à Zig et Puce ! Attends, bouge pas, je vais chercher un bel album afin de te faire la dernière partie avec planches en couleurs.