Выбрать главу

Juste avant qu’elle ne plonge dans l’eau, un bras rose s’éleva et l’attrapa. La main agita l’épée deux fois puis disparut avec elle sous la surface.

« C’était prévu, ça ? demanda Roland.

— Qu’un aeros jaete son epae ? hurla Rob. Non ! Vos aetes pwint suposeu balancheu une bonne epae dans l’yo !

— Non, je parle de la main. Elle…

— Ah, on les vwat quaetfwas. » Rob Deschamps fit un geste du bras comme si des jongleurs d’épées sous-marins au milieu d’un fleuve étaient monnaie courante. « Mais vos aveuz pwint d’epae maetnant !

— Vous avez dit que les épées ne peuvent pas faire de mal aux spaekes !

— Win, mais c’eut une quaestchon d’imaje, d’accord ? répliqua Rob en se remettant en route sans traîner.

— Mais, sans épée, je n’en suis que plus héroïque, pas vrai ? demanda Roland tandis que les autres Feegle trottinaient à leur suite.

— Taekniquemaet, win, reconnut Rob Deschamps à contrecœur, mais pit-aete aussi pus mort itou.

— Et puis j’ai un plan.

— Vos aveuz un plan ?

— Oui. Win, je veux dire.

— Aecrit su un papieu ?

— Je viens juste d’y penser…» Roland se tut soudain. Les ombres sans cesse en mouvement s’étaient écartées, et une grande caverne s’ouvrait devant eux.

En son centre, autour de ce qui ressemblait à un bloc de pierre, brillait une faible lueur jaune. Une petite silhouette était étendue sur le bloc.

« On y est, dit Rob Deschamps. C’aetwat pwint si taeribe, hin ? »

Roland battit des paupières. Des centaines de spaekes s’étaient rassemblés autour du bloc, mais à distance, comme s’ils hésitaient à s’en approcher davantage.

« Je vois… quelqu’un allongé, dit-il.

— C’eut la Dame de l’Aeteu elle-minme, le renseigna Rob. Faut qu’on swat fuchos.

— Fuchos ?

— Qu’on… fasse atinsion, kwa, expliqua obligeamment Rob. Les daesses, c’eut souvaet compliqueu. Se soucient bocop de leur imaje de marque.

— On ne pourrait pas… vous savez, s’emparer d’elle et se sauver ? demanda Roland.

— Oh, win, on va fini par faere quaet chose comme cha, répondit Rob. Mais c’eut vos, mossieu, qui deveuz d’abord lui douneu un baeseu. Cha vos va ? »

Roland paraissait un peu tendu. « Oui… euh… très bien, dit-il.

— Les dames ataenent cha, vos saveuz, poursuivit Rob.

— Et ensuite on se sauve ? demanda Roland d’un ton plein d’espoir.

— Win, pasquae c’eut sans doutance le moumaet que chwasiront les spaekes pour nos empaecheu de parti. Les jaes qui s’en vont, ils aement pwint cha. En avant, mon garchon. »

J’ai un plan, se disait Roland en se dirigeant vers le bloc de pierre. Et je vais me concentrer dessus pour éviter de penser que je traverse une foule de monstres comme des gribouillis seulement présents si je cligne des yeux et que des larmes me viennent. Ce qu’on a en tête, c’est pour eux la réalité, non ?

Je vais cligner des yeux, je vais cligner des yeux, je vais…

… cligner des yeux. Ce fut l’affaire d’un instant, mais le frisson dura beaucoup plus longtemps. Ils étaient partout, et chaque gueule hérissée de dents le regardait. Il devrait être interdit de regarder avec les dents.

Il se précipita, les yeux ruisselants sous les efforts qu’il déployait pour les garder ouverts, et regarda la silhouette étendue dans la lueur jaune. Une silhouette féminine qui respirait, endormie, et qui ressemblait à Tiphaine Patraque.

Du haut du palais de glace, Tiphaine voyait à des kilomètres à la ronde, et c’étaient des kilomètres de neige. Seul le Causse arborait du vert. C’était une île.

