La belle Marie se taisait. Sans doute réfléchissait-elle à la proposition que venait de lui faire son interlocuteur car la charmante amie d’Anne d’Autriche avait conservé un excellent souvenir du bref et tendre moment qu’elle avait passé en compagnie de l’ardent Méridional.
Il ne lui en avait pas fallu davantage pour se rendre compte que si Castel-Rajac était un gentilhomme vaillant et sûr entre tous, il était aussi un de ces amants qu’il n’est point donné à une amoureuse de rencontrer souvent sur sa route.
Mazarin l’observait du coin de l’œil. On eût dit qu’il devinait toutes ses pensées; car, à mesure que Mme de Chevreuse se plongeait dans ses réflexions, un sourire de satisfaction entrouvrait ses lèvres.
Redressant son joli front qu’encadraient ses cheveux blonds d’une auréole de boucles naturelles, Marie lança, sur un ton de parfaite bonne humeur:
– Décidément, monsieur de Mazarin, vous avez encore et toujours raison. Faites savoir au chevalier de Castel-Rajac que je l’attends.
L’Italien riposta aussitôt:
– Madame, il sera ici dans une demi-heure.
Et, s’inclinant avec grâce devant la charmante femme, il se retira aussitôt.
Demeurée seule, Mme de Chevreuse quitta le salon, remonta l’escalier et s’en fut doucement frapper à la porte de la chambre où se cachait Anne d’Autriche. L’huis s’entrebâilla doucement, laissant apercevoir seulement la tête de la sage-femme, qui ne quittait plus le chevet de la reine, dans l’attente d’un événement qui ne pouvait plus tarder. C’était une paysanne au visage énergique et intelligent, qui semblait avoir une claire conscience de sa valeur.
– Comment va mon amie? interrogea à voix basse Marie de Rohan.
– Elle repose, répondit la sage-femme, en adoucissant son timbre qui n’était point sans rappeler celui d’un chantre de paroisse.
Et elle ajouta, avec l’air assuré de quelqu’un qui ne se trompe jamais:
– Ce sera pour cette nuit!
Sans rien ajouter, elle referma la porte au nez de la duchesse et cela semblait nettement signifier qu’elle entendait qu’on la laissât en paix.
Mme de Chevreuse n’hésita pas. Ce n’était ni le moment ni l’occasion de mécontenter cette femme persuadée qu’elle avait été appelée auprès d’une dame du monde désireuse de cacher à son mari une maternité dont il était impossible de rendre celui-ci responsable.
La situation demandait, en effet, une extrême prudence. Soulever le moindre incident, n’était-ce pas risquer de provoquer le plus effroyable scandale qu’ait jamais eu à enregistrer la Cour de France?
La duchesse était trop fine mouche pour ne pas éviter, par tous les moyens, un esclandre qui eût à jamais déshonoré sa reine, sa meilleure amie, et lui eût peut-être coûté, à elle, la prison perpétuelle. Elle se contenta de songer:
«Si cette femme pouvait dire vrai! Car plus vite l’enfant viendra au monde, plus tôt notre sécurité à tous sera assurée.»
Et, tout en descendant l’escalier, elle se prit à murmurer:
– Ce diable de Mazarin aurait mieux fait de rester en Italie!
Elle regagna le salon qui était maigrement éclairé par des bougies plantées dans des appliques en bronze doré fixées de chaque côté d’une vaste glace surmontant une haute cheminée. Poussée par un mouvement de coquetterie bien féminine, elle s’approcha du miroir et s’y regarda avec plus de sévérité que de complaisance. Cet examen fit envoler aussitôt les doutes qu’elle pouvait avoir sur son pouvoir de séduction.
Jamais, en effet, elle n’avait été plus séduisante.
– Allons, se dit-elle, mon jeune chevalier ne me trouvera pas changée à mon désavantage et, ainsi que le prétend Mazarin, je crois que je vais pouvoir en faire, non pas mon chevalier, mais mon esclave, car, moi, ayant tout à lui accorder, il n’aura rien à me refuser.
Une demi-heure après, ainsi que l’avait annoncé l’Italien, on frappait de nouveau à la porte du salon et Mazarin se présentait avec Castel-Rajac, qui, pendant le temps qu’il était resté à l’hostellerie de Dampierre, en avait profité pour faire un brin de toilette, s’épousseter, et réparer le désordre de ses vêtements et de son abondante chevelure noire.
Maintenant, toute hardiesse l’avait abandonné. Il n’était plus qu’un amoureux effaré de la bonne fortune inattendue qui lui tombait du ciel et, oubliant même de saluer la dame de ses pensées, il demeura immobile, pour une fois muet de saisissement.
Ses yeux clairs et ardents exprimaient de si tendres sentiments que, plus émue qu’elle ne voulût le paraître et désireuse de le mettre tout de suite à son aise, Mme de Chevreuse s’avança vers lui, et dit simplement:
– Est-il vrai, chevalier, que vous eussiez fait le voyage d’Agen jusqu’ici uniquement pour me revoir?
– Oui, madame, répondit timidement le jeune Gascon, en cherchant des yeux le pseudo-comte Capeloni, qui, telle une ombre discrète, s’était déjà évanoui.
Affectant un ton de reproche, la duchesse poursuivit:
– Savez-vous, monsieur le chevalier, que vous avez agi envers moi avec une étourderie qui frise l’impertinence.
– Oh, madame!
– Et que je serais en droit de vous en vouloir vivement. Mais rassurez-vous, je vous pardonne. Car je ne vous cacherai point que, non seulement je ne vous avais pas complètement oublié, mais que j’ai éprouvé, en vous retrouvant, un plaisir non moins égal au regret que j’avais ressenti d’être obligée de vous quitter si promptement.
– Ah! madame, s’écria Gaëtan, auquel ces quelques mots avaient suffi pour rendre tout son aplomb, vous ne pouvez vous imaginer à quel point je suis heureux de vous entendre me parler ainsi. Il me semble que je vis un rêve.
» Ah! vous voir, vous entendre! Certes, depuis l’an passé votre voix aux inflexions harmonieuses n’avait cessé de chanter à mes oreilles; mais ce n’était qu’un souvenir, qu’une illusion, tandis que vous êtes là, près de moi; il me suffirait d’étendre la main pour toucher la vôtre. Ah! madame, je vous en prie, laissez-moi vous admirer, vous adorer en silence, car, vraiment, je suis incapable de trouver les mots qu’il faudrait pour vous exprimer mon amour… Je crois même qu’il n’en est pas sur terre…
Et, tout en disant, Castel-Rajac se pencha vers la duchesse qui, reconquise de nouveau par cette ardeur juvénile et si sincère, le contemplait, elle aussi, prête à s’abandonner de nouveau.
Tout à coup, le visage du jeune Gascon s’assombrit. Un pli d’amertume tordit sa bouche et un léger soupir gonfla sa poitrine.
– Qu’avez-vous? interrogea Marie de Rohan.
– Je songe, hélas! que mon rêve est éphémère et qu’il va bientôt se briser en éclats.
Tout en lui souriant, la duchesse lui dit doucement:
– Et si je vous donnais le moyen de le prolonger?
– Pendant longtemps?
– Plus longtemps, peut-être, que vous ne l’imaginez!
– Oh! madame, vous seriez la plus généreuse…
– Écoutez-moi, mon ami… Bien que vous vous soyez montré à mon égard d’une indiscrétion que je reconnais, d’ailleurs, fort excusable…