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« Contact emploie des individus, fit remarquer Chamlis. Cet organisme place des êtres au sein de sociétés jeunes qui exercent une influence spectaculaire et déterminante sur le destin de méta-civilisations tout entières. Ce sont généralement des « mercenaires », et non des citoyens de la Culture, mais ils n’en sont pas moins humains. Ce sont des gens, des individus.

« Ils sont sélectionnés et exploités. Comme des pions. Ils ne comptent pas. (La voix de Gurgeh se teinta d’impatience. Il tourna le dos à la haute cheminée et regagna le canapé.) En outre, je ne suis pas comme eux.

« Eh bien, fais-toi stocker jusqu’à ce que vienne un âge plus héroïque.

« Ha ! s’exclama Gurgeh en se rasseyant. Qui sait si cela arrivera un jour ? Non, j’aurais trop l’impression de tricher. »

Le drone Chamlis Amalk-ney écouta la pluie et le feu.

« Ma foi, dit-il lentement, si c’est la nouveauté que tu veux, c’est auprès des gens de Contact – oublions CS – que tu dois la chercher.

« Je n’ai pas la moindre intention de rejoindre les rangs de Contact, déclara Gurgeh. Se retrouver claquemuré dans une UCG avec une bande de naïfs pleins de bonne volonté pistant le barbare à civiliser, ce n’est pas exactement ce que j’appelle s’amuser ou se réaliser.

« Ce n’est pas ce que je voulais dire. C’est chez Contact qu’on trouve les meilleurs Mentaux, l’information la plus complète. Peut-être auront-ils une idée, eux. Chaque fois que j’ai eu affaire à eux, ils ont résolu le problème. Mais il ne faut faire appel à eux qu’en dernier ressort.

« Pourquoi ?

« Ils sont retors, sournois. Eux aussi sont des joueurs ; des joueurs qui ne jouent pas pour l’amour de l’art, et qui ont l’habitude de gagner.

« Hmm, fit Gurgeh en caressant sa barbe noire. Je ne saurais pas comment m’y prendre.

« Ne dis pas de bêtises, répondit Chamlis. Quoi qu’il en soit, j’y ai mes entrées ; je… »

Une porte claqua.

« Merde alors ! Qu’est-ce qu’il fait froid dehors ! »

Yay déboula dans la pièce en frissonnant exagérément. Elle avait les bras repliés et serrés contre sa poitrine, et son short léger collait à ses cuisses ; elle tremblait de tous ses membres. Gurgeh se leva.

« Viens près du feu, dit Chamlis à la jeune fille. (Yay se tenait devant la fenêtre, toute grelottante et dégoulinante.) Ne reste pas planté là, reprit-il à l’intention de Gurgeh. Va chercher une serviette. »

Ce dernier jeta un regard désapprobateur à la machine, puis quitta la pièce.

Le temps qu’il revienne, Chamlis avait convaincu Yay de s’agenouiller devant le feu. Une extension de champ magnétique recourbée lui maintenait la tête baissée tandis qu’une autre lui brossait les cheveux. Des gouttelettes de pluie tombaient de ses boucles essorées jusque dans l’âtre, où elles s’évaporaient en sifflant sur les pierres plates et brûlantes.

Chamlis prit la serviette-éponge des mains de Gurgeh, qui regarda la machine frictionner le corps de la jeune femme. Au bout d’un moment il détourna les yeux et, hochant la tête, retourna s’asseoir sur le sofa en soupirant.

« Tu as les pieds sales, dit-il à Yay.

« Peut-être, mais ça m’a fait du bien de courir », répondit-elle en riant derrière sa serviette de toilette.

Après force jets d’air tiède, sifflements et autres « brr-brr », Yay fut enfin sèche. Elle resta enroulée dans la serviette et s’assit sur le canapé, jambes remontées contre elle.

« Je meurs de faim, annonça-t-elle tout à coup. Ça t’ennuie si je me fais quelque chose à… ?

« Je m’en occupe », coupa Gurgeh.