« Vous voyez comment j’apprends ? dit l’hiverrier. Le Causse est à vous. Là-bas, l’été va donc arriver, et vous serez heureuse. Vous serez alors mon épouse, et je serai heureux. Et le bonheur sera partout. Le bonheur, c’est quand tout est en règle. Maintenant que je suis humain, je comprends ces choses-là. »

Ne crie pas, ne hurle pas, conseilla le troisième degré. Ne reste pas de glace non plus.

« Oh… je vois, dit-elle. Et pour le reste du monde ce sera toujours l’hiver ?

— Non, il existe des latitudes qui ne ressentent pas les effets de mon gel, répondit l’hiverrier. Mais les montagnes, les plaines jusqu’à la mer Circulaire… oh oui.

— Des millions de gens mourront !

— Mais une seule fois, vous voyez. C’est ce qui est merveilleux. Et après ça, plus de mort ! »

Et Tiphaine vit le tableau, comme une carte du Porcher : des oiseaux gelés sur leurs branches, des chevaux et des vaches immobiles dans les champs, les brins d’herbe comme des dagues, pas de fumée sortant des cheminées ; un monde sans mort parce qu’il ne restait plus rien pour mourir, un monde où tout scintillait comme du lamé.

Elle hocha prudemment la tête. « Très… pratique, dit-elle. Mais ce serait dommage que plus rien ne bouge.

— La solution est simple. Des bonshommes de neige, répliqua l’hiverrier. Je peux les rendre humains !

— Assez de fer pour faire un clou ?

— Oui ! C’est facile. J’ai mangé de la saucisse ! Et je pense ! Je n’avais encore jamais pensé. Je tenais un rôle, j’avais à jouer ma part. Maintenant je suis à part. C’est seulement en étant à part qu’on sait qui on est.

— Vous m’avez fait des roses de glace, dit Tiphaine.

— Oui ! Je devenais déjà ce que je suis ! »

Mais à l’aube les roses ont fondu, ajouta intérieurement Tiphaine avant de jeter un coup d’œil au soleil jaune pâle. L’astre avait juste assez de force pour faire miroiter l’hiverrier. Il pense réellement comme un humain, se dit-elle en observant le sourire étrange. Il pense comme un humain qui n’en a jamais croisé d’autres. Il radote. Il est tellement fou qu’il ne se rendra jamais compte de son degré de folie.

Il a juste une petite idée du sens du mot « humain », il ne voit pas les horreurs de son projet, il ne… comprend pas. Et il est si heureux qu’il en devient presque charmant…

Rob Deschamps cogna du poing sur le heaume de Roland.

« Au travay, mon garchon », ordonna-t-il.

Roland fixait la silhouette luisante. « Ça ne peut pas être Tiphaine !

— Ah, c’eut une daesse, elle peut raessembleu à ce qu’elle veut, dit Rob Deschamps. Rieu qu’une ch’tite bise su la joue, d’accord ? Vos praeneuz pwint au jeu, on a pwint toute la jounae. Une ch’tite bise et on maet les vwales. »

Quelque chose donna un coup de tête dans la cheville de Roland. Un fromage bleu.

« Vos turlupineuz pwint pour Horace, il veut jusse bieu faere », dit le Feegle fou que Roland connaissait maintenant sous le nom de Guiton Simpleut.

Il s’approcha de la silhouette étendue dans la lueur qui crépitait autour de lui, parce que personne ne veut passer pour un lâche aux yeux d’un fromage.

« C’est un peu… gênant, dit-il.

— Miyards, vos vos daepecheuz, win ? »

Roland se pencha et déposa un baiser sur la joue en sommeil.

L’endormie ouvrit les yeux, et il fit aussitôt un pas en arrière.

« Ce n’est pas Tiphaine Patraque ! » Il cligna des yeux. Les spaekes étaient aussi nombreux autour de lui que des brins d’herbe.

« Maetnant vos la praeneuz par la min et vos daecampeuz, conseilla Rob Deschamps. Les spaekes vont daevni monvaes quand ils vont vwar qu’on se sove. » Il cogna joyeusement du poing sur le côté du heaume et ajouta : « Mais pwint de souci, hin ? Pasquae vos aveuz un plan !

— J’espère seulement que je ne me trompe pas, objecta Roland. Mes tantes disent toujours que je suis un peu trop malin.