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— Et donc vos aetes venus tous les quate ? demanda mademoiselle Trahison.

— Oh, on a amineu quaeques-uns des gars, dit Rob. On volwat pwint les amineu tous d’un cop, vos vwayeuz. Ils sont dans les bwas.

— Il y en a combien, alors ?

— Oh, dans les chinq chents, à un spog praes. »

Les yeux divers de mademoiselle Trahison se fixèrent sur Rob Deschamps. Il soutint leurs regards avec un air de sincérité féroce et ne sourcilla pas.

« Ça me paraît une entreprise honorable, dit la sorcière. Pourquoi commencer par mentir ?

— Oh, la mintirie proumaetwat d’aete bocop pus intaeressante, répondit Rob Deschamps.

— Moi, je trouve déjà la vérité intéressante.

— Pit-aete, mais je contwas glicheu daedans des jaeyants, des pirates et des belaetes majiques, déclara Rob. On en avwat pour son arjaet !

— Ah bon, fit mademoiselle Trahison. Quand miss Tique m’a amené Tiphaine, elle a dit que d’étranges pouvoirs veillaient sur elle.

— Win, confirma fièrement Rob. C’eut nos, fatalmaet.

— Mais miss Tique a des côtés autoritaires. Je suis navrée d’avouer que je n’ai pas beaucoup écouté son discours. Elle me serine sans arrêt que ses filles sont très avides d’apprendre, mais ce ne sont le plus souvent que des têtes de linotte qui veulent devenir sorcières pour impressionner les jeunes gens, et elles se sauvent en courant au bout de quelques jours. Celle-ci, pas du tout, oh non ! Elle, elle court au-devant des ennuis ! Saviez-vous qu’elle a voulu danser avec l’hiverrier ?

— Win. On sait. On y aetwat, dit Rob Deschamps.

— Ah bon ?

— Win. On vos a swivies.

— Personne ne vous a vus là-bas. Je l’aurais su si on vous avait vus, dit mademoiselle Trahison.

— Win ? Bin, on est des aesperts, paersone nos vwat jamaes, répliqua Rob Deschamps en souriant. C’eut incrwayabe, tout ce monde qui nos vwat pwint.

— Elle a vraiment voulu danser avec l’hiverrier, répéta mademoiselle Trahison. Je le lui avais défendu.

— Ah, les gens nos defaenent toujous des choses. C’eut comme cha qu’on counwat les pus intaeressantes à faere ! »

Mademoiselle Trahison le fixa par les yeux d’une souris, deux corbeaux, plusieurs papillons de nuit et un perce-oreille.

« Très juste, dit-elle avant de soupirer. Oui. L’ennui avec mon grand âge, vous savez, c’est que la jeunesse est maintenant très loin de moi, du coup j’ai parfois l’impression qu’elle est arrivée à quelqu’un d’autre. Une longue vie n’est pas aussi formidable qu’on le raconte, c’est un fait. C’est…

— L’iverieu cheurche la ch’tite michante sorcieure jaeyante, maetesse, dit Rob Deschamps. On l’a vue danseu aveu l’iverieu. Maetnant, il la cheurche. On l’aetene dans les hurlements du vent.

— Je sais. » Mademoiselle Trahison se tut pour tendre l’oreille un instant. « Le vent est tombé, constata-t-elle. Il l’a retrouvée. »

Elle ramassa ses cannes d’un geste vif et détala vers l’escalier, qu’elle gravit à une allure étonnante. Les Feegle la dépassèrent et s’engouffrèrent en masse dans la chambre où Tiphaine était étendue sur un lit étroit.

Une bougie brûlait dans une soucoupe à chaque angle de la chambre.

« Mais comment l’a-t-il retrouvée ? gronda mademoiselle Trahison. Je l’avais cachée ! Vous, les bonshommes bleus, allez me chercher du bois tout de suite ! » Elle leur lança un regard mauvais. « J’ai dit : allez me chercher…»

Elle entendit deux chocs sourds. De la poussière retombait. Les Feegle observaient mademoiselle Trahison, l’air d’attendre. Et du petit bois, beaucoup de petit bois, emplissait l’âtre miniature de la chambre.

