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— Oh ! c'est un vieux kroumir, fait-elle.

— Historien et homme politique éminent, je récite. Il s'employa à faire évacuer le territoire occupé. Il fut blackboulé au bout de deux ans de mandat et remplacé par le beau Mac-Mahon tout neuf et tout doré que voilà. Ce dernier, une fois président de la République, a cessé de porter l'uniforme.

— Fringant, le mec, reconnaît le Couscousphage. T'as vu cette tripotée de médailles ? Avec ça sur le placard, il n'avait pas besoin de flanelle.

— Si l'on classait les hommes politiques en se référant aux paroles historiques qu'ils ont prononcées, Mac-Mahon ne pourrait soutenir la comparaison avec son prédécesseur. Thiers a déclaré qu'il ne fallait jamais livrer la patrie à un homme.

— Je sais, fait le Sentencieux.

— Mac-Mahon, lui, visitant une région inondée a déclaré : « Que d'eau, que d'eau ! » et une autre fois visitant une école, il a dit à un élève : « C'est vous le nègre ? Eh bien, continuez ! »

— Pour un général, il avait la parole facile, apprécie Berthe. Et après Monsieur Mahon, cher commissaire ? roucoule dame boa.

— Jules Gréviste ! lit un peu hâtivement Béru.

— Grévy, je pense, rectifie la gentille Félicie.

Le Gros y regarde à deux fois et dit qu'en effet.

— Quoi t'a à signaler à propos de lui ? insiste-t-il.

— Rien, fais-je farouchement. Sa biographie tient tout entière sur sa pierre tombale : « Jules Grévy 1807–1891. Président de la République de 1879 à 1887 ».

Ensuite nous passons à Sadi Carnot.

— Pourquoi cet Arnot, a-t-il mérité le surnom de Sadique ? demande l'Ingénu.

— Quel prude tu fais ! clame son épouse, il devait donner rendez-vous aux petites filles des écoles qui lui remettaient des bouquets et les emmener à l'Élysée par la porte de derrière !

Du coup, cette perspective fait glisser son couscous. Elle reprend souffle, couleur et sourire.

— Vous êtes victime d'un léger malentendu phonétique, mes amis, leur apprends-je. Voyez : ils se prénommait Sadi et se nommait Carnot.

— En voilà un drôle de blaze, c'est arabe, ça ?

— Je l'ignore, doux Béru, mais je peux t'assurer qu'un certain Caserio n'aimait pas ça du tout puisqu'il assassina Carnot à Lyon. Depuis lors, les Lyonnais ont élevé une statue à Carnot, ce qui était la moindre des politesses. Cette statue se trouve sur la place de la République, tandis que la statue de la République se trouve place Carnot. Je vous passe les grands événements nationaux qui déroulèrent pendant les mandats de ces messieurs : le Boulangisme, la laïcité, la colonisation, le début du marxisme, l'affaire Dreyfus qui divisa la France en deux, et la construction de la Tour Eiffel qui la ressouda. Vouloir traiter de l'histoire à partir du moment où elle s'est écrite dans les quotidiens serait une œuvre gigantesque. On ne peut la voir en profondeur qu'en la fractionnant menu. Là n'est pas notre dessein. Donc, Carnot est assassiné. On le remplace par Casimir Périer.

— Montrez ! supplie la Grosse.

Je lui passe l'image.

— Bel homme, il avait l'air puissant. Un peu premier communiant pourtant avec ses gants blancs à la main…

— En tout cas, un modeste, détecte Bérurier : visez, il a mis son grand cordon de la Légion d'honneur par en dessous son gilet. Périer, le président qui fait « pschitt », se marre le sac à couscous !

— Il n'a pas présidé un an, dis-je. Il a démissionné.

— Sûrement que la vie à l'Élysée lui semblait trop morose, décrète la baleine.

— A son successeur, en tout cas, elle n'a pas paru morose, la vie à l'Élysée. Voici M. Félix Faure…

On l'examine sans enthousiasme. Il est de ces hommes qui ne déchaînent ni l'hostilité ni l'allégresse.

— Il est mort en faisant l'amour, leur apprends-je.