Il disparut par la porte d’angle et revint presque aussitôt disposer les pantals en peau de la jeune fille sur la chaise où elle avait laissé son gilet.

« De quoi parliez-vous ? demanda Yay à Chamlis.

« De l’insatisfaction de Gurgeh.

« Et la discussion a fait avancer les choses ?

« Je n’en sais rien », reconnut le drone.

Yay récupéra ses vêtements et se rhabilla en hâte. Puis elle alla s’asseoir devant le feu et se perdit dans la contemplation des flammes tandis que le jour baissait et que les lumières de la pièce s’avivaient.

Gurgeh apporta un plateau chargé de douceurs et de boissons.

Sitôt que Yay et Gurgeh eurent mangé, tous trois jouèrent à un jeu de cartes fort complexe du genre qu’affectionnait particulièrement Gurgeh : il y fallait une certaine dose de bluff et un petit peu de chance. Ils étaient au beau milieu de la partie lorsque des amis de Yay et de Gurgeh débarquèrent ; leur aéro se posa sur une pelouse dont il eût préféré qu’elle ne remplisse pas cet usage. Agités, bruyants et précédés d’éclats de rire, ils pénétrèrent dans la pièce ; Chamlis battit en retraite dans un coin, près de la fenêtre.

Gurgeh se conduisit en hôte parfait, veillant à ce que ses invités ne manquent jamais de rafraîchissements. Il apporta un verre à Yay qui, au sein d’un petit groupe, écoutait deux personnes se disputer à propos de l’éducation.

« T’en iras-tu avec ces gens, Yay ? »

Gurgeh s’adossa au mur tendu de tapisseries et baissa le ton, de sorte que la jeune femme dut abandonner la discussion et se retourner vers lui.

« Peut-être, répondit-elle lentement. (Le feu faisait danser une lueur rouge sur son visage.) Tu vas encore me demander de rester, n’est-ce pas ? »

Elle fit tournoyer son vin dans son verre en suivant des yeux le mouvement du liquide.

« Ça, j’en doute, répondit l’autre en secouant la tête, les yeux rivés au plafond. Je me lasse vite de jouer toujours les mêmes coups et les mêmes parades.

« On ne sait jamais, sourit Yay. Un jour peut-être, je changerai d’avis. Ne t’en fais donc pas pour cela, Gurgeh. En fait, c’est presque un honneur que je te fais.

« En me réservant un statut à part ?

« Hmm, oui. »

Yay but une gorgée.

« Je ne te comprends pas, reprit Gurgeh.

« Parce que je décline ton offre ?

« Parce que tu ne déclines pas celles des autres.

« Je ne les accepte pas systématiquement, tu sais. »

Yay hocha la tête en contemplant son verre d’un air soucieux.

« Alors, pourquoi pas moi ? »

Voilà. Il l’avait dit. Pas trop tôt. La jeune femme fit la moue.

« Parce que, dit-elle en relevant la tête pour le regarder en face, ça a de l’importance pour toi.

« Ah bon ! acquiesça-t-il en se frottant la barbe, les yeux baissés. J’aurais dû feindre l’indifférence, alors. (Il plongea son regard dans celui de Yay.) Enfin, Yay…, reprit-il.

« J’ai l’impression que tu veux… me prendre comme on prend un pion, un territoire, coupa-t-elle. Être à quelqu’un, être… possédée. (Brusquement, son visage exprima une incompréhension totale.) Il y a chez toi quelque chose de très… Je ne sais pas. De très primitif peut-être, Gurgeh. Tu n’as jamais changé de sexe, n’est-ce pas ? (Il fit non de la tête.) Ni fait l’amour avec un homme ? (Nouveau signe de dénégation.) Je m’en doutais, reprit Yay. Tu es bizarre, Gurgeh, conclut-elle en achevant son verre.

« Parce que je ne suis pas attiré par les autres hommes ?

« Mais bien sûr ! Enfin quoi, tu en es un toi-même ! fit-elle en riant.

« Devrais-je donc me sentir attiré par moi-même ? »