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Il s'anime, mon Gros Béru, s'essouffle, boit pour éteindre le feu ardent de l'exaltation. Et il reprend :

— Ça serait facile à apprendre aux mômes, l'histoire, dans ces conditions. T'aurais les suiveurs : le duc de Guise avec ses boyaux dans les mains, et le pape Pie VII fourbissant la couronne impériale pendant la course ! Sans compter la caravane publicitaire avec les Croisés, les Sournois et tout le titoum ! L'imagination, ça la leur marquerait et les gosses se feraient plus tartir sur des bouquins constipés.

— Faudra soumettre le projet à qui de droit, conseillé-je.

Il s'évente le muffle.

— Mais je suis là que je cause, que je cause, dis voir un peu Charles X !

— Avant tout, un petit fait divers pour nous mettre en verve. Il avait deux garçons : le duc d'Angoulême et le duc de Berry. Le premier avait épousé Marie-Thérèse de France, la fille de Louis XVI, c'est-à-dire sa cousine germaine et il ne pouvait pas avoir d'enfant.

Barrissement du Dodu. Il ne se tient plus de joie.

— Et en v'là encore un qu'avait un bouquet de muguet dans l'écrin à bijoux ! Ah ! C'te famille royale mon pote, tu parles d'un défilé de mollusques ! La baïonnette en pâte-à-chou, ils avaient !

Je continue en haussant le ton pour le faire taire :

— Le deuxième, le duc de Berry était donc le dernier Bourbon susceptible de perpétuer la race puisque Louis XVIII n'avait pas d'enfant, tu suis le guide ?

— Vas-y, vas-y, j'ai les trompes épanouies.

— En 1820, un ouvrier sellier nommé Louvel a assassiné le duc de Berry devant l'Opéra. Il voulait éteindre la race des Bourbons. Mais son projet échoua.

— Biscotte ? Le duc n'est pas mort ?

— Si, Gros, il a expiré au foyer de l'Opéra, en présence de la famille royale au grand complet, ce qui est mourir en beauté, convenons-en. Seulement, à quelque temps de là, la duchesse de Berry accoucha d'un fils posthume : le duc de Bordeaux, qu'on surnomma l'enfant du miracle…

— Et qui, étant duc de Bordeaux, ressemblait à son père comme deux gouttes d'eau ! chantonne l'Incorrigible. En effet, c'était pas de chance pour le pauvre assassin.

— Le règne de Charles X n'a duré que six ans. C'était un monarchiste de la vieille école. Il appliquait les méthodes d'avant 89, et ne se rappelait déjà plus qu'il y avait eu la Révolution ! Il a promulgué des lois à la mords-moi-le-blazon, comme par exemple la loi sur le sacrilège (celui qui profanait l'hostie était passible de la peine de mort) et la loi sur la presse (défense de dire du mal de son gouvernement).

— Quand on songe que ça s'est passé au siècle dernier ! s'insurge Béru, ça vous fout le vertige.

— Les Français, l'ont eu, le vertige. D'où la révolution de 1830. Pendant trois jours on s'est châtaigné ferme dans Paris. Ces trois journées furent baptisées les Trois Glorieuses. Une fois encore, Charles X cramponna sa mallette-exil et retourna en Angleterre. Quand tu penses que quelques siècles plus tôt les rois d'Angleterre se déclaraient rois de France ! Ah ! ils ne songeaient plus à revendiquer la couronne. Car c'était devenu une couronne de pâtissier, en papier doré, que le moindre courant d'air vous faisait dégringoler de la tranche. Voici donc Charles X reparti dans la citadelle british. II y décéda six ans plus tard. Mais il avait, au cours de son bref règne, patronné la réalisation de deux choses très importantes et totalement différentes : le style Charles X dans l'ameublement (bois clairs, formes romantiques) et la guerre d'Algérie.

— Sans blague ! s'exclame Béru.