— Tiens donc ! s'extasie B.B., refaites-moi le voir encore une fois…

Elle étudie plus profondément le personnage.

— C'est vrai qu'il avait un beau nez, admet-elle. Et puis, président, ça flatte.

Ce sont des réflexions de ce genre qui font monter la température d'Alexandre-Benoît.

— Alors c'est les Honneurs que tu regardes en t'affalant sur un plumard ! dit-il, pincé.

J'enraie vivement la discussion en présentant le suivant de ces messieurs : le doux, furtif et redingote président Loubet.

— Quéque chose de particulier ? demande le Gros.

— Il a fait son septennat au petit trot.

— C'est tout ce qu'on lui demandait.

— Sous son septennat, il faut noter la séparation de l'Église et de l'État.

— Bast, y se sont rabibochés depuis, va ! En ce moment, ça ne marche pas si tellement mal entre eux, je te le dis, San-A. On a beau êtes potes avec les Chinetoques c'est tout de même aux gars du Vatican qu'on refile artiche à la quête.

Il éclate de rire en regardant les photos présidentielles.

— Tous ces gus en bitos haut-de-forme, ça fait film de Chariot. Et la France continuait son petit bonhomme de chemin, sous eux, hein ?

— Très bien même. Puisque l'on a appelé cette époque « La Belle Époque ».

— Ce sont nos Vieux qui l'ont baptisée commak. La Belle Époque, c'est quand on a vingt ans, affirme le Penseur.

Félicie, rosissante, déclare que ça n'est pas tout à fait vrai, et que la Belle époque, c'était vraiment une époque pas comme les autres. Elle a raison, M'man. Vingt ans, c'est plus beau en calèche, avenue du Bois, le long des becs de gaz à boules avec une dame fringuée comme pour le french cancan à vos côtés. Vingt ans en complet prune et melon beurre frais, sans téléphone rouge et sans force de frappe, c'était vraiment vingt ans !

— Après Loubet ? s'impatiente Berthe qui a hâte d'arriver au fromage.

— Armand Fallières.

— L'inventeur de la phosphatine, se renseigne le Gros ?

— Non, tranché-je. Regardez-le, il ressemble à Tartarin de Tarascon. Edouard VII disait de lui qu'il était très intelligent. Mais comme c'est Edouard VII qui prétendait ça, il n'y a pas lieu de s'en formaliser. En tout cas, Fallières se tira du maverdavier à temps, puisqu'il quitta son poste en 1913. Il allait passer l'Élysée à Raymond Poincaré. La belle époque s'achevait dans le sang. Sous le septennat de Poincaré, dix millions d'hommes allaient périr et sur ce nombre effrayant, un million cinq cent mille Français.

Je louche sur M'man. Elle a eu des tas d'oncles et un frère butés à la guerre, Félicie. Les années ont beau s'écouler, le souvenir reste et quand on reparle de la Grande Guerre, ses narines se pincent et il y a plus de bleu dans son regard.

— A propos, fait le Mahousse, comment c'est-y qu'elle a éclaté, la guerre de 14 ?

« Si je te disais que j'en sais seulement rien, s'excuse-t-il. Papa me l'avait espliqué, mais, linotte comme tu me connais, j'ai oublié. »

— Facile. Suis bien le mouvement des troupes. En juillet 14, l'Autriche envahit la Serbie. Aussitôt, v'là les Russes, qui mobilisent pour la défendre. Ce que voyant, l'Allemagne, alliée de l'Autriche, déclara la guerre aux Russes. Mais les Russes sont nos alliés. N'oublions pas les paroles que Joseph Reinach prononçait en 1893 : « De France à Russie, il n'y a pas autre chose que cette grande chose qui s'appelle l'amour. » L'Allemagne déclare donc également la guerre à la France, ce qui incite l'Angleterre à la déclarer à l'Allemagne. Ensuite, les Italiens, les Roumains et les Américains se rangent à nos côtés, vu ?

— Il va l'oublier ! prophétise cette moucharde de B.B. ; c'est bien trop embrouillé pour lui.

A quoi Béru lui demande si le bas de son dos est trop embrouillé pour elle.