« Très bien, dit-elle. Ce n’est pas trop tôt ! »

Des flocons de neige descendaient en voletant par le conduit de la cheminée.

Mademoiselle Trahison croisa ses cannes devant elle et tapa violemment du pied.

« Brûle le bois et s’embrase le feu ! » cria-t-elle. Le bois dans le foyer s’enflamma d’un coup. Mais le givre formait désormais à la fenêtre des vrilles blanches, comme de la fougère, qui envahissaient les carreaux avec des claquements secs.

« Je ne vais pas tolérer ça à mon âge ! » lança la sorcière.

Tiphaine ouvrit les yeux et demanda : « Qu’est-ce qui se passe ? »

CHAPITRE 3

LE SECRET DU PIPO

Ce n’est pas agréable de se retrouver en sandwich entre des danseurs ahuris. C’étaient des costauds.

Tiphaine se sentait Patraque de partout. Elle était couverte d’ecchymoses, dont une en forme de semelle de chaussure qu’elle n’allait montrer à personne.

Les Feegle occupaient toutes les surfaces planes dans l’atelier de tissage de mademoiselle Trahison. La sorcière travaillait à son métier en tournant le dos au reste du local parce que ça l’aidait, selon elle, à réfléchir, mais, comme elle était mademoiselle Trahison, ça n’avait pas grande importance. Les yeux et les oreilles dont elle pouvait se servir ne manquaient pas, après tout. Le feu chauffait dur, et des bougies brûlaient partout. Noires, évidemment.

Tiphaine était en colère. Mademoiselle Trahison n’avait pas crié, pas même haussé le ton. Seulement soupiré et dit : « Petite idiote. » Ce qui était bien pire, surtout parce que c’était exactement ce que Tiphaine pensait d’elle-même. Un des danseurs avait aidé à la ramener à la chaumière. Elle n’en gardait aucun souvenir.

Une sorcière ne se lâchait pas la bride parce que ça lui paraissait une bonne idée sur le moment ! C’était du même tonneau que le radotage et le ricanage, ça ! Il fallait se débrouiller tous les jours avec des idiots, fainéants, menteurs et carrément désagréables, et on risquait assurément de finir par croire que le monde en serait considérablement meilleur si on leur flanquait une bonne gifle. Mais on se retenait car, comme l’avait un jour expliqué miss Tique : a) le monde n’en serait meilleur que pour un temps très bref ; b) le monde en serait du coup légèrement pire ; et c) on n’est pas censée se montrer aussi idiote qu’eux.

Ses pieds s’étaient mis à bouger et elle les avait écoutés. Elle aurait dû écouter sa tête. Elle devait maintenant rester assise près du feu de mademoiselle Trahison, une bouillotte en fer-blanc sur les genoux et un châle autour des épaules.

« L’hiverrier, c’est une espèce de dieu, alors ?

— Y a de cha, win, confirma Guillou Gromenton. Mais pwint de la sorte qu’on priye. Il faet… des ivers, c’eut tout. C’eut son travay, vos saveuz.

— C’est un esprit élémental, dit mademoiselle Trahison depuis son métier.

— Win, fit Rob Deschamps. Djeus, aelementaux, dinmons, aesprits… des fwas c’eut pwint facile de les dinstingueu sans une carte.

— Et la danse, c’est pour accueillir l’hiver ? demanda Tiphaine. Ça ne tient pas debout ! La danse Morris, c’est pour célébrer l’arrivée de l’été, oui, c’est…

— Es-tu donc si puérile ? la coupa mademoiselle Trahison. L’année est un cycle ! La roue du monde doit tourner ! Voilà pourquoi, ici, dans la montagne, ils dansent la Morris noire, pour équilibrer. Ils accueillent l’hiver à cause du nouvel été qu’il renferme au fond de lui ! »

Clic-clac faisait le métier. Mademoiselle Trahison tissait un nouveau métrage en laine marron.

« Bon, d’accord, dit Tiphaine. On a accueilli ce machin… cet esprit. Ça ne veut pas dire qu’il doive venir me chercher !