— Mais oui, ma Grosse. Certaines personnes se figurent que la guerre d'Algérie a commencé en 1954, quelle étroitesse de vues ! En fait elle a démarré très exactement le 25 mai 1830. D'accord, il y a eu une certaine trêve dans l'intervalle, mais il serait stupide de ne pas comprendre que c'est bien la même guerre qui se poursuivait ! Elle débuta bizarrement, mollement, devrais-je dire, par une louche affaire commerciale traitée entre des commerçants de Livourne et le dey d'Alger. Celui-ci qui avait été fabriqué s'en prit à notre consul qu'il ne pouvait pas souffrir et, au plus fort de la discussion, lui balança un coup de chasse-mouches sur le museau. La France s'estimant outragée, le premier ministre de Charles X envoya une frégate…

— La Régie Renault existait déjà ? s'étonne l'Ignare.

— Une frégate-barlu, pas une frégate-bagnole, hé Truffe ! Le bâtiment qui battait pavillon parlementaire vint jeter l'ancre dans le port d'Alger, ayant à son bord un négociateur. Mais les batteries du port envoyèrent la fumée, ce qu'apprenant, le gouvernement français décida une intervention armée. Il l'a décidée d'autant plus volontiers que nous n'avions presque plus de colonies à l'époque. La perspective de reconstituer un empire n'était pas déplaisante. Une flotte comprenant 450 barlus et près de quarante mille soldats fut donc expédiée. Aussitôt les Arbis organisèrent leur défense, ayant à leur tête l'émir Abdel-Kader. La guerre dura des années, puisque l'Émir ne se rendit qu'en 1847. Bugeaud termina cette très provisoire conquête de l'Algérie. C'était un homme bien, ce Bugeaud ; j'aimerais pour lui rendre l'hommage auquel il a droit, Béru, te lire un extrait de la circulaire qu'il adressa à ses officiers chargés des Affaires arabes.

— Tu crois que c'est nécessaire ? bâille d'avance le Gros.

— Rien n'est nécessaire en ce monde, hormis l'amour que les hommes doivent se porter, fœtus prolongé. Mais je te prie d'écouter ça…

Je cramponne le bouquin et je lis :

« Après la conquête, le premier devoir comme le premier intérêt du conquérant est de bien gouverner le peuple vaincu ; la politique et l'humanité le commandent également. Nous devons donc porter la plus grande sollicitude, la plus constante activité et une patience inébranlable dans l'administration des Arabes. Nous nous sommes toujours présentés à eux plus justes et plus capables de gouverner que leurs anciens maîtres, nous leur avons promis de les traiter comme s'ils étaient les enfants de la France, nous leur avons donné l'assurance formelle que nous leur conserverions leurs lois, leurs propriétés, leur religion, leurs coutumes. Nous leur devons et nous nous devons à nous-mêmes de tenir en tout point notre parole !

« Signé Bugeaud[56]. »

J'abaisse le bouquin.

— Qu'en penses-tu, Béru ?

Il hoche la tête.

— M'est avis qu'il n'a pas bien su se faire obéir, ton général !

— Il a reçu dans les jambes 110 000 immigrants français, espagnols, italiens et maltais. Ceux-là arrivaient pour gagner leur bœuf, l'État ne les payait pas pour jouer les Père de Foucauld, alors ils se sont mis illico à faire suer le burnous.

Sa Majesté se lève, fait quelques pas dans le salon, s'approche de la croisée derrière laquelle un jour livide agonise.

— Et de tout ça, que nous reste-t-il ? demande mon Éminent Penseur. Rien ! Rien !

— Mais si, fais-je, il nous reste la recette du couscous que nous allons manger tout à l'heure.

Le Gros s'éclaire. Manger ! C'est le déclic merveilleux qui le met en liesse à la fraction de seconde.

— En attendant la briffe, poursuis-je, viens mater la physionomie du dernier, de l'ultime roi de France : Louis-Philippe Ier qu'on aurait plutôt dû appeler Louis-Philippe Dernier.

Bérurier examine l'intéressé.

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56

Écrits et discours de Bugeaud choisis par le général Azan.